Accords d’Alger 23 Mai – 23 Août : Imprévoyance, incohérence et inconséquence

Dès le début des événements survenus à Kidal et à Ménaka, le 23 mai 2006, les contradictions étaient apparues quant à leur qualification même : mutinerie ou rébellion, soldats déserteurs par la peur ou par la force...

25 Août 2006 - 09:13
25 Août 2006 - 09:13
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Dès le début des événements survenus à Kidal et à Ménaka, le 23 mai 2006, les contradictions étaient apparues quant à leur qualification même : mutinerie ou rébellion, soldats déserteurs par la peur ou par la force, poignée de combattants ou milliers de maquisards retranchés sur les collines de Téghargharett, maintien d’ordre ou conflit armé, etc ? La signature de l’Accord d’Alger, le 4 juillet 2006, n’a rien changé non plus à ce sujet : reddition de l’Etat ou paix des braves, guerre ou paix, maintien d’ordre ou guerre larvée, etc ? En tout cas, l’incohérence et l’incompréhension étaient au rendez-vous et elles le demeurent toujours entre les protagonistes de cette nouvelle crise née de l’irrédentisme targui, les uns et les autres se perdant en conjectures «Tchou » et «Tcha » !  

Révélée au grand public par RFI le matin de bonne heure, l’attaque des camps militaires a été confirmée le soir même (23 mai 2006) par le président de la République, Amadou Toumani TOURE en personne, en ces termes choisis : «Chers compatriotes, c’est ici, à Diéma, dans le Kaarta, dans le Mali profond, que j’ai une pensée particulièrement douloureuse pour les événements que notre pays a connus malheureusement ce matin. Dans une autre contrée lointaine, dans un autre Mali profond, l’Adrar des Iforas, et plus exactement dans la ville de Kidal, des éléments armés ont attaqué les principaux postes militaires. (…) Je n’ai pas besoin d’aller à Bamako pour suivre cette situation. (…) Je suivrai la situation avec responsabilité mais aussi avec mesure. (…) Ne confondez pas les paisibles citoyens avec des gens qui ont pris de lourdes responsabilités dont eux seuls connaissent les raisons. (…) Ceux (une poignée de soldats) qui ont décidé de prendre les armes assumeront seuls les graves conséquences de leurs actes. (…) Mais nous pensons déjà que les conséquences sont particulièrement graves. (…) Si la démocratie vous donne toutes les voies, vous n’avez pas besoin de la voie des armes. (…) Je vous dis à tous : « Courage ! Ce n’est pas une tragédie […] C’est une situation que nous allons gérer en toute responsabilité »

Actes militaires posés par des militaires dans des camps militaires ?

Le chef de l’Etat a été conforté dans cette position de «fermeté» par le ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales, Kafougouna KONE, par ailleurs officier général de l’armée malienne dont l’estime n’a d’égal que ses hauts faits militaires par le passé : «C'est des militaires qui ont posé des actes militaires dans les camps militaires. Le règlement militaire ayant tout prévu dans ce cas de figure, le problème sera résolu en conséquence ». Le chef d’Etat-major général des armées, le général Seydou TRAORE, d’enfoncer le clou militaire en ces termes : «J’invite les intégrés, qui ont fui par peur de représailles, à reprendre leur place au sein de l'armée ; mais ceux qui ont attaqué leurs frères d'armes seront traités autrement ». Le gouverneur de Kidal, M. Alhamdou Ag ILLIYENE, n’a pas perçu autrement ces événements qu’il a qualifié de «mutinerie de soldats » de l’armée malienne dont certains éléments «anciennement intégrés » ont déserté les rangs. L’Assemblée nationale du Mali, réunie à huis clos sur le sujet, avait la même lecture «militaire » de la situation ainsi créée qu’elle a qualifié de «désertion ouverte de certains officiers et soldats de l'armée malienne ». Sans compter l’incompréhension et l’indignation de l’écrasante majorité de l’opinion nationale, y compris dans les communautés du Nord dont celle des Touaregs, qui a vu dans ces attaques des actes de trahison de leurs auteurs dont le courage et la bravoure ont consisté à piller leurs propres magasins d’armes dont ils avaient la garde et à retourner le fusil contre leurs compagnons militaires. 

Refus de l’amalgame et de l’anathème

La réaction subséquente, c’est que l’armée a été envoyée en renfort à partir de Gao avec à sa tête le colonel Ag GAMOU, comme pour dire et prouver qu’il ne faudrait en aucun cas jeter l’anathème sur toute la communauté tamasheq dont les voix les plus autorisées ont condamné sans réserve lesdits événements regrettables à plus d’un titre. Car les efforts d’investissement sont jugés fort appréciables au point d’avoir radicalement changé le visage de Kidal en quelques années, en plus du financement des projets au profit et pour le compte des ex combattants qui n’ont pas été intégrés dans les rouages de l’administration publique et les corps en uniforme de l’Etat. Mieux encore, la démocratie ne rime pas avec arme : les élus locaux (municipalité, cercle et assemblée régionale) et nationaux (Haut conseil des collectivités territoriales, assemblée nationale) sont les réceptacles politiques des doléances exprimées à la base par les populations pour les acheminer à différents niveaux de responsabilité. La décentralisation étant la cerise sur le gâteau des statuts «particuliers » dont jouissent désormais toutes les régions Mali : chaque charbonnier décideur est maître régional chez-soi. Aussi, le recours aux armes pour revendiquer ne devrait-il être plus de mise dans le Mali démocratique où l’Etat de droit n’est plus une vaine expression. Le problème étant militaire, comme présenté et expliqué plus haut par les plus grands experts maliens en la matière (généraux ATT, Kafougouna et TRAORE), la solution était nécessairement militaire pour éviter que le remède soit pire que le mal.
 
Mutinerie ou rébellion ?

Mais l’Accord d’Alger a pris le contre-pied de toutes ces argumentations en dénaturant les faits proprement dits qui sont gravement attentatoires à la souveraineté de l’Etat, à la discipline militaire et à la cohésion sociale aux plans régional et national. Car il ne s’agit plus de mutinerie d’une poignée de soldats, mais d’une rébellion armée avec des milliers de combattants ayant planté leur QG militaire dans les grottes de Téghargharett. L’impasse pouvant être faite sur la mort des enfants et soldats loyalistes, les rebelles tués étant considérés comme des martyrs dont la mort mérite d’être commémorée le 23 mai désormais riche en symboles libérateurs pour les insurgés. Aussi, le Mali n’avait-il qu’une seule alternative : la paix ou la guerre ? Le choix gouvernemental s’est vite porté sur la paix, les "anti-Accord" étant catalogués dans le camp des «va-t-en guerre » pour avoir dénoncé le double vice de forme et de fond qui entoure ce dossier en amont comme en aval. En effet, il est reproché au gouvernement d’avoir géré le problème en marge des institutions de la République et de façon solitaire. D’autre part, le remède (politique) n’est pas adapté au mal (militaire), car l’équation demeure entière en ce qui concerne l’avenir de Kidal sur le long et le moyen termes.        

Tchou la veille et Tcha le lendemain

Avec cette nouvelle option, les uns et les autres ont tourné casaques en soutenant l’accord d’Alger pour être en porte-à-faux avec leurs propres arguments développés la veille. A commencer par l’Assemblée nationale qui avait, dans un premier huis clos, mis les garde-fous contre toute forme d’accord en dehors du Pacte national signé en avril 1992 qui prend en compte toutes les revendications objectives des insurgés du 23 mai 2006. Même l’accord d’Alger a été dénoncé en second huis clos, mais soutenu en séance plénière sous forme de résolution favorable au gouvernement sur le sujet. Toutefois, le groupe parlementaire RPM est resté fidèle à sa position sur la question : rejet pur et simple. Car ledit accord est jugé «contreproductif » pour la communauté touarègue dont il contribue à la stigmatisation et il jure de surcroît avec les lois et textes du pays, sans compter la gestion «monarchique » du dossier dans un système républicain à caractère démocratique. La palme de la contradiction revenant au négociateur en chef de l’accord d’Alger, le général Kafougouna KONE, ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales. «C’est un problème de maintien d’ordre », a-t-il lâché à l’Assemblée nationale en réponse aux questions orales à lui posées par le député Boubacar TOURE. Auquel cas, pourquoi est-ce que le dossier n’a-t-il pas été plutôt confié au ministre de la Sécurité intérieure, le colonel Sadio GASSAMA ?        

Deux listes de noms différents

L’installation du comité de suivi de l’Accord d’Alger, le 11 août dernier, n’a point estompé la vague de protestations et de soutiens dans un mouvement contradictoire. La partie gouvernementale et l’Alliance du 23 mai pour le changement démocratique ne parvenant pas à accorder leurs violons à certains sujets. Selon notre confrère «Essor » n° 15765 du 14/08/2006, les noms communiqués par ladite alliance pour figurer dans le comité de suivi de l’accord sont les suivants : Mohamed Akharib, Abdessalam Essalat et Ahmed Ag Saïd. Ce dernier nom ne figurant pas sur la liste officielle, car le gouvernement aurait formulé des réserves sur son cas. Or «Azawad Union » du 16/08/2006 (sans doute proche de l’Alliance) écrit comme titulaires du comité de suivi les noms qui suivent : Abdou Salam Ag Assalatt, Mohamed Ag Aharib et le capitaine Haroun Ag Saghid. Quant à «Kidal Info », il écrivait ceci : «Le comité de suivi a été mis en place à Kidal le vendredi 11 août. A sa tête, on retrouve Mahamadou Diagouraga, un grand connaisseur du Nord, ex commissaire au Nord, suivi de colonel Elwa Togo et Moulaye Mohamed (inspecteur de douane), côté gouvernement. Côté Alliance, on note la présence de : Abdou Salam AG ASSALATT, Mohamed Ag Aharib et le capitaine Haroun Ag Saghid. Les trois expatriés Algériens sont : le colonel Achour, le Cdt Haroun et le Cdt Elhadi » Autant dire que chacun a sa propre liste validée des personnes siégeant audit comité de suivi.  

Le cœur ou la tête ?

Ces contradictions s’expliquent-elles chez les uns et les autres par la suprématie du cœur sur la tête ou vice versa ? En effet, tout laisse croire que les apôtres de la paix, qui n’a pas de prix, avaient été les premiers à réagir par la tête en cernant le problème sous sa vraie nature : une question militaire dont les protagonistes sont des militaires pour nécessiter une réponse également militaire. Le RPM aussi a eu la même analyse froide de la situation : c’est un problème d’autorité qu’il faut traiter comme tel, en respectant la forme républicaine de l’Etat, les textes fondamentaux du pays et les règlements spécifiques en cette matière. Si ce second camp est resté sur sa position, tel n’est pas le cas du premier qui a fini par laisser battre son cœur plus fort que jamais. Non seulement la signature de l’accord d’Alger en est le reflet ; mais aussi, la réaction épidermique face à ceux qui rejettent ledit accord en constitue une preuve supplémentaire comme quoi tout le monde doit suivre la position officielle même si on en n’est pas convaincu.

Par Seydina Oumar DIARRA-SOD

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