La prise d'otages en Algérie pousse les Etats-Unis à s'impliquer au Mali

19 Jan 2013 - 03:44
19 Jan 2013 - 09:39
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"NOW WHAT ?" La question posée par le général Carter Ham, commandant des forces américaines en Afrique, quelques heures avant le déclenchement de l'intervention française au Mali, et rapportée par le New York Times, a soudain pris du relief depuis qu'en Algérie, des Américains ont été pris en otage par Al-Qaidaau Maghreb islamique (AQMI). Longtemps perçue comme lointaine, la menace s'était déjà singulièrement rapprochée lorsque, le 11 septembre, le consulat américain à Benghazi avait été attaqué, au risque de mettre en difficulté Barack Obama en pleine campagne présidentielle. [caption id="attachment_120093" align="aligncenter" width="534"] Le général américain Carter Ham, commandant en chef des forces armées des Etats-Unis en Afrique. | AP[/caption] Les événements survenus sur le site gazier de Tigantourine rendent inévitable une implication directe. "Lorsque ces événements seront terminés, nous ferons tout ce que nous pourrons pour pourchasser et combattre AQMI", a déclaré jeudi 17 janvier la secrétaire d'Etat Hillary Clinton. "Les terroristes doivent savoir qu'ils ne trouveront aucun sanctuaire, aucun refuge. Ni en Algérie, ni en Afrique du Nord, nulle part", a renchéri, vendredi à Londres, le secrétaire à la défense, Leon Panetta. Le fait que, selon l'agence mauritanienne ANI, les preneurs d'otages proposent, vendredi, d'échanger les otages américains qu'ils disent toujours retenir, contre deux militants islamistes emprisonnés aux Etats-Unis, ne fait qu'accroître la tension avec Washington. Vendredi matin, un avion américain s'est posé sur l'aéroport d'In Amenas, à proximité du lieu de la prise d'otages, en vue de l'évacuation des ressortissants des Etats-Unis. Après des mois passés en retrait, à tenter de contrecarrer les pressions de la France en faveur du déploiement d'une force internationale au Mali, Washington avait déjà dû commencer à préciser sa position, lorsque Paris est passé à l'acte sur le terrain. L'attaque menée mercredi en plein désert algérien a changé les données du débat, posant d'autre part crûment la question du degré d'implication dans la crise malienne elle-même. Les Etats-Unis prennent "très au sérieux"l'opération militaire française et "examinent les différents domaines dans lesquels une assistance pourrait être fournie", avait déclaré M. Panetta, mercredi à Rome, où il se trouvait dans le cadre d'une tournée européenne. "QUI SE SOUCIE DU MALI ?" Vendredi, les Américains ont franchi une étape en acceptant de fournir aux Français non seulement des renseignements (ce qu'ils font depuis le début de la crise) mais, à titre payant, des avions-cargos destinés à "acheminer des troupes et du matériel". En début de semaine, le ton était très différent. Le New York Timesconseillait au président Hollande de "résister à la tentation de lancer une offensive terrestre [au Mali] qui conduirait presque certainement à une contre-offensive insurrectionnelle de longue durée que la France n'aurait pas les moyens de réduire". Quant au patron du Pentagone, il insistait surtout sur la "tâche difficile" qui attendait les Français dans le désert. "Aux Etats-Unis, il y a eu une certaine ambivalence à propos de l'enjeu malien,analyse Bruce Riedel, chercheur à la Brookings Institution. Certains experts ont estimé qu'AQMI n'était qu'un groupe criminel instrumentalisant la religion et donc pas une menace politique de premier ordre. Cette vision est terminée avec la prise d'otages. Les Etats-Unis ne vont pas se précipiter au Mali, mais les événements d'Algérie vont renforcer le sentiment qu'il faut soutenir l'effort de la France et des pays africains." Vu des Etats-Unis, le Sahel ressemble à la planète Mars et le Mali est si peu connu que Mitt Romney, candidat à la présidentielle contre Barack Obama l'avait situé au Proche-Orient pendant un débat télévisé. Pour rattraper le manque de connaissances de ses lecteurs à propos du Mali, le Washington Post propose d'ailleurs, en ligne, de répondre aux "neuf questions sur le Mali que vous n'osiez pas poser""Qui se soucie du Mali ?" est l'une des interrogations retenues. Réponse teintée d'ironie : "La France". ÉCHEC DE LA STRATÉGIE AMÉRICAINE Le coup d'Etat militaire de mars 2012 à Bamako et surtout la prise de contrôle du nord du Mali par les islamistes, dès avril, avaient sonné l'échec de la stratégie conduite jusque-là par Washington dans la région, reposant sur l'entraînement d'éléments supposés exemplaires de l'armée malienne, contre le terrorisme. Les Américains ne s'illusionnaient guère sur la solidité de l'armée malienne, comme en ont attesté les télégrammes diplomatiques révélés par WikiLeaks à la fin de 2010. Mais le fait qu'un officier qu'ils avaient formé, Amadou Sanogo, conduise le putsch contre la démocratie malienne, et surtout la défection de 1 600 hommes au moment crucial de l'insurrection au Nord, ont soulevé un sérieux doute sur l'efficacité des quelque 600 millions de dollars (450 millions d'euros) dépensés en quatre ans pour contrer l'islamisme au Sahel. Barack Obama, occupé à négocier le retrait d'Afghanistan et en pleine campagne présidentielle, n'avait nulle envie de se lancer dans une nouvelle aventure militaire, d'autant que les menaces des émules sahéliens d'Al-Qaida ne semblaient pasviser en premier lieu la population américaine. Un projet de frappes ciblées destiné à éliminer physiquement les leaders fut abandonné. Le mot d'ordre consiste àdiriger depuis l'arrière ("lead from behind") sous couvert d'une aide à une contre-offensive menée par les Etats africains eux-mêmes. "C'EST DE LA MERDE" Cette position s'est doublée d'une critique de l'activisme français basé sur une mobilisation compliquée des Africains. "C'est de la merde [crap]", commenta poétiquement hors micro Susan Rice, ambassadrice américaine aux Nations unies, en décembre, à propos du plan franco-africain de reconquête du nord du Mali. Le reproche de nourrir la propagande islamiste par une internationalisation du conflit a aussi été fait. Ce qui n'empêche pas les Américains de fournir aux Français leur assistance en termes de renseignement. "Le gouvernement malien est un problème pour l'administration Obama : les règles américaines rendent très difficile le soutien à des autorités non issues d'élections libres", soulignait mercredi John Campbell, spécialiste de l'Afrique au Council on Foreign relations. Mais ces règles empêchent-elles d'épauler la France ? "Les juristes de l'administration veulent s'assurer que nous disposons des bases légales", insistait M. Panetta mercredi encore. Depuis la prise d'otages en Algérie, il n'est plus question d'"obstacles juridiques". Des avions transporteurs de troupes et de matériels tels que des C17 ou des C5 vont être affrétés. Entretemps, en ôtant la vie de citoyens américains ou en les menaçant, AQMI a confirmé son statut d'ennemi de l'Amérique.
Philippe Bernard avec Sylvain Cypel (à New York) LE MONDE | 18.01.2013   

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