« Salafistes », le documentaire qui a inspiré « Timbuktu »

Qui sont les théoriciens du terrorisme islamiste ? Que disent ces idéologues plus ou moins érudits qui façonnent la pensée des dizaines de milliers de djihadistes, des confins du Sahel aux villes et villages d’Occident ou du Moyen-Orient ? Le journaliste mauritanien Lemine Ould M. Salem est parti à leur rencontre au cœur du Sahara. L’un d’eux retient l’attention : un jeune imam officiant à Nouakchott, la capitale mauritanienne. Les prêches de Mohamed Salem Madjissi circulent, dit-on, jusqu’à Rakka, en Syrie, la « capitale » de l’Etat islamique.
Face à la caméra, il se montre à l’aise, volubile, et décomplexé. « Mohamed Merah est un fruit épineux que la France a cultivé, ce qu’a fait Merah sert la cause des musulmans », dit-il sans ciller, avec la conviction et la sérénité d’un sage religieux qui considère les terroristes comme des saints. « Quand un musulman tue un juif, ce n’est que justice. Ce qu’a fait Amedy Coulibaly [auteur de la tuerie de l’Hyper Cacher] est parfaitement légitime », poursuit le prêcheur, arrêté à plusieurs reprises, mais jamais condamné en Mauritanie, pays allié de la France dans la lutte contre le terrorisme.Lire aussi : Attentat de Bamako : l’ombre du chef djihadiste Mokhtar Belmokhtar
Lire aussi : Au Mali, les djihadistes multiplient les attaques Sur la table de l’un des juges, un fusil d’assaut est posé sur le Coran comme pour symboliser l’alliance du sacré et de la destruction. « L’homme est esclave de ses passions », soliloque le chef djihadiste Oumar Ould Hamaha, membre d’Ansar Eddine, puis du Mujao, avant de fonder son propre groupe : Ansar al-Charia. Sa tête a été mise à prix par les Etats-Unis pour 3 millions de dollars (2,7 millions d’euros).« Depuis que le sabre du djihad a commencé ici, même les petites filles sont voilées et il n’y a plus de voleurs. (…) Je considère qu’il ne faut pas faire de différence entre le salafisme djihadiste et le salafisme intellectuel », assure-t-il. Avant de revenir sur le terrain de la guerre, et de mettre en garde : « Si les pays de l’OTAN [Organisation du traité de l’Atlantique nord] interviennent, on ira au-delà de l’Afriqueoccidentale et on est prêt à multiplier le 11-Septembre par dix. » Surnommé « Barbe rousse » en raison de sa pilosité teinte au henné, ce chef djihadiste malien aurait été tué par les troupes françaises de l’opération « Serval » au début de l’année 2014. Ses coreligionnaires affirment qu’il est toujours en vie.
Une œuvre majeure
Mais c’est une autre histoire qui structure ce film d’une heure dix, une tragédie sahélienne à la fois anecdotique et emblématique : l’exécution publique d’un berger touareg, membre du groupe Ansar Eddine, condamné à mort pour avoir abattu un pêcheur noir de la tribu Bozo. La scène, qui se déroule à Tombouctou, remonte à octobre 2012. Elle a été relatée dans un récit publié par Libération sous la plume de Lemine Ould M. Salem, présent sur place. « Le condamné murmure quelques mots. On devine qu’il demande à être achevé. Une seconde balle l’abat définitivement sur le sable tiède », écrivait-il. Plus d’un million de spectateurs ont déjà découvert cette histoire dans les salles de cinéma français en 2014. Elle a inspiré le film Timbuktu, du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, primé au Festival de Cannes et récompensé par 7 Césars.Lire aussi : « Timbuktu » : face au djihadisme, la force de l’art
Lire aussi : Abderrahmane Sissako : « Lorsque la violence devient un spectacle, elle se banalise » Quelle que soit l’issue de la controverse, Salafistes est une œuvre majeure pour comprendre l’idéologie des mouvements qui ont frappé la France le 13 novembre 2015. Les racines de ces violences ont été identifiées en Syrie, où de nombreux jeunes grandis en Occident ont rejoint ce qu’ils considèrent être le djihad. Et pourtant, en Afrique, où le terrorisme djihadiste a fait plus de 27 000 morts ces dix dernières années, la même ideologie et les mêmes réseaux salafistes prospèrent, loin des projecteurs, braqués sur le Moyen-Orient. De Syrte à Maiduguri, en passant par les septentrions maliens, tchadiens, camerounais, la folie djihadiste se répand sur le continent et menace.
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