L’apathie politique au Mali était, dimanche dernier, au centre du débat de la cité organisé par la TV nationale. Si l’unanimité est faite sur le faible taux de participation aux différentes élections plus d’une décennie après la conversion au pluralisme politique, les avis restent largement divergents sur les raisons de ces boycotts électoraux et les méthodes d’y remédier. Mais l’élément moteur qui déclenche tous les autres facteurs négatifs n’est-il pas dans le comportement situationniste des acteurs politiques qui sont plutôt préoccupés par leur propre épanouissement personnel au lieu d’apporter des réponses concrètes et efficaces aux problèmes de la cité locale et nationale à cause de la conception alimentaire de la démocratie ?
Le constat crève les yeux dès l’entame de la démocratie pluraliste au Mali après les douloureux événements de Mars 1991, les premières élections présidentielles et législatives n’ayant pas drainé grand monde aux urnes dont la réalité ne peut être cachée par des chiffres et des pourcentages fabriqués de toutes pièces mensongères à soi-même. Le premier président «démocratiquement élu » n’a pas été porté à Koulouba par un score réel qui soit plus élevé que 15%, ironisent les détracteurs de notre système démocratique dont le socle repose sur le complot fomenté dans la clandestinité la plus obscure. Les protagonistes eux-mêmes ne se connaissant que par «personne interposée », les abeilles et les frelons se sont côtoyés et ont cheminé ensemble pour bitumer sur la même fleur politique. Résultat : les vraies abeilles se sont fait attaquer et chasser par les frelons qui n’étaient intéressés que par le miel de la ruche républicaine.
Au lieu de travailler à produire le changement qualitatif de la société malienne qui aurait été le fil conducteur de la longue lutte contre le régime du CMLN/UDPM 23 années durant, les démocrates convaincus et patriotes sincères «sur les lèvres » ont montré leur vrai visage au peuple après leur accession au pouvoir en 1992 : la cupidité économique et la vénalité politique. En moins de dix ans de règne, les gens qui tiraient jadis le diable par la queue se retrouvent propulsés du jour au lendemain au firmament de la prospérité financière. C’est la course effrénée à l’enrichissement illicite par la prévarication, le vol et la corruption généralisée comme jamais auparavant. Dans ce nouveau Mali démocratique et multipartisan, le plus court chemin de faire prospérer ses «affaires », c’est de s’adonner au commerce politique. Le mot «faillite » étant banni de ce nouveau bréviaire.
Au niveau des municipalités, les citoyens ont vite appris à juger sur pièce politique dès les premières élections. En effet, en prenant le cas des six communes du district de Bamako et celui de la cité voisine de Kati, les édiles ont donné une nouvelle définition à la fonction de maire : la spéculation foncière et le trafic de terrain en tous genres et en toutes circonstances. Car les litiges fonciers étaient devenus le lot quotidien des habitants de Bamako et de Kati : les maires ont vendu tous les espaces «libres », y compris la calvitie des propriétaires démunis. La preuve, c’est la suspension à répétition des maires de leur fonction pour cause de mauvaise gestion des affaires domaniales. Le gouvernement était même contraint de prendre en 2004 une mesure qui interdisait aux maires de morceler ou vendre des parcelles pour s’en servir comme un moyen de marketing politique auprès des populations peu avisées en la matière.
En ce qui concerne les députés, ils ne sont pas logés non plus à une meilleure enseigne. Car ils ne jouent pas leur vrai rôle de sentinelles nationales en contrôlant les actions du gouvernement comme cela se doit : les programmes et projets de développement sont-ils correctement exécutés au seul bénéfice des populations maliennes ? En revanche, ils ont contribué à transformer l’Assemblée nationale en chambre d’enregistrement ou caisse de résonance où tous les projets du gouvernement passent comme une lettre à la poste de Bagadadji, la majorité mécanique ou artificielle aidant. D’autre part, les populations ne sont pas dupes sur la désertion des députés qui préfèrent «déménager » à Bamako au lieu de retourner à la base à chaque fin de session parlementaire pour le feed-back des lois votés à l’Assemblée nationale.
Aussi, le refus d’aller voter est-il à la fois une abstention volontaire et une sanction populaire pour ne pas cautionner des mascarades électorales. Le consensus actuel n’est-il pas un parti unique de fait qui est aux antipodes des principes fondateurs du multipartisme intégral pour lequel les gens sont morts en mars 1991 ? Autant dire alors que la finalité de ce combat se résumait à cette philosophie du pouvoir assimilé à un gâteau national : «Ote-toi de là que je m’y mette !». N’est-ce pas l’éternel recommencement politique du Tonneau des Danaïdes ? A quoi bon…
Par Seydina Oumar DIARRA-SOD