Transhumance politique : Un véritable cancer pour la démocratie

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La transhumance politique est devenue si courante sous nos cieux que le phénomène tend à se banaliser pour le commun des citoyens. Elle constitue désormais une sorte de 4ème tour des élections législatives au Mali. Et pourtant,  peut-il y avoir pire déni du libre choisi démocratique exprimé par le peuple que cette pratique ? En attendant l’adoption de nouvelles lois règlementant ou réprimant ce fléau qui fausse le jeu démocratique, le pouvoir en profite au mieux.  

Les dernières élections législatives de 2013 ont conféré une majorité confortable de 66 députés à l’Assemblée Nationale sur 147 que compte l’Institution, au Rassemblement Pour le Mali (RPM). Mais par des stratagèmes et le jeu du débauchage, le parti du Président de la République, Ibrahim Boubacar KEITA, dispose désormais de la majorité absolue au Parlement, pendant que l’actualité est encore dominée par l’arrivée d’autres élus de l’opposition, dont le seul député du parti FARE AN KA WULI, Honorable Bakary Woyo Doumbia.

Jamais notre système démocratique n’avait connu telle dérive que celle qui alimente actuellement les jeux d’alliance et de ralliement, souvent contre-nature, au sein de l’Assemblée Nationale.

En effet, de l’avènement de la démocratie en 1991 aux élections législatives 2013, un régime n’avait jamais fait preuve d’autant de détermination à s’accaparer tout, jusqu’au sein même de ses alliés de circonstance.

Le rouleau compresseur du Rassemblement Pour le Mali (RPM) est en marche et rien ne semble pour l’instant satisfaire la propension de ce parti à s’emparer de la moindre portion de pouvoir et d’expression démocratique sur l’échiquier national. Adviendra ce qui pourra ! Tel semble être désormais le seul leitmotiv qui vaille pour les Tisserands.

Outre la guéguerre avec le Premier Ministre, Moussa Mara, livrée par forces interposées pour la conquête ou le contrôle de la Primature, le Rassemblement Pour le Mali (RPM) est engagé dans un autre combat sans répit qui consiste à débaucher à tour de bras des députés et autres élus politiques. Aucun parti, ni formation politique n’échappe à la ruée du parti majoritaire. Cela malgré l’adoption de la Déclaration de politique générale (DPG) dans laquelle le Premier Ministre prenait l’engagement devant les élus de la Nation de mener une lutte féroce contre la transhumance politique. Mieux, peu après, une motion de censure déposée par l’opposition parlementaire contre les errements et les insuffisances de l’action gouvernementale par rapports aux priorités de l’heure, avait elle aussi été rejetée par l’écrasante majorité présidentielle sous la houlette du RPM.

Tout porte à croire que l’objectif principal visé par cette tentation hégémonique du RPM est le contrôle total de l’Institution. Pour quelles fins ? L’avenir nous le dira surement. Mais, d’ores et déjà, on peut logiquement en déduire que le parti des Tisserands a une idée claire de ce qu’il fait et dans quel but. Probablement, qu’il ne lui déplairait pas de s’octroyer les 2/3 des députés dans la perspective de défier le Président de la République au cas où celui-ci s’obstinerait à maintenir contre vents et marées Moussa Mara à la Primature ou en ne choisissant pas son remplaçant éventuel dans ses rangs. Quoi qu’il en soit, le constat est que rien ne semble plus satisfaire la boulimie du parti majoritaire dans toutes les sphères de la vie nationale. Le RPM est sur tous les fronts pour asseoir confortablement sa domination, sans partage, au plan national.

En effet, après ce qu’il convient de considérer comme « un coup de force » opéré lors du deuxième tour des législatives 2013 et l’invalidation de plusieurs listes en sa faveur par la Cour Constitutionnelle, le RPM joue ce qui pourrait s’appeler « le 4ème tour des élections législatives » à travers le débauchage systématique d’élus d’autres formations et partis politiques.

Selon notre confrère « Info Matin », à la « Une » de sa parution N°5359 du mercredi 13 août 2014, « 2 députés viennent de quitter le navire » de l’Opposition parlementaire pour rejoindre les rangs du parti présidentiel.

En effet, sous la plume de Seydina Oumar Diarra (SOD) le journal précise bien qu’il s’agissait des Honorables députés Mahamadou Lamine WAGUE de l’URD, élu à Banamba et Bakary Woyo DOUMBIA du parti FARE AN KA WULI, élu à Bougouni.

Contacté par nos soins sur le sujet, le Secrétaire Général des FARE An KA WULI, Mahamadou KEITA, dément formellement l’information qu’il qualifie au passage d’intox. Il dit être en contact permanent avec l’unique représentant de son parti à l’Assemblée Nationale. Ce dernier apporterait « un cinglant et formel démenti d’une quelconque transhumance politique vers un autre parti » de sa part. Selon le Secrétaire Général du Parti de l’ancien Premier Ministre Modibo SIDIBE, il ne s’agirait ni plus ni moins qu’une intox malveillante dans le seul but de discréditer davantage la classe politique. Il a tenu à préciser qu’en plus d’être Vice-Président des FARE, Bakary Woyo Doumbia est également Secrétaire Général de la Section du parti à Bougouni. « Il participe à toutes les activités du parti tant au plan national que local jusqu’à preuve du contraire », a poursuivi le Secrétaire Général des FARE.

Reprise depuis par d’autres confrères, l’information nous a été confirmée un peu plus tard dans l’après-midi du mercredi par d’autres sources concordantes. Bakary Woyo Doumbia aurait en effet fait parvenir sa lettre de démission au siège national des FARE aux environs de 15 heures le mercredi dernier. Pour l’instant ne sachant pas grand-chose sur les motivations réelles  de cet autre nomadisme d’élu de la nation, il y a lieu d’espérer que l’ensemble des acteurs prendront la juste mesure du fléau afin de trouver les voies et moyens susceptibles de le circonscrire.

Quelle que soit la réalité et la nouvelle donne politique à l’Assemblée Nationale, le malaise est là de toute évidence. Inutile de se voiler la face, le mal gangrène notre système démocratique et de la façon la plus pernicieuse que jamais.

La scène politique se transforme désormais en champ de cirque où se jouent les pires scènes déconcertantes, désorientantes et démoralisantes possibles du libre choix consenti par le citoyen.

Cet autre ralliement se venait à se confirmer, il conférerait alors au parti présidentiel, le Rassemblement Pour le Mali (RPM), plus que ce dont il a besoin pour disposer de la majorité absolue à l’Assemblée Nationale. On peut donc raisonnablement se demander qu’est-ce qui peut bien motiver une telle boulimie de la part du parti, dont demeure encore membre le Président de la République, malgré la clarté de la Constitution et des principes démocratiques à ce sujet ? Au moment où de nombreux forums, conférences, ateliers et autres se tiennent un peu partout sur la nécessité de profondes réformes, de telles pratiques situent toute la problématique de la gouvernance démocratique dans notre pays.

A l’analyse, rien, absolument rien ne peut justifier cette avidité du pouvoir à vouloir à tous prix débaucher des élus de la Nation, dont l’élection (choix démocratique du citoyen) est la résultante d’un contrat de confiance et d’engagement entre celui-ci et son électorat. Rien ne saurait aujourd’hui justifier cette attitude du camp présidentiel dans la mesure où le Président Ibrahim Boubacar KEITA a été porté à la tête de la République avec un score historique sans appel de 77,7% il y a juste un an. Mieux, lors des élections législatives qui ont suivi, le peuple avait déjà donné une majorité écrasante au parti qui se réclame de lui avec à la clé 66 députés sur 147, selon les résultats proclamés par la Cour Constitutionnelle du Mali. Visiblement insatiable et insatisfait de ce résultat des urnes, le RPM mettra immédiatement son dévolu sur les 4 députés indépendants qui porteront le nombre de ses élus à 70. Selon un adage populaire, l’appétit venant en mangeant, pour s’assurer le contrôle total et sans partage du Parlement, le parti présidentiel parviendra à « confiner » ses alliés gênants dans un fourre-tout pompeusement appelé « Alliance Pour le Mali » (APM) un regroupement de partis politiques, qui revendique aujourd’hui plus d’une vingtaine de députés à l’Assemblée Nationale. Il ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Tous les moyens sont utilisés pour affaiblir, sinon anéantir les quelques rares voix encore discordantes se réclamant ouvertement de l’opposition parlementaire. La démarche ne tarde pas à porter fruit. Car, cinq (5) élus du parti « Forces Alternatives pour le Renouveau et l’Emergence » (FARE AN KA WULI) sont eux aussi « contraints » à une alliance contre-nature avec le SADI du Dr Oumar Mariko au sein d’un Groupe parlementaire dénommé « FARE – SADI ».

Malgré la dénonciation de ce qui fut qualifié à l’époque « d’imposture politique» par certains responsables de ce parti, il aura fallu toute la détermination de Modibo SIDIBE et ses camarades pour mettre fin à cette grosse anormalité (un rassemblement entre putschistes et ceux se réclamant de la république et la démocratie), après la démission des intéressés des FARE.  Car, pour l’observateur averti de la scène politique au Mali, le SADI est à l’antipode des valeurs et principes prônés de tout temps par les FARE.

La situation a été décantée et les choses sont on ne peut plus suffisamment claires à présent à l’Assemblée Nationale où le SADI revendique la majorité présidentielle, pendant que les FARE clament haut et fort leur ancrage dans une opposition modérée et constructive. De ce côté, on peut dire désormais que tout est bien qui finit bien !

Cependant, les dernières informations du confrère « Info Matin » démontrent, si besoin est, que la majorité présidentielle est dans une logique de réduire simplement l’opposition à néant. Sinon, elle se comporterait autrement.

En plus donc du clin d’œil fait aux religieux, notamment musulmans, occasionnant ainsi l’immixtion de la religion sur la scène politique nonobstant la laïcité de la république consacrée par la Constitution et la chasse aux sorcières ouvertement déclenchée dans l’administration publique et tous les services centraux de l’Etat, voilà que le RPM, dans sa quête d’un Mali sous sa seule coupe, est engagé dans une course contre la montre, (par rapport à quel agenda et programme?) pour fausser toutes les valeurs et principes qui fondent le jeu démocratique.

Après l’expérience du « consensus à la Malienne » sous le Président Amadou Toumani Touré (ATT), le Mali n’est pas à l’abri d’une autre dérive totalitaire et dictatoriale si l’ensemble des acteurs, notamment la classe politique, ne tirent pas la sonnette d’alarme.

Il est vrai que depuis des années toutes les propositions de réformes institutionnelles et les différents forums tenus à ce sujet, condamnent sans équivoque la transhumance politique. Mais, visiblement entre condamnation de forme et pratiques en la matière, il y a un large décalage que nul ne semble réellement prêt à combler. Comment s’étonner alors des taux d’abstention record qui  affectent la crédibilité et la sincérité des résultats des différents scrutins organisés dans notre pays depuis plusieurs décennies ? Le mal étant diagnostiqué, une chose est de le dénoncer, mais faudrait-il encore se donner véritablement la volonté de le guérir ! Cette lutte doit être menée de front par tous, Etat, partis politiques, société civile, simples citoyens, partenaires techniques et financiers, etc. Il y va de la crédibilité des acteurs de la classe politique et des Institutions qui résultent du système.

Au moment où le pays est plongé dans de sérieux problèmes de tous genres (crise sécuritaire, difficultés économiques, relations tendues avec les partenaires, un front social qui se détériore avec un préavis de grève de la principale Centrale syndicale des travailleurs, l’effritement du pouvoir d’achat des consommateurs, la cherté de la vie, etc.), les autorités, en tête desquelles le Président de la République, gagneraient à poser les jalons d’un véritablement rassemblement des forces et des énergies autour des questions essentielles, dont certaines ont directement trait à la survie même de la nation. Toute autre attitude pourrait être considérée comme suicidaire pour le collectif national.

Nul ne saurait faire le grand MALI de nos rêves sans l’autre. C’est ensemble, tous ensemble et collectivement que nous le réussirons. Sinon, un échec, quel qu’il soit, serait tout aussi collectif et au détriment exclusif de notre pays et de son rayonnement dans le concert des Nations modernes et démocratiques.

Au-delà des discours et autres vœux pieux, nos actes individuels et collectifs doivent refléter cette volonté à bâtir ensemble une Nation forte et respectée.

Bréhima SIDIBE

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4 COMMENTAIRES

  1. La tranSHUMAnce politique, ou si vous voulez la prostitution politique est encouragée par les partis au pouvoir et seulement une lutte commune pour en faire une question d’intérêt national pourra mettre fin à cela. Tous les partis doivent se donner la main pour combattre cela afin que celui qui migre soit déclaré inéligible pendant 5 ans et perde son mandat. On ne peut pas attendre grand chose de cette AN hyperdominée par le RPM à qui ça profite aujourd’hui, mais peut-être de la Cour Cons qui doit déchoir ces élus qui migrent au gré du vent!

  2. Il est grand temps que les électeurs demandent des comptes à ces escrocs et traitres, au besoin leur interdire la localité

    • Que fait l’Etat pour protéger et préserver le vote du paysan qui abandonne son champ, ses troupeaux, ses filets et toute autre occupation pour exprimer son choix dans l’urne? C’est à l’Etat et non aux citoyens de sécuriser le choix des électeurs à travers des textes qui répriment sans équivoque le nomadisme politique.

  3. Texte certes un peu trop long, mais bien inspiré quand même où tout est presque dit. Le journal aurait pu en faire 3 articles distincts ou à la limite insérer des sous-titres à l’intérieur. Ce qui n’enlève rien à la pertinence et la manière dont Mr Sidibé pose le problème de fond.

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