Aujourd'hui, parmi les pays membres de l'UEMOA, le Mali est le seul qui ne possède pas un casier judiciaire. Cette situation découle du fait que, depuis plus d'une décennie, les magistrats ont pris l'habitude de ne plus rédiger les décisions de justice. Conséquences : les amendes ne sont plus payées, les grands criminels se promènent avec des casiers judiciaires vierges. Pour reconstituer la mémoire judiciaire de la République, l'Etat a fait recours à six vieux magistrats à la retraite. Il a mis à leur disposition tout ce qu'il faut. Après qu'ils se sont exécutés pendant deux ans, l'Etat a refusé de les rémunérer sous prétexte qu'il n'y avait pas de contrat entre eux. Après six ans de revendications sans suite, ils ont décidé d'informer le peuple malien sur le déroulement de cette affaire qui met à nu la démagogie et la corruption qui gangrènent l'administration malienne.
Les faits remontent à l'an 2000 quand un constat des experts de la Banque mondiale a révélé que, depuis plus d'une décennie, les magistrats maliens ont pris l'habitude de ne plus rédiger la sentence des jugements aussi bien civils que correctionnels.
Devant la gravité de la situation, l'institution financière internationale a proposé au département de la Justice de faire appel à d'autres compétences pour rédiger les jugements en souffrance dans la juridiction de la République. Pour cela, elle avait recommandé le service d'experts sénégalais, chose qui n'honore pas le Mali parmi les autres pays de la sous-région.
Ainsi, le département de la Justice a-t-il fait appel à six vieux magistrats à la retraité afin qu'ils s'occupent de ce travail. Il s'agit d'Ibrahim Nia Karambé, Bakary Bathily, Cheick Oumar Dembélé, Moussa Traoré, Seydou Tidiane Traoré et Fousseyni Coulibaly plus une greffière à la retraite.
A rappeler que Seydou Tidiane Traoré et Fousseyni Coulibaly sont aujourd'hui décédés. Leur mission consistait à procéder à la rédaction des jugements précédents, de mettre à jour le casier judiciaire du Mali. Pour cela, il a été mis à leur disposition le matériel nécessaire de travail comportant des ordinateurs, du papier, des tables, etc. Un superviseur avait même été nommé par l'Etat pour suivre le déroulement du travail.
Concernant leur rémunération, ils n'ont pas été associés aux négociations. C'est l'Etat, la Banque mondiale et le superviseur qui ont décidé de les rémunérer à 350 000 F CFA par individu et par mois. Et la greffière à 100 000 F CFA. Un montant beaucoup inférieur à ce qu'ils touchaient quand ils étaient en pleine activité. Mais ils avaient accepté sans discuter. Ce montant devait être payé par l'Agence pour la promotion des entreprises privées qui a reçu de la Banque mondiale la somme de 500 millions pour exécuter le projet. Pendant les quatre premiers mois, le travail s'est déroulé normalement et le paiement a été régulier.
Au cinquième mois, la Banque mondiale a décidé de se retirer. Dès lors, le projet a été arrêté.
Le ministre de la Justice de l'époque, Abdoulaye Poudiougou, avait demandé aux anciens magistrats de continuer à travailler puisque que l'Etat trouverait la solution pour les rémunérer. Ils n'avaient pas douté de la crédibilité de la parole du Ministre. Pour les encourager M. Poudiougou leur avait remis la somme de 100 000 F CFA pour le prix de l'essence. Ils avaient travaillé pendant deux ans sans salaire.
Découragés par le comportement de l'Etat, ils avaient décidé d'arrêter le travail. Et depuis, ils continuent à revendiquer, sans gain de cause, leur salaire. Frappant à toutes les portes, du ministère à la présidence et même à celle de particuliers servant de médiateurs. Mais tout le monde est resté indifférent, même les ministres de la justice qui se sont succédé. Pour preuve, Fanta Sylla, actuel chef du département de la Justice a refusé de les recevoir. Or, normalement chacun d'entre eux doit bénéficier de la somme de quatre millions deux cent mille francs CFA. Et un million deux cent mille francs devait revenir à la greffière.
Le pire, dans toute cette affaire, qui énerve "les vieux", c'est le comportement des juristes. Qui ne cessent de leur répondre qu'il n'y a pas eu de contrat.
Selon Bakary Bathily, chef de file des victimes, "l'alibi du contrat n'est pas valable dans ce contexte. Les représentants de l'Etat nous ont appelés pour nous faire travailler. Du moment qu'il y a une acceptation, le contrat existe. Un contrat n'est pas forcement écrit. Il y a des contrats qui sont limitativement rémunérés. Ils ont mis à notre disposition le matériel, le local pour qu'on s'exécute. Après le travail, on nous dit qu'il n'y a pas de contrat. C'est de la méchanceté, ça". Il continue: "Même si on se réfère à notre situation de retraités, nous serons considérés comme les travailleurs ordinaires ne relevant pas d'un statut particulier. Dans le code de travail, nous avons droit à une rémunération. Au lieu de nous payer nos dus, les autorités continuent de dépenser inutilement dans des futilités. Ce que nous avons fait, c'est pour le bonheur du peuple malien".
Abdoul Karim KONE