La renaissance des Ambassadeurs : le mythe renaît de la nostalgie d’un passé glorieux

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Les Ambassadeurs du Mali
Les Ambassadeurs du Mali

Comme le Bembeya Jazz, les Amazones de la Guinée-Conakry et le Rail Band du Mali, les Ambassadeurs du Motel font partie de ces groupes mythiques progressivement mis à la touche par le succès de la carrière solo de leurs ténors. Des talents devenus des stars internationales qui viennent de faire renaître les mythiques Ambassadeurs des cendres de l’oubli.

Le groupe a écrit l’une des plus belles pages de la musique moderne du Mali avant de sombrer dans l’anonymat avec le départ de nombreuses vedettes comme Salif Kéita et Kanté Manfila (paix à son âme), Mory Kanté… Les Ambassadeurs est un orchestre formé au début des années 1970, précisément en 1969, et a bâti son succès sur «un groove lancinant orchestré par la basse, le balafon et les percussions, les cuivres aux consonances afro-cubaines et les solos d’une rare intensité». Le tout magnifié par le chant déchirant et fascinant du Rossignol du Mandé, Salif Kéita. Ces artistes talentueux et passionnés ont ambiancé les nuits de la capitale malienne avant de s’exporter à Abidjan (Côte d’Ivoire, en 1978 pour créer Les Ambassadeurs Internationaux. Aujourd’hui, ce mythique groupe est de retour dans le showbiz international. Une renaissance forgée dans la passion et la nostalgie des Salif Kéita, Cheick Tidiane Seck alias le «Black Bouddha», Ousmane Kouyaté, Idrissa Soumaoro, Amadou Bagayoko… Avec le décès de certains membres, on voit donc naturellement de nouvelles têtes comme le batteur actuel qui est Ivoirien. L’autre innovation dans le groupe, c’est la présence de deux femmes comme choristes, dont la sublime Bah Kouyaté. «Leurs voix sont enchanteresses», avoue le doyen Idrissa Soumaoro. La renaissance n’est pas fortuite. «Elle est bien sûr fondée sur l’amitié en premier lieu… C’est un plaisir de se retrouver. Chacun a travaillé en solo. Puis, récemment, on a eu envie de jouer de nouveau ensemble», expliquait Idrissa Soumaoro lors de l’un de ses nombreux entretiens avec la presse internationale.

Presque 45 ans après leur rencontre au Motel de Bamako, et tous les autres, ils se sont retrouvés et font un époustouflant retour sur scène et dans les bacs avec un somptueux opus baptisé «Rebirth» (Renaissance). Un album (World Village/Harmonia Mundi) de quatre titres sorti en juin 2015 et disponible en format CD et en vinyle. Après des carrières solo remarquables, la nostalgie les a poussés à dépoussiérer les titres sur lesquels le groupe originel a battu sa notoriété.

Un noble engagement en faveur des Albinos

À l’image d’une équipe qui gagne, on ne change pas une recette qui fait mouche et qui est la base du succès sur lequel le groupe a battu sa légende. En effet, le fond musical n’a pas fondamentalement changé car la renaissance produit toujours cette «musique africaine affranchie des conventions», mêlant tradition et modernité, style griotique et son afro-cubain. Une renaissance déjà engagée au chevet des albinos, car l’ensemble des bénéfices générés par les ventes de cet album sera reversé à la Fondation Salif Nantenin Kéita.

Une fondation dirigée par Nantenin Kéita, fille de Salif. Athlète de haut niveau (championne du monde du 400 m malvoyant, plusieurs fois médaillées aux Jeux paralympiques), la jeune albinos est aujourd’hui avocate spécialisée sur la question des droits de l’homme. C’est d’ailleurs Nantenin qui traverse au pas de course, Bamako et ses alentours, dans le beau clip du titre «Mali Denou» (Fils et filles du Mali). Une production (clip) dans laquelle on peut d’ailleurs apercevoir quelques images des Ambassadeurs des années 70. «C’est un beau projet que nous soutenons tous», souligne I. Soumaoro. Il rappelle, «je suis moi-même engagé dans un autre projet. Je donne des cours de musique à des enfants handicapés. J’aime organiser des projets collectifs, aider les autres. Beaucoup n’ont pas compris que j’aide les aveugles. C’est pourtant le crédo que nous poursuivons toujours avec Les Ambassadeurs : instruire autant qu’amuser». «Wèrè Wèrè», un autre titre phare de l’album, est sans doute un hommage rendu aux «Ambassadeurs» qui se sont définitivement éclipsés de la scène de la vie comme Manfila Kanté, Sambou Diakité, Cheikh Mohamed «Smith», Issa Niaré… «Notre tournée est un hommage à ceux partis trop tôt. On jouait toutes sortes de musique : blues, mandingue, tango, valse… Et c’est toujours le cas aujourd’hui», précise Idrissa Soumaoro. Les deux autres titres sont «Tiekolomba he» (mauvais garçon, homme irresponsable et «Ancien combattant» qui évoque le respect que l’on doit aux personnes âgées.

Visiblement, cette renaissance était très attendue car, depuis sa reformation, le groupe est très sollicité. Il a ainsi été la vedette de nombreux festivals d’été. «La musique mandingue est beaucoup aimée en Europe. Les gens s’éclatent avec nous», souligne Idrissa Soumaoro, pour expliquer ce succès. Et les Ambassadeurs repartiront en tournée cet automne avec trois dates françaises notamment à La Philharmonie de Paris, au Théâtre-Sénart/scène nationale et sur la Scène nationale du Sud-Aquitain entre le 14 et le 21 novembre 2015.  D’autres tournées sont aussi envisagées dans les mois à venir au grand bonheur des fans de la musique malienne, singulièrement mandingue !

Moussa BOLLY

 

De la passion du talent à la légende de la notoriété

«Les orchestres étaient de grandes écoles de formation musicale», nous explique souvent Idrissa Soumaoro, l’un des artisans de la renaissance. Et il sait de quoi il parle car professeur de musique. Il a ainsi été inspecteur général de musique au ministère malien de l’Education jusqu’à sa retraite en 2011.

En effet, les Ambassadeurs, comme le Rail Band, le Badema National et des orchestres des régions… ont favorisé l’émergence de toute une génération de musiciens en leur offrant des opportunités de jouer des heures durant, de se frotter à tous les styles, pour mieux tracer ensuite leur propre route. La «Renaissance» sonne alors les retrouvailles entre une bande de «vieux copains» qui se connaissent depuis toujours. Le maestro Idrissa Soumaoro rappelle fréquemment à la presse que c’est Cheikh Tidiane qui accompagnait chez lui Amadou Bagayoko, au début des années 1970, et que c’est sur le piano de son salon qu’il s’exerçait.

«J’étais déjà professeur de musique à l’époque, je l’ai aidé à prendre confiance : il avait les doigts faits pour ça», précise-t-il dans un entretien accordé à la presse internationale. Bien avant les Ambassadeurs Internationaux à Abidjan (en 1978), Salif Kéita et Cheikh Tidiane faisaient partie du Rail Band, l’autre formation mythique de la capitale malienne. «On était tous copains, de la même génération. Nous souhaitions rénover la musique malienne. Il y avait une saine émulation et une vraie synergie entre les deux orchestres, les Ambassadeurs et le Rail Band…», se souvient le «Black Bouddha» (Cheikh Tidiane Seck). Comme le dit si pertinemment un confrère, le mythe a refait surface grâce à des compagnons de route, amis, ex-rivaux parfois qui, en quatre décennies, ont vécu des aventures communes, monté des groupes, partagé des soirées au Grin, des cachets, des causeries, des scènes et des chambres d’hôtel… «On se connaît, quoi. Si nous avons eu l’envie de remonter les Ambassadeurs, c’est par plaisir, pour retrouver nos sensations de jeunes hommes», reconnaît Cheick Tidiane. Il ajoute, pour justifier la renaissance, «les Stones n’ont jamais arrêté. Un groupe comme Kassav non plus, malgré les carrières solo de chacun de ses membres. Pourquoi ces grands orchestres devraient mourir ?… Nous voulions faire plaisir à nos fans et dire à tous ceux qui nous ont quittés, que nous ne les oublierons jamais».

Et au finish, admet Idrissa Soumaoro, «cette reformation, ça nous a fait beaucoup de bien à tous ! Certains d’entre nous ne vivaient pas dans de très bonnes conditions matérielles… Je pense au tumbiste, Modibo Koné, qui a plus de 70 ans. Il vivait à Koulikoro à quelques kilomètres de Bamako. Depuis la fin des Ambassadeurs, il a touché à un peu de tout, il faisait le mécanicien, le chauffeur… Mais vraiment, ça fait plaisir de le voir revenir et sauter derrière ses congas, comme à l’époque». Cette renaissance est aussi la preuve que les légendes ne meurent jamais !

Moussa BOLLY

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