Le guide libyen, Tyran ou Mécène : Entre Géostratégie et Real Politik !

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Comme il se plaisait à le dire : « je suis né sous une tente bédouine dans le désert de Syrte le 7 juin 1942 ». Mouammar Kadhafi, fils de berger de la tribu des Kadhadfa, reçoit une éducation religieuse rigoureuse avant d’entrer dans l’armée en 1965.
L’histoire d’homme d’état de Kadhafi débute en 1969… un jeune capitaine de 27 ans accède au pouvoir au travers d’un putsch militaire contre la monarchie du Roi Idriss qu’il traite de « dictature ». Un coup d’Etat populaire sans effusion de sang.

Sa ligne politique
Des son accession, le jeune capitaine se positionne comme un révolutionnaire ayant comme modèle idéologique Gamal Abdel Nasser, leader révolutionnaire à la tête de l’Egypte d’après indépendance…
Ensemble, ils prônent trois concepts de base résumant l’objet même de leur idéologie :
L’Unité arabe, la lutte contre l’impérialisme occidental et une Hostilité affichée et soutenue face à Israël et à tous ses alliés.
Selon leur théorie, les principaux moyens d’influence de l’Impérialisme occidental se matérialisent par : la présence de leurs bases militaires et l’assujettissement et une dépendance volontaire aux aides économiques.

Sa Géostratégie
Pour marquer le coup et mériter une place de choix au sein du monde arabe, hostile à Israël et à ses alliés, Kadhafi demande aux Etats Unis de retirer leur base militaire de la Lybie…
Les enjeux sont si importants (pétrole, gaz, géostratégie) que les Etats – Unis refusent néanmoins de rompre les relations diplomatiques et économiques avec la Lybie. A cela, il faudrait souligner que nous sommes en période de pleine guerre froide et que les américains ne veulent pas laisser le terrain à une Russie qui cherche des positionnements stratégiques en Afrique.
Kadhafi devient gourmand et veut prendre la tête de l’Union Arabe composée alors de l’Egypte, la Tunisie, la Syrie mais la confiance est renouvelée à Nasser et il refuse de participer à la guerre du Kippour scellant du coup le sort de la coalition arabe à une défaite cuisante contre l’ennemi commun de l’Union Arabe, Israël.
Pour mémoire Israël avait annexé le Sinaï déjà en 1967 lors de la guerre dite des « six jours » contrôlant ainsi du plateau Syrien du Golan.
En 1973, sous le commandement de Hosni Moubarak, l’Egypte attaque Israel avec l’aide de l’Irak, du Maroc, du Soudan, de la Jordanie et de l’Union arabe naissante, pour récupérer l’intégralité du territoire égyptien d’avant guerre. L’armée israélienne riposte et envahit l’Egypte. La communauté internationale s’en mêle et un traité de paix est signé restituant la péninsule du Sinai à l’Egypte qui recouvre son intégrité territoriale et sa fierté.
La rupture est affichée en 1977 quand Saddat accepte la signature de ce traité avec Israël. A partir de là Kadhafi va porter la voix de la Palestine, il milite désormais pour la cause Palestinienne.
Kadhafi deal avec la France pour équiper son armée, il veut devenir la première puissance militaire de la zone arabe et subsaharienne. Pendant ce temps il se rapproche du bloc soviétique pour profiter de la balance de la guerre froide.

Kadhafi le Parrain
Pour mener son combat, il va réunir autour de lui toute une panoplie de militants idéologiques de toute sorte : personnalités politiques, organisations terroristes, magnats et hommes d’affaires) comme entre autres : Yasser Arafat (président de l’OLP), le FPLP (fer de lance du terrorisme palestinien). Pendant qu’il finance certains, il en accueille d’autres comme Abou Nidal et le charge de d’entrainer les groupuscules touarègues dissidents des premières rebellions d’après indépendances et originaires du Mali, du Niger, du Tchad et du Burkina. Ces derniers sont recueillis en Lybie, ont droit à un permis de séjour et naturalisation pour les plus qualifiés. Ils sont entraînés aux métiers de la guerre et servent dans les milices de Kadhafi.
Il bâtit un véritable réseau terroriste international et va jusqu’à éliminer physiquement des opposant libyens en Occident comme en Angleterre et en France.
Il est déjà en ce moment la parrain et l’hôte des groupuscules touarègues ayant fuit les différentes rebellions de la zone. Il les accueille, les naturalise, les formes aux métiers de la guerre entre autres. Ceux là vont former sa milice privée tantôt pour assurer sa sécurité, tantôt pou assurer diverses missions de convoyage de stupéfiants, d’armes ou de soutiens aux groupuscules mouvements armés dissidents de la région. Leur baptême de feu sera d’ouvrir le front de guerre au nord du Tchad qu’il annexe en 89 et y installe des bases militaires et des camps d’entrainement.

Kadhafi et le terrorisme International
En Décembre 1985, le réseau terroriste frappe à Vienne et à Rome par la main d’Abou Nidal, devenu l’ennemi public numéro Un aux yeux de l’occident. Pour la première fois, des américains sont tués. Les services secrets libyens sont pointés du doigt.
En Avril 86, l’organisation terroriste frappe de nouveau à Berlin et 3 soldats américains sont tués.
Les services secrets britanniques interceptent une communication des terroristes lors d’un échange avec l’ambassade libyenne.
En Décembre 1988 un avion de la Pan American s’écrase au dessus d’un village écossais. C’est le début de l’affaire Lockerbie avec 270 victimes mortelles.
Pendant que les enquêtes sont en cours, un an plus tard, un DC 10 de la compagnie Air France explose en vol et fait 170 victimes. La piste terroriste est privilégiée. Après deux ans d’enquête, les services français, américains et britanniques impliquent les services secrets libyens. Les services secrets syriens sont également cités dans l’affaire mais l’Amérique ne voulait certainement pas nouveau scandale avec la Syrie depuis l’incident Pandarabas – Dubaï (un avion syrien abattu « par erreur » par US NAVY »)

Kadhafi et l’Amérique : Je t’aime, moi non plus
Aux lendemains de la fermeture de la base militaire américaine par Kadhafi, les américains ne rompent pas les relations diplomatiques avec la Lybie mais vont jusqu’à lui éviter des coups d’état entre 1969 et 1971 via les renseignements de la CIA. La psychose commence à prendre et s’annonce une longue période d’exécutions sommaires au nom de complots justifiés par la psychose du mal qu’ils ont eux même semé le long de leurs parcours. Ensuite, advient la tribalisation de l’armée majoritairement constituée de sa tribu ça aussi suscité par cette même psychose de l’ombre de la trahison qui plane puisque lui même aura trahi pour venir au pouvoir.
A la suite de Rome et Vienne, Kadhafi approuve et soutient les attentats au nom de du soutien à la « Palestine et contre Israël et tous les amis d’Israël ».
La riposte de Ronald Reagan, président US d’alors, est sans appel. il bombarde les côtes libyennes et abat des avions libyens venus à la riposte.
Au nom de la lutte contre le terrorisme et jouant la carte du dégel de la guerre froide, Reagan obtient de Gorbatchev (président russe) le refus d’admettre la signature et l’adhésion de la Lybie au Pacte de Varsovie car ce pays et son dirigeant est dans leur collimateur.
Quand survint l’attentat de Berlin, l’aviation américaine frappe en plein cœur de Tripoli depuis l’Angleterre en bombardant le palais de Kadhafi. Bilan : 01 mort et plusieurs blessés. Le message de l’Amérique est clair : « Nous ne tolèrerons plus le soutien de Kadhafi au terrorisme international ».
Pour souffler le guide libyen abandonne les armes et s’adonne à la communication.
Quand survint, le blocus de l’ONU sur les armes, l’aviation et autres, Kadhafi est obligé de tendre la main encore une fois aux américains pour la levée du blocus.

Kadhafi et les Nations Unies
Suite à l’implication avérée de libyens dans la double affaire Pan Am et Lockerbie, les Nations Unies adhèrent à la requête de mettre la Libye sous embargo (économique, militaire, aérien…). Une seule condition est exigée par l’organisation : « Kadhafi doit reconnaître la responsabilité de la Lybie et livrer les accusés ». Il refuse et se soumet à l’embargo.
Peine perdue, après près d’une trentaine d’années d’embargo, Kadhafi accepte

Kadhafi et Al Qaida
Pendant ce temps, un groupuscule armé commence à trafiquer dans la zone de non droit et prête main forte au plus offrant (Etats, milices, rebellions, trafiquants). C’est le début d’Al Qaîda qui sévit à l’Est de la Lybie que Kadhafi a du mal à contrôler sous le poids de l’embargo.
Il demande à plusieurs reprises le soutien des USA pour éradiquer le mal mais en vain. « Il est mieux à l’écart » diront certains.
A défaut de soutien, il les entretient, les emploient eux aussi à entrainer et encadrer les milices touarègue dont il est le parrain malgré la récession.
Ainsi, pour palier aux conséquences du blocus, il s’organise avec AQMI et ses milices touarègues d’origines diverses (Mali, Niger, Tchad) pour convoyer et entretenir le corridor de la drogue. C’est le début de la création de la zone de non droit de la bande sahélo saharienne. Les relations vont vite se détériorer de nouveau.
Quand AQMI frappe aux USA le 11 septembre 2011, Kadhafi revient sur la scène diplomatique internationale en condamnant fermement et officiellement l’attentat.
Il faut reconnaître que la Lybie avait été le premier à évoquer la menace AL Qaida à l’est de son pays et avait lancé un mandat d’arrêt contre Ben Laden déjà deux ans auparavant.

Le dégel : entre concessions et jeux d’intérêt
Premier pas, Kadhafi s’engage devant l’émissaire britannique à respecter les résolutions des Nations Unies.
Comme arme de pression économique, il invite les compagnies pétrolières américaines à « revenir en Lybie ». Il leur propose sur un plateau les anciennes concessions abandonnées ou retirées après la fermeture de la base américaine en XXXX. Au même moment, il fait des propositions aux exploitants pétroliers britanniques concernant la délivrance de nouveaux permis d’exploitation pétrolière.
Du coup, le lobby du pétrole s’en mêle et fait pression sur Washington et Londres car pour exploiter le pétrole libyen, il faut la levée du blocus. En plus de l’appui de sas alliés africains, il vient de se procurer deux autres lobbies puissants pouvant influer sur les décisions politiques de l’occident.
Le dégel Lybie – Occident est consommé quand il accepte de livrer les deux principaux accusés des attentats de Lockerbie dont l’un d’eux est libéré faute de preuve et le deuxième condamné en perpétuité avec en prime de dédommagement de 10 millions USD par famille de victime.
Concernant l’affaire DC 10 d’UTA, les concessions sont maigres d’un point de vue juridique : un jugement par contumace pour les 6 accusés même condamnés à perpétuité avec un maigre dédommagement allant de 1.500 à 30.000 euros par famille de victime même si d’autres accords ont été négociés en coulisse. La France adhère à la levée des sanctions de l’ONU en avril 1999.
Contre toute attente, aux lendemains de la capture de Saddam Hussein, Kadhafi décide d’abandonner son programme de destruction massive de façon volontaire. Peut être par peur de devoir s’attirer encore une fois la foudre du tout nouveau et jeune président Georges Bush Jr qui avait présenté dans la foulée sa fameuse politique de Tolérance Zéro contre les armes de destruction massive et dont le dictateur irakien en avait payé les frais.
En tout cas, le jour même Bush et Blair s’en félicitent lors d’allocutions télévisées.

La communication comme véritable outil de positionnement géostratégique
Craignant une nouvelle attaque des Etats Unis contre sa personne, Kadhafi s’attaque aux médias internationaux et se présente comme victime da la barbarie américaine dans le tiers monde. La stratégie de « David contre Goliath » porte ses fruits encore une fois et Kadhafi passe pour une victime aux yeux du monde. On se rappelle encore de l’image d’un Mouammar Kadhafi serein entre les décombres de son palais bombardé et également l’image de sa petite fille isolée dans une couveuse, avec des tubes de respiration et des bandages, victime du bombardement américain.
Pendant ce temps, il travaille à asseoir son image intérieure en durcissant ses discours qui sont de plus en plus menaçant envers l’occident mais ciblée sur une opinion nationale et les médias locaux, qui d’ailleurs sont tous étatiques
Son premier coup médiatique, il l’avait réussi en chassant l’armée américaine de ses terres. Cela lui permet non seulement de gagner la sympathie de l’opinion nationale qui voyait en cette base un allié et un soutien à la dictature déchue du roi Idriss. Aussi, ça lui a permis de réaffirmer sa position et gagner rapidement des galons au sein de cette naissante union arabe qui se prévalait de combattre Israël et tous les alliés d’Israël.
Le deuxième coup, en mon sens, il le réussit quand il refuse de participer à la guerre du Kipur, il soigne de par là même l’image d’un dirigeant « incontrôlable », et de « va t’en guerre » que l’Amérique s’était donnée tant de mal à construire autour de lui auprès de l’opinion internationale. Kadhafi n’était peut être pas important mais il avait compris que tout ce qui touchait Israël serait vu de tous. Comme à son habileté, pendant qu’il soigne son image à l’international, il réaffirme son soutien ouvertement à la Palestine, s’engage à combattre Israël et ses alliés « maléfiques » au sein de l’opinion nationale libyenne et d’union arabe naissante.
Quand il accepte par la suite de se plier aux résolutions des nations unies et abandonne son programme d’armement de destruction massive après avoir collaborer activement avec la CIA et les services britanniques dans la lutte contre le terrorisme, il bâtit désormais sa communication et son imager autour de ses relations privilégiées avec ses grands qui l’ont autrefois combattu. Le message adressé à l’opinion nationale est sans équivoque : « Même un fou sait qu’il faut arrêter de se battre quand l’ennemi est vaincu »’. il reçoit à tour de bras des leaders politiques, des chefs d’état et de gouvernement, des investisseurs et fait la une des médias internationaux à chaque fois conseillé par des experts américains.
Il arrive à faire signer à Blair les contrats juteux de plusieurs dizaines de milliards d’euros accordé à Shell et BP. Le dictateur marginal d’hier est devenu fréquentable à la force de ses moyens de pression économique.
Le cas des infirmières Bulgares travail à lui donner une image et lui permet de décrocher une invitation officielle pour une visite d’état en France.

Kadhafi et l’Afrique subsaharienne
La politique du guide libyen pour cette partie de l’Afrique comporte les mêmes préceptes de double jeu dont il est si friand.
D’abord, il se positionne comme le principal bailleur de fonds de l’ombre des chefs d’état de la zone, il est pourvoyeur de devises en finançant d’innombrables projets d’investissement économique et à caractère humanitaire. Il investit surtout dans les secteurs de l’hôtellerie, de l’aviation, de l’agriculture… pendant ce temps il entretient et finance les groupuscules Touaregs pour entretenir l’insécurité dans le corridor du trafic de la drogue et des armes
Quand la guerre éclate en Lybie, Sarkozy pousse le MNLA à retourner sa veste afin de s’investir dans la lutte armée auprès du CNT dissident (Conseil National de Transition) contre Kadhafi. Les groupes djihadistes et islamistes (dont AQMI) quant à eux, fidèles à leur ligne directrice de combattre l’impérialisme occidental décident de soutenir Kadhafi.
Certains accusent le Mali d’ATT d’avoir envoyer Iyad Ag Ali et ses milices se battent aux côtés de Kadhafi avec comme promesse : rémunération pécuniaire, insertion dans l ‘armée libyenne à la fin de la guerre ou dans l’armée malienne pour ceux qui le souhaiteraient. Kadhafi perd la guerre et Ansar Dine se représente aux frontières du Mali avec armes et combattants. On connaît la suite.

Kadhafi, victime de son arrogance
Kadhafi a gagné en assurance, il avait déjà réussi à défier l’occident à plusieurs reprises. Cette fois – ci il décide d’humilier son hôte en traitant Sarkozy de menteur devant les médias. Ensuite il refuse d’honorer ses engagements sur les contrats commerciaux et d’armements annoncés auparavant par Sarkozy.
Or pour revenir à l’affaire du DC 10, la France avait accepté le jugement par contumace et une enveloppe substantielle de dédommagement aux familles des victimes en échange de promesses justement sur ces contrats commerciaux. Contrairement à la Grande Bretagne ou aux Etats Unis, la France n’avait pas non seulement pas eu droit à un jugement digne de ce nom, les familles sont restées sur leur faim et venait d’être humiliée aux yeux du monde.
Or les USA et la Grande Bretagne avaient donné leur caution pour engager la France sur cette voie.
Kadhafi aurait – il oublié que ces gens ont déjà partagé l’Afrique et le monde depuis Yalta ?
Les armes de la France seront bel et bien vendues conformément aux accords des trois grands mais cette fois – ci au CNT pour mener la guerre à leur meilleur ennemi car l’humiliation est de trop.
Finalement après sa traversée du désert durant le blocus, Kadhafi a réussi à se tailler une place de choix sur l’échiquier politique et économique international sur fonds de prestige et de reconnaissance avant de se perdre dans son arrogance.

Kadhafi et son « Touareg Land »
Kadhafi a toujours aidé et soutenu les Touaregs de la bande sahelo sahelienne. En retour le dictateur déchu a toujours su compter sur leur soutien pour ces opérations de convoyage ou de déstabilisation.
des milliers de kilomètres carrés de désert et des frontières à portée de main.
“Le Grand Reporter” affirme « qu’il a mis une fortune à l’abri au Niger et enterré de l’or et des dollars dans des caches au creux des dunes. Il a une petite armée là-bas, des fidèles qui ont fui les rebelles et des populations touarègues » qui n’ont plus là où aller et qui ont décidé de se créer un Etat Touareg au Nord avec leurs complices du MNLA.
Selon certaines sources, il prévoyait fédérer la partie désertique du Sud de la Libye et de l’Algérie, l’extrême nord du Mali, du Niger et de la Mauritanie, créer un gouvernement avec drapeau et armée touarègue.
Une chose est sûre, le Mali paye aujourd’hui les frais de son projet « Touareg Land ».
Nous y reviendrons !

Boubou Doucouré
Consultant en Communication & Relations Publiques
Ecrivain

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