Election américaine : à Washington, la transition a déjà commencé

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Barack Obama accueille Donald Trump à la Maison Blanche moins de 48 heures après sa victoire à l'élection présidentielle
AFP

Alors que, pendant des mois, il n’a cessé de stigmatiser la vulgarité et l’amateurisme de Trump, Obama fait le choix de la conciliation avec son successeur à la Maison Blanche.

Barack Obama a deux rendez-vous à son agenda, jeudi 10 novembre. Dans l’après-midi, il recevra l’équipe des Cavaliers de Cleveland, afin de la féliciter pour son premier titre de la NBA, la principale ligue nord-américaine de basket-ball. Plus tôt dans la matinée, il devra sacrifier à un rite devenu autrement moins agréable du fait de l’issue de l’élection présidentielle : la réception de son successeur, le républicain Donald Trump.

Le magnat de l’immobilier ne se rendra pas seul au 1600 Pennsylvania Avenue, à deux pas de l’hôtel de luxe qu’il a ouvert récemment. Il sera accompagné de sa femme Melania, remarquablement discrète pendant la campagne et qui s’apprête, elle, à succéder à Michelle Obama comme First Lady.

Pendant des mois, le président démocrate n’avait pas manqué une occasion de stigmatiser l’amateurisme, la vulgarité et l’agressivité déployés selon lui par le milliardaire. Au terme d’une folle campagne hachée par les attaques ad hominem et les scandales, M. Obama a immédiatement changé d’attitude et adopté un ton conciliant.

« Plafond de verre »

C’est au beau milieu de la nuit de mardi à mercredi, alors que M. Trump s’apprêtait à prononcer une brève allocution de victoire, dans un grand hôtel de New York, que le président a contacté le milliardaire pour le féliciter. L’adversaire de ce dernier, Hillary Clinton, avait fait de même, reconnaissant ainsi sa défaite.

Le président et son ancienne secrétaire d’Etat en ont pris publiquement acte au cours de deux discours, prononcés en milieu de journée. Entourée de sa famille et de celle de son colistier, Tim Kaine, Mme Clinton s’est exprimée la première, à New York, encore sous le coup d’un revers qu’elle n’avait manifestement pas du tout anticipé, et qui signe certainement la fin de sa carrière politique. « C’est douloureux, et cela va rester ainsi pour un certain temps », a-t-elle concédé, luttant contre l’émotion.

Comme en 2008, lorsqu’elle s’était heurtée à M. Obama dans la course à l’investiture démocrate, elle a regretté de ne pas avoir été capable « de briser le plus haut et le plus dur des plafonds de verre ». « Mais, un jour, quelqu’un le fera et, espérons-le, plus tôt qu’on ne l’imagine », a-t-elle voulu croire.

Mme Clinton a ensuite invité son camp à tourner la page de l’élection, et à faire bon accueil à celui qui l’amenacée de prison pendant la campagne. M. Trump avait également évoqué la nomination d’un procureur spécial pour enquêter sur les controverses liées à l’utilisation d’un serveur privé pendant son passage au département d’Etat, ou aux activités de la fondation créée par son mari, l’ancien président Bill Clinton.

« Nous devons accepter ce résultat et nous tourner vers l’avenir. Donald Trump va être notre président et nous lui devons d’être ouverts d’esprit et de lui donner sa chance de diriger, a plaidé MmeClinton. J’espère qu’il va réussir en tant que président de tous les Américains. » Alors que le magnat de l’immobilier avait menacé de ne pas reconnaître les résultats en cas de défaite, et dénoncé préventivement une élection « truquée » et la « fraude », Mme Clinton n’a pas même mentionné sa victoire, purement symbolique, au niveau du vote populaire – elle a obtenu plus de voix que son adversaire à l’échelle nationale.

L’ancienne secrétaire d’Etat a insisté sur la « valeur sacrée » que revêt, selon elle, le« transfert pacifique du pouvoir », rappelant incidemment des principes de liberté religieuse et d’égalité entre citoyens parfois malmenés par M. Trump pendant la campagne. Elle a longuement salué, par la suite, les membres de son équipe de campagne, s’attardant parmi les visages défaits, aux yeux parfois rougis.

Faire bonne figure

Quelques minutes plus tard, avec son vice-président, Joe Biden, à son côté, M. Obama a pris la parole à son tour dans le Rose Garden de la Maison Blanche, à Washington, devant d’autres mines sombres, celles de ses collaborateurs massés sur la pelouse ou dans les travées des jardins. Comme Mme Clinton, il s’est efforcé de faire bonne figure face à un résultat qui menace directement une partie de son bilan de président, et va installer dans le bureau Ovale celui qui avait entretenu pendant des mois la suspicion sur son lieu de naissance, alimentant ainsi un procèsen illégitimité, puisqu’il faut être un « citoyen né américain » pour pouvoir briguer la présidence.

« Nous ne sommes pas d’abord des démocrates, ou d’abord des républicains. Nous sommes d’abord des Américains (…). Nous voulons tous ce qu’il y a de mieux pour ce pays. C’est ce que j’ai entendu dans les propos de M. Trump hier soir. C’est ce que j’ai entendu lorsque je lui ai parlé directement. Et ça m’a encouragé. C’est ce dont le pays a besoin : un sentiment d’unité, d’inclusion, le respect de nos institutions », a estimé M. Obama, qui a espéré que le futur président « maintiendra cet esprit tout au long de cette transition ». « Nous souhaitons tous son succès pour unir et diriger les Américains », a-t-il ajouté.

Dans la journée, la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, qui s’est vivement heurtée à M. Trump pendant la campagne, lui a proposé publiquement de « mettre de côté » leurs différences. Une autre figure de cette gauche, le sénateur indépendant du Vermont Bernie Sanders, candidat malheureux à l’investiture démocrate, a assuré être « prêt à travailler avec lui », si M. Trump « entend vraiment mener des politiques visant à améliorer la vie des familles de travailleurs dans ce pays ».

Pendant que le camp démocrate s’appliquait à cet exercice de civisme, avant de s’engager dans l’examen sans doute douloureux de la défaite, M. Trump est resté silencieux mercredi. Il a passé la journée au téléphone avec des responsables étrangers, qui l’ont félicité pour sa victoire, dont le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, d’ores et déjà invité à Washington.

M. Trump a également reçu les félicitations et les encouragements des deux derniers présidents républicains, George H. W. Bush et George W. Bush, qui l’avaient ostensiblement boudé pendant la campagne, évitant par exemple de se rendre à la convention républicaine de Cleveland. Le speaker (président) de la Chambre des représentants, Paul Ryan, qui entretient des relations délicates avec M. Trump, du fait de différences programmatiques sensibles, a jugé, dans une démarche de conciliation, que le milliardaire disposait désormais d’« un mandat » et s’est déclaré prêt à travailler avec lui. « Il est temps de panser les plaies et de s’unir », a-t-il ajouté.

Radicalement opposé au programme protectionniste de M. Trump, le président de la Chambre de commerce américaine, Thomas Donohue, lui a également adressé un message de félicitations.

« Les fourches et les torches »

L’ampleur de la tâche fixée à celui qui reçoit désormais les mêmes briefings sur la sécurité que le président est considérable. Contrairement à Mme Clinton, qui avait quasiment bouclé son administration en s’appuyant sur une parfaite connaissance de Washington, M. Trump, faute d’une expérience préalable à un poste électif, part pratiquement de zéro. Il a publié pendant la campagne des listes de soutiens obtenus d’anciens responsables, sans avoir mis sur pied une véritable équipe d’experts militaires, ou de spécialistes des relations internationales.

Il n’a pu s’appuyer, pendant sa campagne, que sur l’ancien maire de New York, Rudy Giuliani, 72 ans, que son passé de procureur pourrait pousser à la justice ; sur l’ancien speaker de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, 73 ans, un éventuel secrétaire d’Etat ; et sur Jeff Sessions, 69 ans, élu de l’Alabama et membre de la commission des forces armées du Sénat. L’avenir du responsable de l’équipe de transition de M. Trump, Chris Christie, est compromis par les condamnations qui ont visé deux de ses anciens collaborateurs, mêlés à un scandale dans le New Jersey.

Dans les dernières semaines de la campagne, les supporteurs les plus virulents du magnat de l’immobilier avaient menacé de « prendre les fourches et les torches » en cas de défaite, à une époque où M. Trump insistait lourdement sur le trucage, à ses dépens, de l’élection. Mercredi soir, ce sont au contraire des adversaires de l’homme d’affaires qui ont défilé pacifiquement dans de nombreuses villes, à New York comme en Californie, pour protester contre son élection. Les Etats-Unis « sont plus divisés que nous ne le pensions », avait constaté Mme Clinton, quelques heures plus tôt.

LE MONDE | 10.11.2016 à 06h36

Par Gilles Paris (Washington, correspondant)

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1 commentaire

  1. C’est surtout contre Trump qu’il faudrait concentrer les poursuites car il risque bien de mener ce monde à la guerre totale

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