“Si Zelensky a réellement tenu ces propos, cela montre que sa position est en train d’évoluer”, estime Roger Housen. “Je pense que des dirigeants européens comme Meloni, Tusk et Starmer, mais aussi le vice-président américain JD Vance, lui ont parlé ces derniers jours: “Volodymyr, si tu veux un cessez-le-feu, il va falloir faire preuve de réalisme.” Que sera-t-il prêt à concéder – temporairement ? Car une cession définitive, impliquant un transfert légal ou de jure de territoire à la Russie, Zelensky ne l’acceptera pas. En revanche, si l’accord consiste à geler la ligne de front en échange d’une occupation temporaire de certaines zones par la Russie, il pourra se montrer accommodant. Il sait en effet que les Russes continuent d’avancer sur le champ de bataille, conquérant chaque mois environ 550 km².”
Un front gelé doit cependant être maintenu et surveillé, ce qui est loin d’être simple, rappelle l’ancien officier: “Cela nécessite des satellites fournissant du renseignement stratégique, des avions espions, des drones et des radars longue portée, des avions ravitailleurs et de commandement – et pour cela, il faut les Américains. La question est donc de savoir dans quelle mesure les États-Unis seront prêts à signaler chaque mouvement de la ligne de front.”
“Il ne fait aucun doute que nous verrons des accusations mutuelles de violer le cesser-le-feu, et que la Russie affirmera très vite que les Ukrainiens ont outrepassé les frontières, ce qui justifierait, selon elle, une avancée supplémentaire. Il faudrait, en outre, une force de sécurité sur le terrain. Trump a déjà indiqué que ce serait une mission pour l’Europe, mais nous ne disposons pas d’une telle force. Si les Américains ne donnent pas de garanties qu’ils interviendront militairement si nécessaire, les pays européens auront peu envie de déployer leurs propres troupes.
Poutine se rend peut-être compte qu’il devra faire un geste s’il veut sortir de son isolement, normaliser ses relations avec les États-Unis et voir la fin des sanctions américaines
Zelensky exigera également des garanties de sécurité: des livraisons d’armes occidentales et la perspective d’une adhésion à l’OTAN. Mais ces exigences ne seront pas rapportées par Trump lorsqu’il négociera vendredi en Alaska avec Poutine, estime Housen. “L’adhésion à l’OTAN, il ne la défendra certainement pas, et il renverra la balle des garanties de sécurité à l’Europe.”
Vers un référendum en Ukraine?
Avant tout, Zelensky devra convaincre sa population d’accepter l’idée d’une cession de territoires. Il devra donc composer de manière créative avec sa propre Constitution, qui stipule que tout abandon de territoire doit être approuvé au préalable par les Ukrainiens lors d’un référendum national.
“Zelensky a toujours exclu l’idée de céder du territoire, mais l’Europe lui fait maintenant comprendre qu’il n’a pas d’autre choix”, résume Housen. “Cette pilule amère est enrobée de promesses: la Russie n’occuperait les quatre provinces du Donbass que temporairement, et l’Europe comme les États-Unis continueraient à soutenir Kiev sur les plans économique et militaire. Mais savoir si Zelensky peut convaincre sa population d’abandonner des terres à l’agresseur après trois ans et demi de combats, c’est la question à un million.
“Par ailleurs, il faut voir à quel niveau Poutine placera la barre. Comptera-t-il sur les exigences qu’il répète depuis des années: démilitarisation de l’Ukraine, changement de régime à Kiev et refus définitif de l’adhésion à l’OTAN? Son objectif ultime reste que l’Ukraine devienne un État vassal de la Russie, renonçant à sa souveraineté. Poutine maintiendra-t-il ses demandes en Alaska? Il sait probablement qu’il devra faire un geste s’il veut sortir de son isolement, normaliser ses relations avec Washington et obtenir un allègement des sanctions américaines. Ce geste pourrait être un cessez-le-feu temporaire ou partiel, avec un accord selon lequel les deux camps cesseraient de frapper les infrastructures de l’autre. Je pense que Poutine se satisfera de la reconnaissance implicite qu’il occupe du territoire ukrainien. Il cherchera à gagner du temps et offrira à Trump un petit trophée en ne revenant pas avec ses exigences maximales.”
Zelensky reconnaît quant à lui que ses forces ne peuvent pas reprendre militairement les zones occupées par la Russie, mais affirme qu’après un accord, récupérer certaines d’entre elles par les voies diplomatiques restera possible. Quelle est la faisabilité d’un tel scénario?
“Le scénario le plus optimiste serait une copie de ce qui s’est passé avec l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale”, avance l’ancien militaire. “L’Allemagne nazie avait alors été divisée en deux: d’un côté, la RDA intégrée au Pacte de Varsovie, et de l’autre, la RFA sous influence occidentale. Quarante ans plus tard, cette séparation, qui semblait définitive et incarnée par le mur de Berlin, a disparu, et l’Allemagne a été réunifiée.”
“C’est le scénario le plus réaliste pour l’Ukraine: la partie occidentale du pays se rapproche de l’Europe et devient à terme membre de l’Union européenne, tandis que la partie orientale reste d’une manière ou d’une autre sous contrôle russe. Le scénario le plus porteur d’espoir serait qu’à terme, l’Ukraine redevienne, comme l’Allemagne, un pays unique et indivisible. Dans les semaines à venir, Zelensky présentera sans doute un discours de ce genre. Mais est-ce possible? Nul ne sait quelle sera l’évolution de la Russie d’ici 2050, tout comme nul n’avait imaginé pendant des décennies que l’Union soviétique s’effondrerait.”
En attendant, l’Europe pose une condition à tout éventuel accord: que l’Ukraine elle-même y consente. Sans l’approbation de Kiev, il n’y aura pas d’accord, a affirmé la représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Kaja Kallas. “Mais personne ne l’écoute, et surtout pas Trump”, rappelle Housen. “L’Europe reste sur la touche et agit de façon pathétique. Elle voudrait participer aux négociations en Alaska, mais cela n’arrivera pas. Au mieux, elle obtiendra une visioconférence avec les dirigeants européens après coup.”
“Nous vivons dans un monde hyperréaliste où Poutine, Trump et Xi Jinping n’écoutent que le langage de la force, et l’Europe en est dépourvue. Elle peut bien poursuivre le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE, maintenir les sanctions contre la Russie et continuer à soutenir militairement l’Ukraine. Mais elle n’a aucun levier pour influencer Washington dans un sens ou dans l’autre. Au final, l’Europe devra supplier les États-Unis de l’aider, car, comme je l’ai déjà dit, un cessez-le-feu doit être surveillé, et la capacité militaire nécessaire à cette surveillance, les Européens devront poliment la demander aux Américains.”
Source: https://www.7sur7.be/