De l'ADJ et de l'Accord d'Alger : signe d'un nouveau paysage politique ?

A moins d'un an de la fin du quinquennat du Président Amadou Toumani Touré, l'actualité, tout d'un coup, s'est emballée en rythme et en intensité. De nouveaux discours, de nouveaux acteurs ont surgi, rompant cet air bonhomme d'une...

29 Août 2006 - 09:31
29 Août 2006 - 09:31
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A moins d'un an de la fin du quinquennat du Président Amadou Toumani Touré, l'actualité, tout d'un coup, s'est emballée en rythme et en intensité. De nouveaux discours, de nouveaux acteurs ont surgi, rompant cet air bonhomme d'une action de grâce qui dure depuis quatre ans. Il  est dommage que nous ne soyons pas en pays de sondage pour apprécier  l'impact réel de cette tournure du débat sur le crédit de l'équipe au pouvoir,  dont en premier lieu, celui du Président de la République lui-même.

La  création de l'Association pour la Démocratie et la Justice et les lancinantes prises de position sur l'Accord d'Alger auxquels se résume l'actualité sont-elles une lame de fond, indicatrices d'un nouveau paysage  politique malien, ou s'inscrivent-elles dans le rite de ces années préélectorales  où tout a vocation à être grossi, voire dramatisé ? Portent-elles, dans  leur sillage, un jugement de plus grande ampleur sur le type de gouvernance  de ces quatre dernières années et ses résultats ? Analyse de Pascal Baba Couloubaly.

Concernant le premier point, la création de l'Association pour la Démocratie et la Justice a surgi comme sifflant la fin de la recréation  du «consensus» par lequel le Mali s'est signalé à l'attention des  analystes politiques du continent. Ledit consensus pouvant se définir comme uneadhésion explicite de la presque totalité de la classe politique au programme de gouvernement d'un leader qui a justement fondé sa  candidature

et sa campagne sur le rejet de toute classe politique. Un peu comme le dictateur de la Rome antique dont tous convenaient de la nomination  pour sauver la cité en danger. Bien que les textes fondateurs de l'AJD  n'aient pas stigmatisé une autocratie caractérisée, de nombreuses contributions  de ses militants et sympathisants ont induit l'idée qu'ATT en serait l'architecte émérite dans l'idée d'un pouvoir sans partage. Mais la situation de consensus est-elle imputable à ATT ? A-t-elle signifié l'anéantissement des partis politiques comme on le soutient depuis  quatre ans ? Telles sont les vraies questions que l'on peut se poser.

Une certitude : aucun homme ne peut décréter le consensus. Il naît  d'une situation ou il s'impose comme la seule alternative sinon au chaos, du moins au désordre et à l'incertitude. Le consensus était un terme prévisible à la violence politique qui a caractérisé le double  quinquennat d'Alpha Oumar Konaré ; violence des partis constamment lancés dans des surenchères sans fin, au point d'en lasser les protagonistes et d'exaspérer le peuple tout entier. On sait que dans toute démocratie,  la bipolarisation excessive de la classe politique, jusqu'à faire  disparaître un centre stabilisateur constitue un dangereux élément de déséquilibre.

Qui plus est, les partis politiques maliens, depuis 1992, ont prouvé  leur totale incapacité à se donner une orientation programmatique qui  pourrait leur servir d'identité. Le vide a toujours été comblé par un  militantisme aveugle et échevelé qui culmine pendant les périodes électorales ; les leaders entretenant cette flamme passionnelle, leur unique fonds de commerce, par davantage d'argent et de diatribes. Depuis la Conférence nationale, les seules élections véritablement citoyennes ont été celles  de 1992 où la vertu de l'argent pour tout argument était encore inconnue.

Les échéances de 1997 se tinrent dans une atmosphère insoutenable qui  demeura gravée dans la mémoire du peuple. Le désastre des partis, après dix  années d'implosions et de guérillas, fut tel qu'ATT eut à peine besoin d'un programme de campagne pour ramasser le pouvoir en 2002 ; presque comme Charles de Gaulle en 1958 en France, suite au danger que les partis politiques de la IVe République faisaient planer sur la cohésion  nationale et la sécurité de la patrie française.

Dans cette figure de gouvernance où la tendance de l'homme providentiel est de concentrer tous les pouvoirs en ses mains, le Mali est-il devenu pour autant une autocratie ? Si le réflexe de De Gaulle fut de bâtir  une Constitution républicaine coiffée par un monarque, ATT est arrivé sur  une Constitution à laquelle on ne peut toucher que par référendum. Et  plutôt que d'y faire appel, il a d'autant plus partagé le pouvoir que les  partis, désertant l'espace présidentiel, ont mené une âpre lutte pour faire du bastion parlementaire leur forteresse. Au point que l'actuelle  Assemblée nationale, parfait contre-pouvoir d'une autocratie dont ATT n'a jamais rêvé, se révèle comme l'une des meilleures représentations  parlementaires que notre pays ait jamais eues depuis l'Indépendance, par la fréquence  Et l'ampleur des débats qui y sont menés, en vue d'évaluer le travail gouvernemental.

Il est caractéristique que le temps du consensus ait été celui où le  taux de participation à une élection ait atteint la barre des 40 %. Nous parlons des dernières élections communales dont le champ a été  largement et bruyamment investi par l'ensemble des partis politiques en  compétition avec une myriade de candidats indépendants. Le gouvernement lui-même, espace par excellence réservé au Chef de l'Etat a été largement partagé entre les partis politiques. D'où, devient intéressante, dans ce cas de figure, la position d'un Chef de gouvernement issu de la société  civile, quant au genre d'influence qu'il peut exercer sur des Ministres qu'il  n'a finalement pas nommés.

La récente création de l'Association Démocratie et Justice est donc  plus dans l'air du temps qu'elle n'est le contre-feu d'une dictature  d'aucune sorte ; aucun reproche ne pouvant par ailleurs être fait au respect des droits de l'Homme en République du Mali. Mais plus encore, elle est l'indice d'un déficit chronique qui a culminé ces quatre dernières  années, relativement à l'absence d'une société civile qui se satisferait de l'espace qu'elle pourrait occuper en tant que tel. Un tel déficit est  un grave danger pour une société qui se transforme à une telle vitesse qu'elle ne prend pas le temps de s'ausculter. La centaine de partis politiques au Mali est l'aveu d'un endormissement intellectuel et moral qui ne conçoit l'investissement individuel qu'à travers l'agitation politique, alors que celle-ci n'a aucune portée  tant qu'elle n'est pas inspirée de la réflexion. Dans le recoin du recoin  d'une société civile introuvable est assoupie une élite intellectuelle qui a vendu son âme aux partis politiques alors qu'on a pu admirer sa  prestance et son éclat pendant la Conférence nationale.

En 1994, l'administration territoriale avait délivré près de 2000 récépissés à diverses associations nées des cendres de Mars 1991. Peu  ont pu tenir une réunion après l'assemblée constitutive. Parce que la  société civile n'est pas une institution ; que pour cela, elle ne bénéficie que rarement des subsides de l'Etat, elle n'a que rarement les moyens de son fonctionnement. Or, de même qu'il n'y a pas de démocratie sans partis politiques forts, il ne saurait y avoir de partis politiques forts sans société civile responsable. Le rôle de la société civile est de  harceler les partis politiques autant que le pouvoir, suspendue au-dessus de  leur tête comme l'épée de Damoclès. Si l'ADJ fonctionne comme la pionnière  de cette société civile qui nous manque si cruellement, elle aura occupé  une place à sa mesure. Si, par contre, elle se mue en parti politique, elle  se banalisera.

Qui n'hésiterait pas à aborder le brûlant sujet de l'accord d'Alger  dont la flamme frémit depuis près de quatre mois, constamment ravivée par la passion inapaisable de la fibre nationaliste ? Existe-t-il de position plus périlleuse que celle où on apparaît nécessairement comme un  traître, lorsqu'au dessus des clameurs, on réclame la simple sérénité ? Rien ne pourra jamais faire que l'espace géographique qu'occupe le Mali n'ait  pas été un pays de Blancs et de Noirs depuis la plus haute Antiquité. Rien  ne pourra jamais réduire, sinon le temps et le compromis, une culture  nomade à une culture sédentaire.

Nord : le pétrole peut être un piège

Rappelons-nous, comme nous le rapporte Ambéry Ag Rhissa (I) que ce sont d'abord les Touaregs qui, à l'unanimité, rejetèrent leur séparation  d'avec le Soudan, lors du référendum organisé en 1959 par l'administration française, au profit d'une Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) dont ils auraient été les maîtres. Rappelons-nous ce meeting organisé la même année, par une délégation de la République soudanaise,  au cours de laquelle la même question fut réitérée, en ces termes, devant  les sept chefs de tribu de l'Adrar des Ifhogas : «Le Soudan veut aller à l'indépendance. L'Adrar veut-t-il adhérer à cette indépendance ou reste-t-il avec la France ?». Souvenons-nous de la réponse de Attaher  Ag Illi, porte-parole des chefs de tribu : «La France nous a combattus ensemble, nous a vaincus ensemble, nous a colonisés ensemble. Elle continue à nous coloniser ensemble ou nous restitue notre liberté ensemble. Notre séparation n'est pas imaginable».

Chacun des quatre Chefs d'Etat successifs du Mali a eu à gérer son  conflit du Nord : Modibo Kéïta en 1963, Moussa Traoré en 1990, ATT en 1991 et Alpha O. Konaré en 1992. Comment les Maliens ne seraient-ils pas encore avertis d'une si longue expérience ? Peut-on ramener la dimension du  choc de deux cultures à des problèmes de droit, si fondamentalement et préalablement on ne prend pas en compte la dimension des problèmes  humains qui couvent, différents d'époques en époques, de générations à  générations ? Si les armes pouvaient régler le problème, nous n'en serions pas au  6è conflit ! Et ceux qui se référent constamment au Pacte national,  pensant ainsi régler le problème, peuvent-ils affirmer que toutes les  dispositions en ont été appliquées en temps et en lieu ? Que le recours aux armes et  au sang comme arme de dialogue soit hautement répréhensible, qui oserait  en douter ? Malheureusement, tel est le scénario immuable dans le cas qui nous occupe, dès lors que le plus faible se croit (je dis bien «se  croit») méprisé et humilié par le plus fort. Seule la sérénité permet aux belligérants d'un conflit de se rendre mutuellement compte que chacun a ses torts et ses raisons.

Beaucoup plus que les arguments qui, de toutes façons, sont piégés de  part et d'autre étant donné que chacun croit avoir raison, il est préférable que les Maliens, pareils en cela à presque tous les pays du monde, apprennent à gérer leurs minorités avec calme et intelligence. Les Etats-Unis sont, à notre connaissance, l'un des rares pays au monde à  ne pas avoir de problème minoritaire. Mais s'il en est ainsi, c'est  justement parce que l'Etat en est bâti, non sur la Nation, mais sur le fait communautaire qui consiste à la reconnaissance et à la promotion des cultures ethniques différentielles. Ce n'est pas la force militaire de  la France qui réglera le problème corse, pas plus que celle d'Israël et  des Etats-Unis, le problème palestinien. La minorité blanche du Nord n'est  pas un prurit sur le corps paisible du Mali malade, mais un tissu intime de son ADN. De la sorte, elle peut être notre chemin de croix comme notre part de génie. A nous de choisir.

Mais ce qui donne une dimension absolument inquiétante à ce qui  apparaît comme une réaction de panique devant les récents événements, c'est leur référence à la perspective de l'exploitation du pétrole au Nord de  notre pays. Ainsi, donc, malgré les exemples de nos voisins détenteurs de pétrole qui crèvent les yeux, les Maliens ne se convainquent pas que le pétrole peut être un piège. Qu'il n'est une richesse que gérée comme un plus qui laisse l'effort et la cohésion nationale intacts ; alors qu'il est inévitablement un poison pour les peuples qui se l'approprient,  dans leur tête, comme l'Eldorado. Et c'est pourquoi la meilleure chose que  nous ayons à faire dès maintenant, c'est de préparer sérieusement ENSEMBLE  les clauses politiques, économiques et sociales de la gestion de cette richesse probable, afin que le Mali, par cet exemple, apparaisse au  monde comme l'un des plus mûrs parmi ses semblables.
1- Ambéry A Rhissa : «Problèmes du Nord : brève genèse historique», document manuscrit non daté.

Pascal Baba COULOUBALY
Anthropologue

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