DEBAT: De l’ADJ et de l’Accord d’Alger

A moins d’un an de la fin du quinquennat du président Amadou Toumani Touré, l’actualité, tout d’un coup s’est emballée en rythme et en intensité...

30 Août 2006 - 09:15
30 Août 2006 - 09:15
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A moins d’un an de la fin du quinquennat du président Amadou Toumani Touré, l’actualité, tout d’un coup s’est emballée en rythme et en intensité.
 
De nombreux discours, de nouveaux acteurs ont surgi, rompant cet air bonhomme d’une action de grâce qui dure depuis quatre ans. Il est dommage que nous ne soyons pas en pays de sondage pour apprécier l’impact réel de cette tournure du débat sur le crédit de l’équipe au pouvoir, dont en premier lieu, celui du président de la République lui-même.
La création de l’Association pour la démocratie et la justice et les lancinantes prises de positon sur l’Accord d’Alger auxquelles se résume l’actualité sont-elles une lame de fond, indicatrices d’un nouveau paysage politique malien, ou s’inscrivent-elles dans le rite de ces années préélectorales où tout a vocation à être grossi, voire dramatisé ? Portent-elles, dans leur sillage, un jugement de plus grande ampleur sur le type de gouvernance de ces quatre dernières années et ses résultats ?
Concernant le premier point, la création de l’Association pour la démocratie et la justice a surgi comme sifflant la fin de la récréation du « consensus » par lequel le Mali s’est signalé à l’attention des analystes politiques du continent. Ledit consensus pouvant se définir comme une adhésion explicite de la presque totalité de la classe politique au programme de gouvernement d’un leader qui a justement fondé sa candidature et sa campagne sur le rejet de toute classe politique. Un peu comme le dictateur de la Rome antique dont tous convenaient de la nomination pour sauver la cité en danger.
Bien que les textes fondateurs de l’ADJ n’aient pas stigmatisé une autocratie caractérisée, de nombreuses contributions de ses militants et sympathisants ont induit l’idée qu’ATT en serait l’architecte émérite dans l’idée d’un pouvoir sans partage. Mais, la situation de consensus est-elle imputable à ATT ? A-t-elle signifié l’anéantissement des partis politiques comme on le soutient depuis quatre ans ? Telles sont les vraies questions que l’on peut se poser.
Une certitude : aucun homme ne peut décréter le consensus. Il naît d’une situation où il s’impose comme la seule alternative sinon au chaos, du moins au désordre et à l’incertitude. Le consensus était un terme prévisible à la violence politique qui a caractérisé le double quinquennat d’Alpha Oumar Konaré ; violence des partis constamment lancés dans des surenchères sans fin, au point d’en lasser les protagonistes et d’exaspérer le peuple tout entier. On sait que dans toute démocratie, la bipolarisation excessive de la classe politique, jusqu’à faire disparaître un centre stabilisateur constitue un dangereux élément de déséquilibre.
Qui plus est, les partis politiques maliens, depuis 1992, ont prouvé leur totale incapacité à se donner une orientation programmatique qui pourrait leur servir d’identité. Le vide a toujours été comblé par un militantisme aveugle et échevelé qui culmine pendant les périodes électorales ; les leaders entretenant cette flamme passionnelle, leur unique fonds de commerce, par davantage d’argent et de diatribes. Depuis la Conférence nationale, les seules élections véritablement citoyennes ont été celles de 1992 où la vertu de l’argent pour tout argument était encore inconnue. Les échéances de 1997 se tinrent dans une atmosphère insoutenable qui demeura gravée dans la mémoire du peuple. Le désastre des partis, après dix années d’implosions et de guérillas fut tel qu’ATT eut à peine besoin d’un programme de campagne pour ramasser le pouvoir en 2002 ; presque comme Charles De Gaulle en 1958 en France, suite au danger que les partis politiques de la IVe République faisaient planer sur la cohésion nationale et la sécurité de la patrie française.
Dans cette figure de gouvernance où la tendance de l’homme providentiel est de concentrer tous les pouvoirs en ses mains, le Mali est-il devenu pour autant une autocratie ? Si le réflexe de De Gaulle fut de bâtir une constitution républicaine coiffée par un monarque, ATT est arrivé sur une constitution à laquelle on ne peut toucher que par référendum. Et plutôt que d’y faire appel, il a d’autant partagé le pouvoir que les partis, désertant l’espace présidentiel, ont mené une âpre lutte pour faire du bastion parlementaire leur forteresse. Au point que l’actuelle Assemblée nationale, parfait contre-pouvoir d’une autocratie dont ATT n’a jamais rêvé, se révèle comme l’une des meilleures représentations parlementaires que notre pays ait jamais eues depuis l’indépendance, par la fréquence et l’ampleur des débats qui y sont menés, en vue d’évaluer le travail gouvernemental.
Il est caractéristique que le temps du consensus ait été celui où le taux de participation à une élection ait atteint la barre des 40 %. Nous parlons des dernières élections communales dont le champ a été largement et bruyamment investi par l’ensemble des partis politiques en compétition avec une myriade de candidats indépendants. Le gouvernement lui-même, espace par excellence réservé au chef de l’Etat, a été largement partagé entre les partis politiques. D’où, devient intéressante, dans ce cas de figure, la position d’un chef de gouvernement issu de la société civile, quant au genre d’influence qu’il peut exercer sur des ministres qu’il n’a finalement pas nommés.
La récente création de l’Association démocratie et justice est donc plus dans l’air du temps qu’elle n’est le contre-feu d’une dictature d’aucune sorte ; aucun reproche ne pouvant par ailleurs être fait au respect des droits de l’Homme en République du Mali. Mais plus encore, elle est l’indice d’un déficit chronique qui a culminé ces quatre dernières années, relativement à l’absence d’une société civile qui se satisferait de l’espace qu’elle pourrait occuper en tant que tel. Un tel déficit est un grave danger pour une société qui se transforme à une telle vitesse ne prend pas le temps de s’ausculter.
La centaine de partis politiques au Mali est l’aveu d’un endormissement intellectuel et moral qui ne conçoit l’investissement individuel qu’à travers l’agitation politique, alors que celle-ci n’a aucune portée tant qu’elle n’est pas inspirée de la réflexion. Dans le recoin du recoin d’une société civile introuvable est assoupie une élite intellectuelle qui a vendu son âme aux partis politiques alors qu’on a pu admirer sa prestance et son éclat pendant la Conférence nationale.
En 1994, l’administration territoriale avait délivré près de 2000 récépissés à diverses associations nées des cendres de mars 1991. Peu ont pu tenir une réunion après l’assemblée constitutive. Parce que la société civile n’est pas institution ; que pour cela, elle ne bénéficie que rarement des subsides de l’Etat, elle n’a que rarement les moyens de son fonctionnement. Or, de même qu’il n’y a pas de démocratie sans partis politiques forts, il ne saurait y avoir de partis politiques forts sans société civile responsable. Le rôle de la société civile est de harceler les partis politiques autant que le pouvoir, suspendue au-dessus de leur tête comme l’épée de Damoclès. Si l’ADJ fonctionne comme la pionnière de cette société civile qui nous manque si cruellement, elle aura occupé une place à sa mesure. Si, par contre, elle se mue en parti politique, elle se banalisera.
Qui n’hésiterait pas à aborder le brûlant sujet de l’Accord d’Alger dont la flamme frémit depuis près de quatre mois, constamment ravivée par la passion inapaisable de la fibre nationaliste ? Existe-t-il de position plus périlleuse que celle où on apparaît nécessairement comme un traître, lorsqu’au-dessus des clameurs, on réclame la simple sérénité ? Rien ne pourra jamais faire que l’espace géographique qu’occupe le Mali n’ait pas été un pays de Blancs et de Noirs depuis la plus haute Antiquité. Rien ne pourra jamais réduire, sinon le temps et le compromis, une culture nomade à une culture sédentaire.
Rappelons-nous, comme le rapporte Ambéry Ag Rhissa (1) que ce sont d’abord les Touareg qui, à l’unanimité, rejètent leur séparation d’avec le Soudan, lors du référendum organisé en 1959 par l’administration française, au profit d’une Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) dont ils auraient été les maîtres. Rappelons-nous ce meeting organisé la même année, par une délégation de la République soudanaise, au cours de laquelle la même question fut réitérée, en ces termes, devant les sept chefs de tribu de l’Adrar des Ifhogas : « Le Soudan veut aller à l’indépendance. L’Adrar veut-il adhérer à cette indépendance ou reste-t-il avec la France ? » Souvenons-nous de la réponse de Attaher Ag Illi, porte-parole des chefs de tribu : « La France nous a combattus ensemble, nous a vaincus ensemble, nous a colonisés ensemble. Elle continue à nous coloniser ensemble ou nous restitue notre liberté ensemble. Notre séparation n’est pas imaginable ».
Chacun des quatre chefs d’Etat successifs du Mali a eu à gérer son conflit du Nord : Modibo Kéita en 1963, Moussa Traoré en 1990, ATT en 1991 et Alpha O. Konaré en 1992. Comment les Maliens ne seraient-ils pas encore avertis d’une si longue expérience ? Peut-on ramener la dimension du choc de deux cultures à des problèmes de droits, si fondamentalement et préalablement on ne prend pas en compte la dimension des problèmes humains qui couvent, différents d’époques en époques, de générations à générations ? Si les armes pouvaient régler le problème, nous n’en serions pas au 6e conflit ! Et ceux qui se réfèrent constamment au Pacte national, pensant ainsi régler le problème, peuvent-ils affirmer que toutes les dispositions en ont été appliquées en temps et en lieu ? Que le recours aux armes et au sang comme arme de dialogue soit hautement répréhensible, qui oserait en douter ? Malheureusement, tel est le scénario immuable dans le cas qui nous occupe, dès lors que le plus faible se croit (je dis bien « se croit ») méprisé et humilié par le plus fort. Seule la sérénité permet aux belligérants d’un conflit de se rendre mutuellement compte que chacun a ses torts et ses raisons.
Beaucoup plus que les arguments qui, de toutes façons, sont piégés de part et d’autre étant donné que chacun croit avoir raison, il est préférable que les Maliens, pareils en cela à presque tous les pays du monde, apprennent à gérer leurs minorités avec calme et intelligence. Les Etats-Unis sont, à notre connaissance, l’un des rares pays au monde à ne pas avoir de problème minoritaire. Mais s’il en est ainsi, c’est justement parce que l’Etat en est bâti, non sur la nation, mais sur le fait communautaire qui consiste à la reconnaissance et à la promotion des cultures ethniques différentielles. Ce n’est pas la force militaire de la France qui règlera le problème corse, pas plus que celle d’Israël et des Etats-Unis, le problème palestinien. La minorité blanche du Nord n’est pas un prurit sur le corps paisible du Mali malade, mais un tissu intime de son ADN. De la sorte, elle peut être notre chemin de croix comme notre part de génie. A nous de choisir.
Mais ce qui donne une dimension absolument inquiétante à ce qui apparaît comme une réaction de panique devant les récents événements, c’est leur référence à la perspective de l’exploitation du pétrole au nord de notre pays. Ainsi, donc, malgré les exemples de nos voisins détenteurs de pétrole qui crèvent les yeux, les Maliens ne se convainquent pas que le pétrole peut être au piège. Qu’il n’est une richesse que gérée comme un plus qui laisse l’effort et la cohésion nationale intacts ; alors qu’il est inévitablement un poison pour les peuples qui se l’approprient, dans leur tête, comme l’Eldorado. Et c’est pourquoi, la meilleure chose que nous ayons à faire dès maintenant, c’est de préparer sérieusement ensemble les clauses politiques, économiques et sociales de la gestion de cette richesse probable, afin que le Mali, par cet exemple, apparaisse au monde comme l’un des plus mûrs parmi ses semblables.
Pascal Baba Coulibaly
(anthropologue)
1. Ambéry A. Rhissa : « Problèmes du Nord : brève genèse historique », document manuscrit non daté.

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