Procès de l’avion présidentiel et des équipements militaires : Le parquet charge Mme Bouaré et autres
Ce jeudi 3 juillet 2025, la Cour d’assises spéciale pour les crimes économiques et financiers a entamé une phase cruciale du procès : les réquisitoires.

Le ministère public et le représentant du contentieux de l’État ont, tour à tour, présenté leurs lectures juridiques des faits, formalisant leurs accusations contre plusieurs anciens hauts responsables. Devant le président de la Cour, Bamassa Sissoko et ses quatre conseillers, le procureur général et le représentant du contentieux de l’État ont accusé Mme Bouaré Fily Sissoko, Nouhoum Dabitao et Moustapha Drabo de faux, usage de faux, escroquerie et atteinte aux biens publics. En revanche, ils ont déclaré ne pas disposer de preuves suffisantes pour établir la culpabilité de Mahamadou Camara.
À 10h, l’audience a repris avec la prise de parole d’Issa Aliou Maïga, représentant du contentieux de l’État. Il a d’abord salué la conduite des débats par la Cour, malgré les tensions parfois vives entre les parties.
Dans son propos liminaire, M. Maïga a affirmé que les deux contrats l’un portant sur l’acquisition de l’avion présidentiel, l’autre sur les équipements militaires ont été conclus en violation des règles de finances publiques. Il a dénoncé l’usage abusif du sceau "secret défense" comme un écran pour détourner des fonds publics. Selon lui, les responsables de ces contrats ont commis de graves irrégularités.
"M. le président, des irrégularités ont été commises. Il y a eu des surfacturations. Le contrat Guo Star, officiellement évalué à 69 milliards F CFA, n’a en réalité coûté que 39 milliards F CFA. Ce chiffre a été confirmé par le contrôleur financier lors de son audition. Pour masquer ces écarts, des faux procès-verbaux ont été produits, accompagnés d’un tableau synoptique prétendant que tout le matériel avait été livré", déclare M. Maïga. Le contentieux de l’État réclame ainsi la restitution de 29 milliards de francs CFA.
Mme Bouaré Fily Sissoko, alors ministre de l’Économie et des Finances, est désignée par le représentant du contentieux de l’Etat comme la principale responsable de cette "gabegie financière". M. Maïga l’accuse de n’avoir pris aucune mesure pour protéger les finances publiques, et lui impute un détournement de 2,5 milliards de francs CFA, correspondant aux frais annexes liés à l’avion présidentiel (parking, assurance, immatriculation). Il estime que l’aéronef a coûté 18 milliards F CFA au total.
Concernant les équipements militaires, le représentant du contentieux de l’État a exprimé des doutes sur la livraison effective de certains matériels : habillement, couchage, équipements de campement, alimentation, véhicules et pièces de rechange. Il accuse Nouhoum Dabitao et Moustapha Drabo de faux, usage de faux et atteinte aux biens publics, et exige la restitution de 34 milliards de francs CFA, montant signalé par le bureau du Vérificateur général.
S’agissant de Mahamadou Camara, le contentieux de l’État reconnaît l’absence de preuves directes de sa participation à la fraude. Il souligne toutefois que si M. Camara avait réellement signé un faux mandat, l’ancien président IBK ne l’aurait pas promu ministre de la Communication peu après.
Quant à Sidi Mohamed Kagnassy, il est présenté comme le véritable instigateur du marché. M. Maïga le tient pour coupable d’atteinte aux biens publics.
Moustapha Ben Barka n’a pas été épargné. Il est accusé, au même titre que Mme Bouaré, d’atteinte aux biens publics dans le cadre de l’acquisition de l’avion présidentiel. Le contentieux de l’État exige également de lui la restitution des 2,5 milliards de francs CFA liés aux frais annexes.
Réquisitoire musclé
À la suite du réquisitoire du contentieux de l’État, qui a duré près de cinquante minutes, le ministère public, représenté par le magistrat Koké Coulibaly, a pris la parole ce jeudi 3 juillet 2025 pour livrer son propre réquisitoire dans le procès de l’avion présidentiel et des équipements militaires.
Le procureur a ouvert son propos en citant les articles 1 et 2 de l’ancien Code de procédure pénale qui posent les principes fondamentaux de la procédure pénale malienne, notamment l’équité, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable et le contrôle judiciaire des mesures de contrainte. Ensuite, le procureur Coulibaly a fait une rétrospective de l’histoire du Mali depuis 1960, marquée par des rébellions successives. Il a ensuite dressé un tableau sombre de la corruption et de la délinquance financière, gangrénant selon lui toutes les sphères de l’État, y compris la justice.
Cette digression, destinée à camper le décor de son réquisitoire, a servi de prélude à une accusation frontale : l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires constitue, selon le parquet, "l’escroquerie du siècle".
A ce propos, il va relever trois similitudes majeures entre les deux contrats. Pour la première, il affirme qu’aucun financement n’était prévu dans le budget 2013 pour ces marchés, qui ont donc été conclus hors budget.
La dixième est que les deux contrats ont été passés sous le sceau du secret défense, échappant ainsi au Code des marchés publics. Et la troisième similitude, c’est que les montants engagés dépassaient le seuil d’autorisation du ministre de la Défense, ce qui constitue une violation des procédures. Le parquet a ensuite scindé son réquisitoire en deux volets, à l’image du déroulement des débats.
Dans le volet matériel militaire, le procureur a décrit un montage qu’il qualifie de frauduleux. Selon lui, le président de la République aurait mandaté Sidi Mohamed Kagnassy, via Mahamadou Camara, pour négocier le contrat. Ce dernier, muni d’un mandat, se serait rendu au ministère de la Défense, où il aurait obtenu l’expression des besoins militaires de la part de Moustapha Drabo et Nouhoum Dabitao, sur instruction du ministre de la Défense, feu Soumeylou.
Par la suite un protocole d’accord d’un montant de 69,1 milliards FCFA aurait alors été établi, mettant à la charge de Kagnassy la mobilisation du financement. Mais la Banque Atlantique, sollicitée pour la convention de financement, aurait découvert que Kagnassy n’était pas le dirigeant légal de la société Guo Star. Le contrat aurait alors été réimprimé au nom d’Amadou Kouma. La banque aurait finalement accepté, à condition d’obtenir une garantie autonome, que Mme Bouaré Fily Sissoko aurait accordée, permettant ainsi l’ouverture d’une ligne de crédit.
"Guo Star s’est retrouvé avec un bénéfice de 29 milliards F CFA. Où sont la logique, la morale et l’éthique ? Qu’ont fait Kagnassy et Kouma pour mériter ce montant ?", a lancé le procureur.
Le parquet général a requis le maintien de Mme Bouaré Fily Sissoko dans le lien de l’accusation pour faux, usage de faux, escroquerie et atteinte aux biens publics, estimant qu’elle a participé à l’exécution d’un contrat établi dans l’opacité.
Concernant Moustapha Drabo et Nouhoum Dabitao, le parquet les accuse d’avoir produit une expression des besoins qui n’émanait pas de l’armée, mais d’eux-mêmes. Ils sont également poursuivis pour faux, usage de faux, escroquerie et atteinte aux biens publics.
En revanche, Mahamadou Camara bénéficie d’un doute favorable. Le parquet a estimé ne pas disposer d’éléments suffisants pour établir sa culpabilité et a demandé à la Cour d’abandonner les charges contre lui.
Dans la suite de son réquisitoire, le procureur général s’est longuement attardé sur le volet relatif à l’acquisition de l’avion présidentiel. Il a affirmé que Moustapha Ben Barka n’avait aucun lien avec cette affaire, écartant ainsi toute responsabilité de sa part. Selon le parquet, les véritables commanditaires de l’opération sont l’ancien président feu Ibrahim Boubacar Keïta, l’ex-ministre de la Défense feu Soumeylou Boubèye Maïga, et Mme Bouaré Fily Sissoko, alors ministre de l’Économie et des Finances.
"Le Mali sortait d’une crise existentielle. Les Maliens ont placé leur confiance en IBK pour redresser le pays. Mais au lieu de restaurer l’honneur de la nation, il s’est engagé dans cette affaire d’acquisition d’un aéronef présidentiel. Un président pauvre, issu d’un pays pauvre, qui veut s’acheter un avion… Derrière cette acquisition, il y a eu fraude, M. le président", a déclaré le procureur. Il a poursuivi en décrivant un mécanisme de détournement savamment mis en place.
"IBK avait un homme de main, Soumeylou, pour établir les documents. Et une femme de main, prête à tout pour dilapider les ressources de l’État. C’est ainsi que Mme Bouaré a contracté un emprunt bancaire de 17 milliards F CFA. Le mécanisme par lequel ils ont fait passer cette commande pour décaisser les fonds publics, c’est ce que nous dénonçons", poursuit-il.
Pour le ministère public, les faits vont au-delà des qualifications classiques de faux, usage de faux, escroquerie et atteinte aux biens publics. Il évoque une véritable association de malfaiteurs, organisée pour saigner les finances publiques.
"C’est un projet criminel savamment orchestré et exécuté contre les ressources du pays. L’argent est allé dans leurs poches. C’est une coalition de fonctionnaires contre les lois de la République", ajoute-t-il.
Sans circonstances atténuantes
Aux termes de ce réquisitoire musclé, le parquet a demandé à la Cour de condamner Mme Bouaré Fily Sissoko, Nouhoum Dabitao et Moustapha Drabo. Il a expressément requis qu’aucune circonstance atténuante ne leurs soit accordée, exhortant la Cour à juger les faits, et non les états d’âme.
"Ce procès doit être un catalyseur pour la dynamique enclenchée par la justice malienne dans le renouveau de la gouvernance publique", a conclu le procureur.
À l’issue de l’intervention percutante du procureur général, un silence pesant s’est abattu sur la salle d’audience. Les mots forts, les accusations frontales et la mise en cause directe de figures emblématiques de l’ancien régime ont provoqué un véritable choc parmi les présents. Certains visages se sont figés, d’autres ont laissé transparaître la stupeur, voire l’indignation.
Dans les rangs du public, composé de journalistes, d’observateurs de la société civile et de proches des accusés, les murmures ont commencé à fuser, traduisant l’onde de choc provoquée par les propos du parquet.
L’évocation d’un "projet criminel savamment orchestré" et d’une "coalition de fonctionnaires contre les lois de la République" a marqué les esprits par leur gravité.
Du côté des avocats de la défense, les regards se sont échangés, lourds de sens. Certains prenaient frénétiquement des notes, d’autres semblaient déjà préparer leur contre-offensive pour les plaidoiries de ce lundi.
Ousmane Mahamane
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