Doit-on continuer à mettre Soundiata et Samory dans le même panier ? Surement pas, pour la bonne raison que le second en complicité avec le prince du jour à Kangaba furent surtout coupables d’une horreur absolue en faisant égorger en une seule matinée plus de 300 adolescents du village voisin de Kiniéroba sur ce site jugé mythique de Kurukanfuga. Une tragique parenthèse volontairement occultée par les historiens du cru, et les hérauts du mouvement N’KO.
En tous les cas pour de nombreux malinkés de la haute vallée du Niger, la réponse est évidemment non. Ces deux grands personnages historiques appartiennent certes à l’histoire du mali, mais si le souvenir de Soundiata reste entouré d’une vraie auréole légendaire, celui de Samory quelque soit l’admiration qu’aient suscité son courage et sa foi religieuse évoque plutôt dans la conscience collective mandenka une longue et triste période de terreur et d’anarchie. Samory dit-on a grillé les gens du manding et du Wassoulou comme on grille les arachides .Il a réussi par la force à imposer à nouveau l’islam dans une région qui l’avait abandonné .Il a pris parti directement dans ce que les malinkés appellent le fadenya kèlè, ces querelles de parenté qui font s’affronter les descendants d’un même patriarche .Il a provoqué dans certains secteurs un brassage intense de la population villageoise déplaçant les uns, réduisant les autres en esclavage.
Les militaires français qui l’ont férocement combattu, vaincu et chassé du mandingue ne feront guère mieux. La haute vallée fut ainsi à la fin du XIXème siècle partagé entre adversaires et alliés de Samory et naturellement après sa défaite des représailles furent souvent exercées sur ses partisans dont les contrecoups se prolongèrent beaucoup plus-tard .L’empreinte de Samory sur la vie sociale dans la haute vallée du Niger a été forte et souvent très violente . Il est intervenu directement dans la rivalité de dynasties villageoises (querelles entre les Keita de Niagassola et de ceux de Kangaba), il n’hésita pas à intervenir également dans l’organisation territoriale, ainsi il confirma l’autorité des Keita de Kangaba sur ses contrées limitrophes. Les guerres avec Samory ont souvent provoqué des ruptures d’alliance entre clans et lignages unis par des dyo qui remontaient à Soundiata.
Le passage d’El hadj Omar dans la haute vallée est toujours commenté par les chroniqueurs et autres bardes du Mandé, pour la bonne raison que de nombreux chefs contractèrent avec lui des alliances et se convertirent à l’islam .Les Keita de Niagassola restèrent les alliés fidèles du chef toucouleur et après la mort de celui-ci sous la dépendance de son fils Cheickou Amadou .Et c’est vraisemblablement pour mieux résister à Niagassola appuyé par les toucouleurs d’Ahmadou , que les Keita de kangaba acceptèrent l’appui de Samory, qui s’installa du coup sur la rive droite du Niger et prit Figuira en 1882, si l’on en croit les témoignages recueillis dans les années 60 , par le professeur émérite et ancien directeur de recherche au CNRS( Paris) Youssouf Tata Cissé auprès de puissants et célèbres traditionalistes de la région. Ils prirent ensuite Kiniéroba dont la population est déportée manu militari par l’Almamy sur la rive droite : Trois cents ( 300) prisonniers furent égorgés sur ordre de kaba Mambi keita le prince qui régnait à cette époque-là sur kangaba .Voilà en réalité l’autre « face cachée » du site sacré, dont on ne parle pas assez , quand elle n’est pas simplement occultée par les historiens du cru. En définitive, Samory Touré aura surtout laissé le souvenir d’un chef de guerre redoutable, paranoïaque, fidèle dit –on dans ses alliances, d’une rigueur religieuse implacable, mais souvent inhumaine. Ce n’est guère étonnant que la chanson de gestes (ou Fasa en malinké) de Soundiata, dont il en existe d’ailleurs un certain nombre de versions soit resté l’un des éléments fondamentaux du patrimoine culturel malien.
Sambou Diakité, Anthropologue Magnambougou