Comment le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Bénin ont échoué à instaurer une fédération lors de leur accession à l'indépendance

A la veille des indépendances, un projet noble émerge au sein de la classe dirigeante de certains pays d'Afrique de l'Ouest francophone. Partir à l'indépendance à l'unisson dans un vaste ensemble. La plupart d'entre eux, s'inquiétaient d'une balkanisation prochaine des territoires de l'ancienne Afrique occidentale Française (AOF), dissoute avant l'accession à la souveraineté internationale des anciennes colonies françaises, par le Général De Gaulle.

16 Octobre 2025 - 10:12
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Comment le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Bénin ont échoué à instaurer une fédération lors de leur accession à l'indépendance
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Naissance du projet de fédération du Mali

Mouhamadou Moustapha Sow

Crédit photo,Mouhamadou Moustapha Sow - Légende image,Mouhamadou Moustapha Sow, Enseignant-chercheur en histoire politique contemporaine, à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, président de l'Association des Historiens du Sénégal (AHS).

Modibo Keita du Soudan français (actuel Mali) et Mamadou Dia (Sénégal) et les dirigeants politiques de la Haute Volta (actuel Burkina Faso) et du Dahomey (actuel Bénin) engagent des discussions pour mettre en place une fédération.

''Lors de la conférence de Bamako, tenue les 29 et 30 décembre 1958, les États du Soudan, du Sénégal et de la Haute-Volta et Dahomey discutent des modalités institutionnelles de création de la Fédération'' explique le Dr Mouhamadou Moustapha Sow, Enseignant-chercheur en histoire politique contemporaine, à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, président de l'Association des Historiens du Sénégal (AHS).

''La Côte d'Ivoire et le Niger sont absents. Tandis que la Mauritanie y envoie un observateur'' poursuit M. Sow. Durant cette conférence tenue en terre malienne, ''les Etats réaffirment leur volonté de former une fédération primaire et de devenir membres de la Communauté franco-africaine, proposée par De Gaulle''.

Sont parties prenantes à la fédération, le Soudan français, le Dahomey, la Haute-Volta et le Sénégal. Mais, au moment de la ratification du traité, le projet se fissure comme un mur et des pans entiers tombent. Le Dahomey et la Haute Volta font machine arrière.

Le Soudan français et le Sénégal poursuivent néanmoins le rêve et mettent en place la Fédération du Mali qui voit officiellement le jour en janvier 1960.

Les négociations peuvent alors être entamées avec la France et le 19 juin, la cérémonie de signature de « l'Acte de reconnaissance » de la fédération a lieu dans les jardins du Palais de l'ancien Haut-commissaire de l'AOF, à Dakar.

Les accords franco-maliens signés, l'Assemblée fédérale se réunit pour une séance solennelle au cours de laquelle elle vote l'indépendance de la Fédération du Mali.

C'est Léopold Sédar Senghor, président de l'Assemblée fédérale, devenu plus tard, premier président du Sénégal qui proclame l'indépendance de la fédération du Mali le 20 juin 1960.

Les raisons du retrait du Dahomey et de la Haute Volta

Alors que la Haute-Volta et le Dahomey faisaient partie intégrante du projet, les deux pays ont préféré quitter le train de la fédération avant son départ de la gare, en refusant de ratifier la constitution de la fédération.

Pierre Métinhoué, historien béninois joint par BBC News Afrique, revient sur le contexte du revirement du Dahomey.

''Quelques jours après la réunion de Bamako, Sourou Migan Apithy, président du Conseil exécutif, qui faisait office de gouvernement, se rend en France, où il fait une déclaration qui remet complètement en cause les résultats de la conférence de Bamako'' rappelle Pierre Métinhoué.

''Il a déclaré une fois en France, qu'il n'est pas nécessaire d'aller ensemble à l'indépendance. Chacun peut organiser son affaire comme il veut'' dit-il.

La décision de sortir de la fédération pousse certains des ministres de son gouvernement à rendre leur démission. Parmi eux, ''Alexandre Adandé qui était ministre de l'Agriculture, Louis Ignacio Pinto, ministre de la Justice et de la fonction publique et Émile Derlin Zinsou, ministre de l'Economie générale'' relate Pierre Metinhoué.

''Ces trois-là ont unanimement décidé de démissionner du gouvernement, estimant que la fédération à laquelle ils croyaient profondément avait été abandonnée.'' dit-il.

Quant à la Haute-Volta, son retrait du projet fédéral serait l'œuvre de ''manœuvres politiques'' du leader ivoirien, Felix Houphouët Boigny et de la France.

Très méfiant des ambitions ''expansionnistes'' de Modibo Keita avec son projet de fédération, Houphouët Boigny aurait pesé de tout son poids pour dissuader la Haute-Volta de continuer sur la voie fédérale.

En lieu et place d'un Etat fédéral, il a proposé la création du Conseil de l'Entente qui regroupe outre la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Niger et le Dahomey.

Par la suite, ''les pays de l'Entente ont chargé Houphouët Boigny de négocier l'indépendance en leur nom auprès du général De Gaulle'' fait remarquer Pierre Métinhoué.

L'indépendance obtenue, Houphouët a laissé chacun de ces pays choisir une date durant la première semaine du mois d'août de1960 pour la célébration.

C'est ainsi que le Bénin a choisi le 1er août 1960 pour son indépendance, le Niger, le 03 août, le Burkina Faso, le 05 août et la Côte d'Ivoire en dernier ressort le 07 août 1960.

La crise politique entre Senghor et Modibo Keïta et l'éclatement de la Fédération du Mali

Léopold Sédar SENGHOR (au premier rang), à la tribune de l'Assemblée législative, applaudit l'annonce de la rupture avec le Soudan par le Premier ministre sénégalais Mamadou Dia. La Fédération du Mali sera scindée pour devenir le Sénégal et la République du Mali. À Dakar, en août 1960.

Crédit photo,(Photo by Keystone-France/Gamma-Keystone via Getty Images)

Légende image,Léopold Sédar SENGHOR (au premier rang), à la tribune de l'Assemblée législative, applaudit l'annonce de la rupture avec le Soudan par le Premier ministre sénégalais Mamadou Dia. La Fédération du Mali sera scindée pour devenir le Sénégal et la République du Mali. À Dakar, en août 1960.

Moins de trois mois après l'indépendance de la fédération du Mali, des dissensions apparaissent au grand jour entre Sénégalais et Soudanais.

Les difficultés entre les dirigeants de la fédération sont liées à leurs conceptions idéologiques, politiques et aux orientations économiques divergentes, mais aussi aux nominations.

Alors que les deux pays se préparaient à élire le président de la fédération au suffrage universel, Modibo Keita limoge le Sénégalais Mamadou Dia, vice-président fédéral et ministre de la Défense.

Il décrète dans la foulée l'état d'urgence et instruit le colonel Abdoulaye Soumaré, un officier malien, chef des forces armées, de mobiliser les unités de l'armée malienne stationnées à Podor (Nord) et Bignona (Sud), officiellement pour ''sécuriser le scrutin présidentiel''.

Les décisions sont vigoureusement dénoncées par Senghor qui les qualifie de ''coup de force contre le peuple sénégalais''.

Pour le président de l'Assemblée fédérale, le limogeage de Mamadou Dia de son poste de ministre de la défense du Mali est ''illégal et la mesure nécessite l'approbation de la délégation du Sénégal à l'Assemblée fédérale.''

Par ailleurs, Senghor remet en cause également la légalité de la décision de mobilisation des troupes fédérales prise par Modibo Keita car dit-il, ''la sécurité intérieure appartient aux Etats fédérés, non à l'Etat fédéral''.

Décidées à contrecarrer ce qu'elles qualifient de coup d'Etat, les autorités sénégalaises passent à la vitesse supérieure en préparant leur cesserion, ce que Modibo Keita tente d'empêcher.

L'assemblée législative sénégalaise (qui a continué à fonctionner parallèlement à l'assemblée fédérale), sous la houlette de son président Lamine Guèye est convoquée. Le retrait définitif du Sénégal de la Fédération est acté à travers un vote.

Le Sénégal proclame dans la foulée son indépendance nationale dans la nuit du 20 août 1960. L'état d'urgence est décrété. Modibo Keïta et les autres ministres du gouvernement fédéral présents à Dakar sont reconduits à la frontière le lendemain.

Les raisons de l'échec de la fédération du Mali

Modibo Keita, président de la République du Mali (ex-Soudan français). Né en 1915 à Bamako, il devint le premier président du Mali indépendant le 22 septembre 1960 et resta au pouvoir jusqu'au coup d'État militaire mené par Moussa Traoré, le 19 novembre 1968. Modibo Keita décéda le 8 mai 1977. (Photo de - / AFP) (Photo de -/AFP via Getty Images)

Crédit photo,AFP via Getty Images

Légende image,Modibo Keita, devint le premier président du Mali indépendant le 22 septembre 1960.

Mouhamadou Moustapha Sow, estime que les divergences entre Sénégalais et Soudanais étaient profondes.

Les raisons touchent à la structure institutionnelle, la politique, l'idéologie et l'économie de l'Etat fédéral.

''Sur le plan institutionnel, on peut noter que les Sénégalais et les Soudanais avaient des points de vue divergents sur la nature de l'État de droit. Les Soudanais aspiraient à un État unitaire fort avec une concentration du pouvoir exécutif entre les mains d'un seul individu, tandis que les Sénégalais soutenaient un système avec un exécutif bicéphale'' dit Mouhamadou Moustapha Sow.

Au plan idéologique, les dirigeants sénégalais et soudanais avaient des visions différentes du socialisme africain.

''Pour Modibo Keita, il faut un socialisme orthodoxe, tandis que, pour Senghor et Dia, il faut un socialisme démocratique'' a -t-il indiqué.

Le rôle de la France

Pour Pierre Métinhoué, la France n'est pas étrangère à l'éclatement de la fédération du Mali. "Pour la France, avoir en face un certain nombre de pays africains unis et déterminés à suivre une autre voie ne l'arrangeait pas."

Un argument appuyé par Mouhamadou Moustapha Sow, qui fait remarquer que ''la France n'a jamais été disposée à soutenir tous les efforts d'unification de ses anciennes colonies'' citant la ''dissolution de l'ancienne AOF'' avant les indépendances comme preuve.

Mieux, pendant une longue période dit-il, ''De Gaulle a refusé de reconnaître la Fédération du Mali avant d'être forcé par les événements politiques et les considérations géopolitiques de l'époque à le faire''.

Lors de la crise politique qui a entrainé l'éclatement de la fédération, renseigne Sow, le président Modibo Keita invoquant les accords de défense liant la France à la Fédération du Mali, n'a pas réussi à convaincre l'Ambassadeur de France à Dakar de faire intervenir les forces militaires françaises.

''Des documents historiques fiables prouvent aujourd'hui l'influence de la France et son soutien au Sénégal pendant la crise fédérale'' note le président de l'Association des historiens du Sénégal.

Quelques dates importantes

29 - 30 décembre 1958 : Conférence de Bamako

04 avril 1960 : Signature des accords pour l'indépendance de la fédération

20 juin 1960 : Proclamation de l'indépendance de la fédération

18 août 1960 : Modibo Keïta demande au chef des forces armées, le colonel Abdoulaye Soumaré de mobiliser les troupes pour sécuriser la présidentielle

19 août 1960 : Modibo Keïta convoque un conseil des ministres extraordinaire dans la soirée. Un seul ministre sénégalais est présent. Mamadou Dia est limogé de son poste de ministre de la Défense. L'état d'urgence est proclamé.

20 août 1960 : Senghor s'adresse aux Sénégalais et appelle au soulèvement, Abdoulaye Soumaré est arrêté par la garde présidentielle. L'Assemblée nationale sénégalaise convoquée d'urgence dans la nuit vote l'indépendance du Sénégal et l'état d'urgence.

Le 21 août 1960 : Modibo Keïta et les ministres maliens du gouvernement fédéral présents à Dakar sont reconduits à la frontière via le train Dakar-Bamako.

22 septembre 1960 : le Mali proclame son indépendance.

Abdou Aziz Diédhiou
Role,BBC News Afrique

Source: https://www.bbc.com/

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