Au Mali, le triomphe sans gloire du président Keïta

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Le président IBK
Le président IBK s'est adressé à ses partisans, à Bamako, le 3 août 2018. © REUTERS/Luc Gnago

Le chef de l’État sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, a été réélu jeudi avec 67 % des voix dans un scrutin marqué par une faible participation et contesté par l’opposition.

La voix de Moustapha Ben Barka reste distante. «Nous sommes contents.» Le secrétaire général de la présidence accueille l’annonce, jeudi, de la réélection d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit IBK, sans grande surprise. Comme tous les Maliens. Le chef de l’État sortant, crédité de 67,17 % des suffrages selon les chiffres provisoires, a distancé sans mal son vieux rival Soumaïla Cissé (32,8 %) lors du scrutin de dimanche. Le ballottage largement favorable après le premier tour, offrant à IBK près de 25 % d’avance, avait déjà réduit le suspens.

Ces deux derniers jours, les proches du challenger, très combatifs, ont fustigé des fraudes massives, Soumaïla Cissé taxant l’élection de «coup d’État électoral», mais laissant aussi paraître qu’eux-mêmes n’y croyaient plus vraiment. Les nombreuses missions d’observations électorales n’ont pas encore rendu leur verdict final. L’Union européenne a souligné n’avoir constaté que des «irrégularités procédurales». Une association locale, le Pocim, après avoir analysé les données du premier tour, a néanmoins mis en évidence des «incohérences».

Cette fragilité démocratique pourrait amoindrir la légitimité d’IBK à l’aube de son nouveau quinquennat. Son bilan des cinq premières années, très mitigé, avait déjà entamé son crédit

Les incertitudes sur la sincérité du vote ont miné l’atmosphère et inquiété le gouvernement. Dès mercredi soir, l’Internet mobile, très utilisé pour les regroupements et les manifestations, a été coupé à Bamako. Les forces de l’ordre ont été déployées dans le centre-ville. Des mesures fortes alors que la majorité du pays semble se désintéresser du processus. Début août, les passants de Bamako étaient plus agités par la recherche des sommes nécessaires à l’achat d’un mouton pour fêter la Tabaski, comme on nomme l’Aïd au Sahel, que par les querelles politiques. Au final, la participation a été historiquement basse, moins de 35 %.

Accords d’Alger

Cette fragilité démocratique pourrait amoindrir la légitimité d’IBK à l’aube de son nouveau quinquennat. Son bilan des cinq premières années, très mitigé, avait déjà entamé son crédit. Or, les défis qui attendent cet homme de 73 ans sont gigantesques. En 2013, l’alors futur président avait conduit une campagne martiale, frisant le nationalisme, en promettant de ramener au Mali, la paix et sa fierté. À l’entame de sa succession, la situation sécuritaire du pays s’est au contraire dégradée et le Mali apparaît plus que jamais comme l’homme malade du Sahel.

L’urgence est sans aucun doute de progresser dans l’application des accords d’Alger. Ce texte, signé en mars 2015, est largement resté lettre morte. Le désarmement des groupes armés n’a ainsi pas commencé. Les patrouilles communes entre ces mêmes milices et l’armée malienne sont tout juste ébauchées dans Gao, Tombouctou et Kidal. Dans ces villes, tombées aux mains des djihadistes en 2012 avant d’être libérées par l’armée française lors de l’opération «Serval» en 2013, l’administration de Bamako est en revanche largement absente. Sans parler des forces de l’ordre. Les réformes constitutionnelles, indispensables pour permettre cette large décentralisation qui forme le socle des accords, ont été repoussées sine die.

Le temps presse

L’immobilise n’a fait que renforcer le morcellement du Nord-Mali. Le pays abrite aujourd’hui 17 groupes armés «officiels», sans compter les brigades djihadistes écartées par principe des négociations mais forts actives. Écrasées au lendemain de «Serval», elles se sont recomposées au point d’annoncer en mars 2017 leur fusion en une seule entité, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), sous les ordres du Touareg Iyad Ag Ghaly. Ce dirigeant touareg n’a pas empêché l’islamisme radical de gagner du terrain dans la région de Mopti, dans le centre du pays.

«IBK porte une lourde responsabilité dans la détérioration des choses. Il a signé les accords de mauvaise foi et pendant plus de deux ans il a cherché à gagner du temps pensant qu’une solution militaire était possible. Mais la solution à ce conflit est politique», fustige un diplomate européen, soulignant que le président ne s’est rendu qu’une fois à Kidal, la capitale rebelle, au Nord-Mali. Et c’était en juin dernier.

Ce voyage n’est pas un hasard. Depuis janvier, et l’arrivée de Soumeylou Boubèye Maïga au poste de premier ministre, la politique gouvernementale s’est nettement infléchie. «On sent un changement. Plus de choses ont été faites en six mois qu’en quatre ans», se félicite Mamadou Coulibaly, le patron des patrons maliens. «Nous sommes ouverts aux discussions», soulignait, début août, le premier ministre. L’homme sait que le temps presse. Les élections passées, la pression des pays alliés va se faire plus forte. La France, qui entretient plus de 4.500 hommes au Mali dans le cadre de Barkhane, cache de moins en moins son impatience. Pour IBK la marge de manœuvre est courte. La fête de la victoire risque de l’être aussi.

 

Par  Tanguy Berthemet

LE FIGARO.fr

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