LE MALI FACE AU DEFI DEMOCRATIQUE: Le Manifeste pose les jalons de la nécessaire refondation

S’il y a des gens qui sont aujourd’hui dans le collimateur du pouvoir, c’est sans doute les signataires du Manifeste pour la démocratie, les dénonciateurs de l’accord d’Alger et le...

10 Août 2006 - 11:42
10 Août 2006 - 11:42
 0
S’il y a des gens qui sont aujourd’hui dans le collimateur du pouvoir, c’est sans doute les signataires du Manifeste pour la démocratie, les dénonciateurs de l’accord d’Alger et le RPM, le seul parti assez représentatif à dire non à l’unanimisme politique habillé en consensus. Ils sont voués aux gémonies par les amis du président rassemblés au sein d’un Mouvement citoyen qui a perdu son essence depuis la victoire du général en 2002. Face à ce recul démocratique, l’Association démocratie et justice a eu le courage de tirer la sonnette d’alerte.
 
« Nous n’avons pas pour vocation de prendre le pouvoir… Ce qui est clair, c’est que nous ne pouvons pas jouer le rôle des partis politiques ». Cette assurance est faite par Pr. Abdoul Traoré dit Diop, le président de l’Association démocratie et justice (AJD). C’était face à la presse le 5 août dernier pour faire le point de l’évolution du Manifeste pour la démocratie. Un véritable pavé dans la mare calme du faux « consensus politique » dont on ne cesse de nous berner depuis juin 2002. Cette précision était de taille dans la situation actuelle marquée par la confusion savamment orchestrée par le pouvoir et ses acolytes.
D’abord parce qu’elle réplique à une campagne de diabolisation de ce mouvement pacifique et patriotique. Pour l’affaiblir, on a essayé d’opposer l’ADJ aux partis politiques en faisant croire que les initiateurs du Manifeste voulaient se substituer aux chapelles politiques dans les grâces d’Allah, pardon du régime populiste en place. Contrairement au Mouvement citoyen, qui ne cesse de marcher sur les plates-bandes des partis afin de les éclipser définitivement de la gouvernance du pays, l’AJD veut les renforcer en leur redonnant leur fonction essentielle : gouverner.
Les signataires du Manifeste savent que les partis politiques sont des maillons et artisans essentiels dans la construction d’une vraie démocratie et qu’il est périlleux de les mettre à l’écart de la gestion des affaires publiques. Et sur ce point, elle est en train de marquer des points car des composantes essentielles de la société civile, des organisations syndicales et même des partis politiques partagent désormais la pertinence de leur constat et la réalité de leur inquiétude. Il est évident que même les farouches défenseurs du modèle malien sont conscients que la démocratie marque aujourd’hui le pas au Mali.
Face à la presse, l’Association a démontré qu’elle n’a aucun intérêt à se substituer aux formations politiques. « Nous le disons ici, haut et fort, il n’y aura aucun candidat sous le label ADJ lors des élections de 2007. Nous ne présenterons de candidat ni aux communales, ni aux législatives encore moins à la présidentielle ». Il suffit seulement de lire la liste des signataires régulièrement publiée dans la presse pour se convaincre que l’initiative va au-delà d’un simple engagement partisan. Elle est l’amorce d’un véritable et salutaire mouvement patriotique.
En mettant les points sur les « i », l’ADJ coupe ainsi l’herbe sous les pieds de ses détracteurs qui ne ratent aucune opportunité de diaboliser les signataires du Manifeste pour la démocratie. « Aigris politiques », « frustrés sociaux », « assoiffés de pouvoir »…Diop et ses camarades ont été traités de tout pour les discréditer et minimiser la portée historique de leur initiative.
Et pourtant, l’ambition de cette association est des plus nobles. Elle a d’abord le mérite d’animer le débat politique au point mort depuis que les partis, du moins les leaders politiques, ont fait allégeance au pouvoir contre quelques portefeuilles ministériels ou des postes juteux dans l’administration.
Si l’alternance est un principe fondamental de la démocratie, la nôtre a étouffé ce modèle de gouvernance en déguisant le consensus en unanimisme. Et petit à petit, les partis politiques ont dû s’effacer de la conquête et de la gestion du pouvoir au profit des individus. Il est prétentieux de dire aujourd’hui qu’ATT n’a pas de parti. Le Mouvement citoyen qui l’a porté au pouvoir a phagocyté toutes les formations en usurpant leur rôle.
 
Un modèle galvaudé
Que vaut une démocratie sans partis ? Rien assurément ! L’affaiblissement de la classe politique allait à la longue sonner le glas de notre jeune démocratie. Chacun est conscient de la nécessité de redresser la barre. Mais, peu de gens ont le courage de le dire et de le réclamer fort de peur de perdre leurs privilèges. Il a fallu que l’ADJ le fasse. La constante croissance du nombre de signataires en dit long sur l’adhésion des Maliens à son objectif : refonder la démocratie malienne.
On nous renvoie chaque fois à la face que le modèle de gestion du Mali est unique. Ce qu’on ne dit pas, c’est que c’est une expérience qui a déjà montré ses limites. On ne juge pas seulement le bilan d’un régime par des réalisations, mais aussi surtout par l’ardoise que celles-ci ont par exemple coûté aux contribuables. Il est utopique de croire au progrès alors que sur chaque 10 F CFA investis à la sueur des braves populations, 5 F sont détournés à d’autres fins, le plus souvent personnelles. Les Maliens, dans leur grande majorité, avaient pensé que la démocratie allait les mettre à l’abri de tels agissements qu’ils ont combattus jusqu’à la victoire du 26 mars 1991. 
Il est de la responsabilité des partis politiques de dénoncer les entorses à la gestion transparente des fonds publics. Mais, comment dénoncer alors qu’on a la main dans le plat ? Aujourd’hui, la classe politique, dans sa grande majorité, continue de chanter qu’au Mali, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au même moment, la grande majorité du peuple ne rêve plus de pouvoir gérer le quotidien. L’inflation est en train de dépasser tous les seuils imaginables.
Aujourd’hui, le sac du riz (100 kg) tourne autour de 30 000 F CFA en moyenne. Le prix du sucre, de l’huile, du savon… continue de grimper alors qu’on n’a pas encore atteint la période critique du Ramadan. A ce rythme, beaucoup attendront le paradis (pour ceux qui auront le privilège d’y accéder) pour goûter aux fruits des « investissements citoyens » du général-président. Préoccuper par la sauvegarde de leurs strapontins, nos leaders politiques ne peuvent que fermer les yeux sur la misère du peuple et entonner l’hymne du progrès avec Papa-Bonheur.
 
Conscience citoyenne
Le consensus dont nous nous prévalions un moment a vite viré à l’unanimisme qui n’admet pas la divergence d’opinions et qui ne souffre pas la contradiction quelle que soit sa pertinence. A la différence de l’unanimisme, le consensus accepte au moins le débat contradictoire qui le nourrit et le renforce. Ce qui est loin d’être le cas de l’expérience politique que le Mali vit présentement.
On sort inexorablement de la démocratie dès qu’un individu ou un regroupement de personnes ne peut plus exprimer librement ses opinions sans être vilipendé ou exposé aux foudres des princes du jour. Et que restera-t-il de notre démocratie si la présidentielle de 2007 se résumait à un one man show de l’actuel locataire de Koulouba ? C’est évident qu’on va indexer l’expérience de 1997 comme un précédent. Mais là, les partis avaient plutôt fait de la résistance alors qu’ils ont maintenant tout simplement démissionné.
En réalité, le Manifeste qui fait couler tant d’encre et de salive n’est qu’une prise de conscience citoyenne et militante. Il découle du constat qu’en affaiblissant le rôle politique dans la gestion du pays, on prend également le risque d’affaiblir notre démocratie. Mais, les amis du général et les soupirants de son clan se refusent de voir les choses sous cet angle. Pour étouffer « cette opposition » dans son œuf, ils la font passer pour une action de sabotage de la construction nationale entreprise par le pouvoir en place.
Et pourtant, à notre avis, ce régime ne doit pas être frustré parce que l’association ne met pas la responsabilité de notre panne démocratique à l’actif du seul général. Elle épingle également la classe politique. Et elle a eu le mérite d’engager d’abord la bataille de la refondation de la démocratie malienne au sein des partis politiques. « Nous sommes en train de nous battre au sein de nos partis qui souffrent de déficit démocratique », assure Pr. Diop pour signifier aux uns et aux autres que leur initiative n’est dressée contre personne et qu’ils n’ont qu’un seul objectif : sauver la démocratie malienne.
Ce sauvetage est nécessaire parce que les martyrs n’ont pas versé leur sang pour que le fruit de leur lutte soit confisqué par une minorité au nom d’un sacro-saint consensus. Nous n’avons pas bravé les BRDM, les balles et la couronne d’enfer de l’autre général pour être réduits en bénis oui oui. Mais pour développer notre pays dans la concorde et en nous enrichissant de nos différences.
Moussa Bolly

Quelle est votre réaction ?

Like Like 0
Je kiff pas Je kiff pas 0
Je kiff Je kiff 0
Drôle Drôle 0
Hmmm Hmmm 0
Triste Triste 0
Ouah Ouah 0