Au Mali depuis 2003, Mohamed Sanné Topan est, sans doute, le plus malien des ambassadeurs accrédités au Mali pour avoir été "Soudanais". Il aime à dire que "c'est le colonisateur qui nous a séparés sinon je me sens plus malien que burkinabé". Face à la grave crise identitaire que vit le Mali et compte tenu du rôle que son pays, le Burkina Faso, joue en sa qualité de médiateur de la CEDEAO, l'ambassadeur Topan a accordé à Bamako une grande interview à notre confrère Yaya Issouf MIDJA du "Quotidien" du Burkina Faso venu spécialement l'interroger sur la crise malienne. Compte tenu de la qualité de l'interview publiée par notre confrère burkinabé dans sa parution n° 629 du mardi 6 novembre 2012, L'Indépendant a jugé nécessaire d'approcher l'ambassadeur du Burkina Faso au Mali à la faveur de la célébration de la fête nationale du Faso pour vous proposer une synthèse de ladite interview, le sujet étant toujours d'actualité.
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SE Mohamed Sanné Topan, Ambassadeur du Burkina Faso au Mali[/caption]
C'est aujourd'hui mardi 11 décembre 2012, que le Burkina Faso célèbre sa fête nationale. A cette occasion, son ambassadeur accrédité au Mali, Mohamed Sanné Topan offre une réception dans sa représentation diplomatique à Bamako sise à l'ACI 2000. La célébration de cette fête se passe cette année au Mali, dans un pays en pleine crise identitaire avec l'occupation des régions du nord (Kidal, Gao, Tombouctou) et d'une partie de la région de Mopti (Douentza notamment). Ainsi, nous avons demandé à l'ambassadeur ses sentiments. Il répond : "
Un sentiment de tristesse, en temps que "Soudanais" d'hier et aujourd'hui, ambassadeur du Burkina Faso au Mali. De nos jours, Je traverse une période délicate de ma mission diplomatique au Mali, compte tenu de l'actualité brûlante je veux dire l'occupation des 2/3 de son territoire par les mouvements armés".
Il ya peu plus d'un mois, notre confrère du Burkina Faso, "le Quotidien" lui avait posé la question de savoir quel appui, en tant qu'ambassadeur, il apporte à la médiation burkinabé dans la crise malienne.
Sa réponse a été "
vous savez qu'il est difficile de parler de soi-même. Le président du Faso est le médiateur dans la crise malienne. Il a été désigné par ses pairs de la CEDEAO, au regard de son expérience dans d'autres crises, pour apporter sa contribution dans la résolution de la crise malienne, c'est-à-dire faciliter le dialogue entre les Maliens. Pour ce qui me concerne, j'ai toujours été présent aux côtés de l'envoyé du médiateur, en l'occurrence le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Bassolé, dès les premiers moments de la crise. Pour ne pas rentrer dans les détails, je dirai qu'on peut se réjouir que sur le plan institutionnel, les choses évoluent dans le bon sens. Ce retour à une vie constitutionnelle normale a été fort apprécié par les Maliens d'abord et la communauté internationale. Cette première étape, préalable au succès du recouvrement de la partie du territoire occupée, et de la réconciliation des Maliens est à l'actif de la médiation. Vous savez que lorsque dans un pays intervient un coup d'Etat, il est évident que ce n'est pas une situation facile. Mais, réussir à ramener les auteurs dudit coup d'Etat à des sentiments meilleurs qui permettent un retour à une vie constitutionnelle normale n'est pas chose f
acile.
En la matière, on ne peut pas citer beaucoup de cas de figure. Le président du Faso, par ses orientations, par ses actions multiples, a réussi à amener la junte à se retirer pour permettre aux institutions de fonctionner conformément à la Constitution du 25 février 1992 du Mali. Et cela n'est pas une mince affaire, même si aujourd'hui, certains acteurs n'apprécient pas cela à sa juste valeur. Ensuite, il a souvent envoyé le ministre Djibrill Bassolé prendre langue avec les différents acteurs et les mouvements armés pour voir comment on peut renouer les fils du dialogue avec le gouvernement du Mali. Des fils peuvent être égarés à un moment donné, mais s'ils veulent revenir à la maison, il faut chercher à renouer le dialogue. Et je crois que nous sommes à ce stade. J'espère que le bon sens va prévaloir, que la disponibilité sera exprimée de part et d'autre et qu'on pourra renouer les fils du dialogue entre les filles et fils du Mali. Bien sûr, il y a d'autres acteurs dans la crise qui ne sont pas forcément les fils du Mali, ça m'étonnerait que le dialogue puisse ramener ces derniers à la raison. D'autres solutions pourraient être envisagées avec l'aide de l'ensemble des partenaires du Mali".
Avec l'intervention militaire prônée par certains dont des Maliens, quel va être le sort de la médiation burkinabè ? Une autre question que notre confrère Yaya Issouf MIDJA du Burkina Faso a posé à l'ambassadeur Topan qui répond : "Vous savez bien que lorsque le gouvernement malien a saisi la CEDEAO pour l'intervention, celle-ci, en tant qu'organisation sous régionale, a saisi l'Union africaine qui, a son tour, a saisi le conseil de sécurité de l'ONU. Comme vous le savez, le conseil de sécurité a demandé d'entreprendre des actions dans les deux sens: la négociation politique et diplomatique tout en n'excluant pas la force armée, c'est-à-dire l'intervention militaire. Donc, il faut donner encore la chance au dialogue pour atteindre la paix. Et si d'aventure, certains ne veulent pas venir au dialogue, il faut dans ce cas utiliser le bâton. Mais autant que faire se peut, il faut, de mon point de vue et en tant qu'ambassadeur dont le premier rôle est de travailler à renforcer les relations entre les peuples, privilégier le dialogue. Je ne peux pas parler de violence par l'intervention militaire. C'est d'abord autant donner la chance à la paix à travers la négociation. Elle peut être longue, mais l'idéal est qu'on arrive à instaurer la paix par le dialogue. Toutefois, s'il y a des groupes qui ne souhaitent peut-être pas négocier, dans ce cas, il faut utiliser le bâton pour changer les rapports de force ..."
A cette autre question de savoir sa réponse aux allégations en provenance de certains milieux politiques et de la société civile au Mali qui accusent le Burkina de soutenir les mouvements armés au Nord, l'ambassadeur Topan répond à notre confrère : "Le Burkina en tant que pays en charge de la médiation doit maintenir le contact avec tous les protagonistes, aussi bien avec le gouvernement malien que les mouvements armés susceptibles de venir à un dialogue constructif. Ce qui est allégué n'a aucun fondement. Parce que pour réussir une médiation et construire une paix durable, vous êtes obligés de dialoguer avec
tous les acteurs de la crise".
Invité toujours par notre confrère Yaya Issouf MIDJA du Quotidien du Faso à se prononcer sur la concertation nationale en préparation au Mali, l'ambassadeur Topan soutient :
"Il n'y a pas une solution miracle pour sortir de cette situation. Les concertations ou les assises nationales au niveau du Mali dont vous parlez n'excluent pas l'intervention de la force internationale. De mon point de vue, l'un n'exclut pas l'autre. Les Maliens peuvent en toute fraternité se retrouver. C'est avant tout un problème du Mali et c'est le Mali qui est devant. Ce n'est pas de trop que les Maliens harmonisent leurs points de vue, se concertent à travers des assises afin de donner l'assurance que l'armée malienne est prête en cas d'intervention avec l'appui nécessaire. Lequel appui viendra, et de la CEDEAO, et de la communauté internationale. Donc, de mon point de vue, si les assises peuvent apporter quelque chose de substantiel, amener les Maliens à l'unité, à l'harmonie et à la communion fraternelle, elles sont les bienvenues. La communauté internationale s'est engagée et le conseil de sécurité s'est donné un délai pour pouvoir mieux peaufiner, mieux élaborer les différents concepts, pour éventuellement une intervention. Quand je dis éventuellement, c'est pour dire que l'intervention n'est pas un impératif. S'il n'y a pas de solutions, il y aura une intervention. Mais, si entre temps, par la négociation, par le dialogue, on arrive à trouver une solution, ce serait plus bénéfique. Car, qui dit intervention, dit violence et quand il y a la violence, c'est difficile de retrouver rapidement la paix des cœurs. Cela peut prendre du temps".
A la question de savoir : quelles conséquences la crise au Mali a eues sur les Burkinabè vivant dans le pays le diplomate burkinabé répond :
"D'abord, je voudrais saisir cette occasion que vous m'offrez pour compatir avec mes frères et sœurs du Mali qui continuent à souffrir, dans leur chair et dans leur âme, de cette situation fort regrettable. Il a fallu que des Maliens prennent des armes contre d'autres Maliens, pendant que des groupes redoutables étrangers y avaient élu domicile dans la partie nord, pour que la situation prenne une telle proportion. C'est vrai que depuis des années, il y a eu des crises de façon récurrente au Nord du pays, mais c'est la première fois que la crise a atteint un tel seuil avec l'occupation de trois grandes régions, et partiellement une quatrième région, à savoir Kidal, Tombouctou, Gao et quelques cercles ou préfectures de la région de Mopti. Je suis personnellement affligé et je sais que les Burkinabè sont également affligés et compatissent. Parce que l'une des conséquences de cette saignée est le déplacement d'une partie de la population de la zone occupée au-delà des frontières maliennes. Mais, ils ne sont pas ailleurs, ils sont chez eux où ils se trouvent. Je parle pour le Burkina pour dire que ceux qui y sont, sont chez eux. Nous avons à peu près 100 000 personnes sur le territoire burkinabè. Autant que faire se peut, avec les moyens du bord, les Burkinabè ont accueilli leurs frères et sœurs, et je voudrais, en tant qu'ambassadeur du Burkina au Mali, remercier l'ensemble des hôtes, les encourager, les inciter à offrir l'hospitalité à leurs frères et à faire en sorte que la coexistence soit pacifique et fraternelle. Parlant des conséquences sur les Burkinabè vivant au Mali, c'est vrai que lorsqu'il y a une telle situation, il peut y avoir des dérapages. Cela n'a pas manqué au début avec l'effet conjugué de la douleur, de l'énervement et des sautes d'humeurs. Certains Burkinabè ont fait les frais, il faut le dire, il faut être réaliste. Des compatriotes ont été enfermés au niveau des camps, notamment à la gendarmerie ou dans des camps militaires. Avec les dispositions idoines que nous avons prises en respectant les procédures diplomatiques, nous avons réussi à les faire libérer. C'est vrai que certains n'avaient pas les papiers requis et les documents nécessaires pour être à l'étranger, mais nous avons, avec la compréhension de nos frères maliens, trouver des solutions chaque fois que des problème
s se sont posés. Sinon de façon globale, il n'y a pas eu d'autres impacts négatifs. C'est généralement parmi ceux qui étaient en train de voyager pendant la crise, soit en partance pour le Sénégal ou en provenance du Mali pour la première fois, où il y a eu quelques victimes. Quand je dis des victimes, ils ont été enfermés momentanément et nous avons fait les démarches nécessaires pour obtenir leur libération".
Et pourtant, dès le début de cette crise, l'ambassadeur du Burkina Faso au Mali en sa qualité d'homme politique très averti pour avoir été militant et cadre du parti au pouvoir (le CDP), puis membre du cabinet du président de la République pendant une décennie, ensuite député ministre, puis ambassadeur avait pris des dispositions pour affronter d'éventuels problèmes. Il a eu à évoquer la question avec notre confrère Yaya Issouf MIDJA du "
Quotidien" du Burkina. A ce sujet, voici sa réponse : "Nous avons mis en place une organisation interne. Nous avons constitué une cellule de crise et nous avons eu des rencontres régulières avec la communauté burkinabè. Nous avons tenu régulièrement informé notre communauté de l'évolution de la médiation du Burkina Faso, mais également des précautions et des dispositions pratiques à prendre pour minimiser des dégâts éventuels. Un système de communication à l'interne a été mis en place pour éventuellement mettre en état d'alerte la communauté burkinabè au cas où une situation désagréable devait se produire. Ces dispositions prises ont été très appréciées par les compatriotes, notamment ceux vivant dans la capitale.
Invité à dire un mot sur les élections couplées (législatives et municipales) qui viennent de se dérouler chez lui au Burkina Faso auxquelles a activement pris part, l'ambassadeur Topan soutient : "
Ces élections ont indiqué une certaine stabilité de notre pays, une certaine maturité des acteurs politiques qui ont chacun eu leur compte, même si mon parti le CDP s'en est sorti avec une large majorité aux législatives. Ainsi je voudrais d'abord m'en féliciter et dire toute mon admiration aux dirigeants du Burkina Faso pour cette continuité et inviter l'ensemble des acteurs politiques à poursuivre dans ce sens". Une belle leçon de démocratie à suivre surtout au Mali et ailleurs en Afrique.
Bandiougou DIABATE