Rédaction des actes de jugement: Le calvaire des anciens magistrats

Cela fait six longues et pénibles années que dure le calvaire innommable de six magistrats et une greffière à la retraite qui ne parviennent pas à entrer en possession de leur dû après...

31 Août 2006 - 08:59
31 Août 2006 - 08:59
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Cela fait six longues et pénibles années que dure le calvaire innommable de six magistrats et une greffière à la retraite qui ne parviennent pas à entrer en possession de leur dû après 2 ans et demi de travail pour remettre à jour les milliers de dossiers judiciaires en rédigeant les actes de jugement qui s’entassaient ainsi d’année après année, dont certains qui sont vieux de plus d’une décennie. Ce, malgré les nombreuses démarches entreprises auprès du ministère de la justice et des plus hautes autorités du pays, y compris le Premier ministre et le président de la République. Ce dernier s’étant même engagé en février 2006, après une audience accordée aux vieux magistrats à Koulouba, à dénouer au plus vite la situation. Qui est-ce qui veut transformer la promesse de règlement rapide à eux faite par ATT en billevesée de grin (autour du thé, du damier ou de la belotte) dont la portée n’engage que celui qui y croit ?          
 Tout est parti en 2000 de la volonté de la Banque mondiale qui exigeait du Mali de se conformer aux autres pays de l’UEMOA en ce qui concerne le casier judiciaire des citoyens pour éviter que son argent bénéficie aux condamnés de justice et autres criminels à col blanc qui auront été épinglés par les juridictions compétentes de leurs pays respectifs. En effet, environ 500 millions FCFA, c’est la somme que la Banque mondiale s’était engagée à payer en 2000 à une équipe d’experts sénégalais pour aider le Mali à remettre à jour le casier judiciaire des citoyens à l’instar d’autres pays de l’espace UEMOA. Car le constat est surtout établi que les jugements rendus au Mali, pour au moins une décennie et même plus, ne sont pas rédigés par les magistrats qui les ont prononcés aux tribunaux de première instance comme aux juridictions les plus élevées du pays. Ce qui fait que les actes «non rédigés » se comptent par milliers à Bamako et à l’intérieur du Mali avec des conséquences multiples et variées sur la vie des citoyens et les finances publiques du pays.
La préférence des retraités
Mais après le plaidoyer du ministre de la Justice de l’époque (Abdoulaye POUDIOUGOU) pour confier le travail aux Maliens par respect de la souveraineté nationale du pays, la Banque mondiale avait posé une seule condition : que la rédaction des actes de jugement soit plutôt confiée aux magistrats à la retraite, les juges en fonction (payés pour cela) ayant failli à leur devoir en la matière. Six anciens magistrats étaient sollicités pour ce faire par ledit ministère : Bakary BATHILY, Ibrahim Nia KARABEMTA, Mme GUINDO Aminata TRAORE (greffière), Cheick Oumar DEMBELE, Moussa Demba TRAORE, Seydou Tidiane TRAORE et Fousseyni COULIBALY (ces deux derniers sont aujourd’hui décédés). Chaque magistrat touchait ainsi par mois 350 000 FCFA ; la greffière, 100 000 FCFA. Curieusement, le superviseur en chef de ce travail empochait 1 million FCFA ; tandis que sa secrétaire se taillait 450 000 FCFA et son planton, 100 000 FCFA. «Cela a été décidé à notre absence et on s’est contenté de cette somme forfaitaire que nous n’avons même pas discutée. Car, pour nous, les faits sont graves : c’est même une honte de savoir, pour un citoyen ordinaire, que notre pays n’a pas de casier judiciaire. C’était encore plus grave de payer des experts sénégalais à des centaines de millions pour faire un travail que nous sommes capables d’exécuter au même titre qu’eux, car nous avons reçu les mêmes formations : c’était une humiliation », nous a confié le vieux BATHILY. «Notre motivation n’était pas cela, le fait d’avoir porté le choix pour nous était un honneur : nous n’avions pas à être récompensés. C’est pourquoi, nous n’avons pas hésité un seul instant à interrompre notre repos pour nous remettre au travail », a-t-il expliqué.    
Le travail de forcenés
Les retraités de la magistrature se sont ainsi mis au travail comme des forcenés, pendant au moins 2 ans, pour dépoussiérer des milliers de dossiers vieux de plus d’une décennie et rédiger les actes conformément aux jugements rendus. Il s’agit des dossiers des communes du district de Bamako, à l’exception de ceux de la commune V dont le responsable a refusé de laisser les documents en question à leur disposition. La situation, nous a-t-il été révélé, est identique à celle de l’intérieur du pays. «Après Bamako, nous devrions nous attaquer aux dossiers des autres juridictions à l’intérieur du pays », a souligné le vieux BATHILY. Les décisions de justice n’étant pas actées par une rédaction en bonne et due forme, c’est toute la machine judiciaire et juridictionnelle qui est grippée, pour ne pas dire qu’elle tourne à vide : tous les citoyens sont logés à la même enseigne du «casier judiciaire vierge » en dépit de la condamnation des uns par rapport aux autres, les justiciables (y compris l’Etat malien) ne peuvent pas être remboursés ou dédommagés à hauteur des dépenses engagées par l’Etat au pénal (expertise, amendes, autres frais) ou des préjudices subis par les justiciables, etc.     
Après quelques mois d’émoluments versés par la Banque mondiale qui a suspendu son concours financier au Mali, plus un kopek n’était versé aux magistrats en dépit des démarches entreprises auprès des plus hautes autorités du pays, y compris le président ATT qui les a reçus à Koulouba à ce sujet. «Dès que nous avons constaté que l’argent n’était plus versé, nous en avons informé le ministre POUDIOUGOU qui nous a instruit de continuer à travailler comme convenu et il nous a affirmé que son département était en négociation pour ramener la Banque mondiale à reprendre son financement du projet en question », a expliqué le sieur BATHILY en substance. «De toutes les façons, l’Etat malien prendra tout en charge si la Banque mondiale ne revenait pas sur son refus de financer ce projet », avait assuré le ministre de la Justice. Aussi, pendant deux ans, l’équipe des vieux magistrats a-t-elle continué à travailler comme au début.
La Primature et Koulouba impuissants ? 
Le problème n’étant pas résolu, il a été posé au nouveau grade des sceaux, Me Abdoulaye Garba TAPO, qui dit n’avoir pas connaissance du dossier. Mais compatissant à la situation des anciens, il leur a gracieusement versé 100 000 FCFA en attendant le traitement du dossier. Ejecté prématurément du gouvernement, il a été remplacé au ministère de la Justice par Me Fanta SYLLA qui a reçu une fois en audience l’équipe des vieux magistrats. «Depuis, elle refuse de nous recevoir », a regretté M. BATHILY. Face à ce blocage, le Premier ministre a été saisi à son tour à travers deux lettres qui lui ont été adressées dans ce sens. Son chef de cabinet, un certain M. SANGHO, était chargé de s’occuper du dossier. «Selon nos informations, le Premier ministre a donné des instructions au ministre de la Justice pour régler notre problème, mais il n’en a rien été jusqu’à ce jour », a regretté le vieux magistrat. Ils sont montés d’un pallier supérieur, en février 2006, en évoquant le sujet au président de la République en personne qui les a reçus à Koulouba. «Comment peut-on faire un travail sans être payé ? », s’est interrogé ATT. Sur-le-champ, selon les vieux, il a donné des instructions à son « conseiller spécial », M. Mangal TRAORE, pour mettre ces personnes âgées dans leur droit légitime. «Nous attendons toujours », a déclaré le vieux BATHILY avec beaucoup de sérénité et de philosophie. «Ce qui nous chagrine le plus, c’est que nous avons perdu deux de nos compagnons qui sont décédés sans être remis dans leurs droits », a-t-il déploré.     
Respect ou outrage à personnes âgées ?
Qui est-ce qui s’oppose au fait qu’il soit versé à ces vieilles personnes l’argent qu’elles ont gagné à la sueur de leur front, le travail ayant été bien fait en vertu des accords conclus entre l’équipe des vieux rédacteurs et le ministère de la Justice qui les a sollicités à cette fin ? Pour quelles raisons ? Pourquoi est-ce que les portes leur sont aujourd’hui fermées au ministère de la Justice et à la Primature ? Le président ATT a-t-il déjà instruit comme promis le ministre concerné pour payer aux vieux leur argent ? Si oui, qui est-ce qui s’oppose à la volonté présidentielle à propos de cette affaire ? En trimbalant ces magistrats retraités de la sorte, le régime ATT ne démontre-t-il pas toute l’ambition de solidarité qui l’anime en direction des personnes âgées, deux parmi eux étant déjà décédés pour laisser derrière eux des familles nombreuses et des veuves éplorées qui sont sans ressources ?
Ce qui est sûr, c’est que l’équipe des vieux magistrats a arrêté de travailler depuis 2004. Les dossiers continuent de s’entasser par tonnes et par milliers dans les juridictions de la capitale et de l’intérieur du pays avec toutes les conséquences que l’on connaît. «A notre époque, une mise en demeure était faite au greffier pour prendre toutes les dispositions utiles après les jugements. Si les actes n’étaient pas rédigés trois mois après les verdicts du juge, le greffier en chef était sanctionné d’une amende en bonne et due forme », a précisé Mme GUINDO Aminata TRAORE. L’autre vérité, c’est que les vieux magistrats étaient prêts à faire ce travail à zéro franc, mais à condition d’en convenir auparavant et dès le départ. Puisque tel n’a pas été le cas, il va falloir leur payer ce qu’on leur a promis. Un adage de chez nous ne dit-il pas ceci : «Ni ye duga ye mogon shu kan, i be a fo de "wili ka’a bo an’ shu kan" ». A bon entendeur…
Par Seydina Oumar DIARRA-SOD

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