Procédures de la discipline financière et budgétaire devant la Cour suprême : Le procureur général Mamoudou Timbo dit tout sur le rôle et la place du parquet général !

"Rôle et place du ministère public devant la chambre de discipline budgétaire et financière". Telle était la thématique présentée par le procureur général près la Cour suprême du Mali, Mamoudou Timbo à l'atelier, organisé le 4 septembre dernier par la Section des comptes sur le jugement des infractions budgétaires et financières et les mécanismes de détection des fautes de gestion. "La discipline budgétaire est essentielle pour assurer la bonne gestion des fonds publics, éviter les gaspillages et garantir la transparence dans l'utilisation des ressources", a souligné le procureur général Mamoudou Timbo dans sa présentation que nous publions en intégralité.
La loi se contente de citer le ministère public comme composante à part entière d'une juridiction, sans pour autant en donner une définition spécifique.
Dès lors est-il permis de recourir à la doctrine pour donner un contenu à la notion de «ministère public». En vertu donc des éléments résultant de la doctrine on peut dire que la notion de ministère public désigne «l'ensemble des magistrats de carrière qui sont chargés, devant certaines juridictions, de requérir l'application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société… Indépendants des magistrats du siège, les magistrats du ministère public sont hiérarchisés et ne bénéficient pas du principe de l'inamovibilité… En matière civile le ministère peut être partie principale ou partie jointe. En matière pénale, il est toujours partie principale». En matière des comptes, le droit positif qui lui est applicable lui fait jouer tantôt le rôle de partie jointe, tantôt le rôle de partie principale.
Dans l'organigramme d'ensemble de la Cour suprême du Mali, dont la Section des comptes dispose de son ancrage, jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi organique sur la Cour des comptes, l'article 71 de la Loi organique de 2016 précise que le Procureur général près la Cour suprême assure le service du ministère public auprès de toutes les formations de la Section judiciaire et de la Section des comptes.
L'article 291 de la même loi organique renchérit en disposant, s'agissant de la matière de la discipline financière et budgétaire, que «Les fonctions du ministère public sont assurées par le Procureur général ou l'un de ses avocats généraux».
C'est dire que le ministère public est largement représenté devant la section des comptes, en général, et la Chambre de discipline financière et budgétaire, en particulier.
Parler de ce thème à l'occasion de notre rencontre d'aujourd'hui a pour, entre autres, intérêts, d'être en phase avec l'actualité brulante étant donné la mutation institutionnelle subie par notre haute juridiction financière avec l'intervention coup après coup de trois faits marquants qui sont : la Constitution du 22 Juillet 2023 qui consacre la Cour des comptes institution de la République, l'intervention de la nouvelle loi organique sur la Cour des comptes qui fait de la Chambre de discipline budgétaire et financière une structure permanente, en même temps que la nouvelle haute juridiction financière se voit doter d'un ministère public propre.
Cette nouvelle réforme institutionnelle telle que conçue est supposée être de nature à booster le fonctionnement ainsi que l'efficacité de notre haute juridiction financière.
Il est, dès lors, du plus grand intérêt pour les acteurs de la justice d'entreprendre des actions d'imprégnation de la nouvelle réforme de l'univers de la haute juridiction financière ainsi que le suggère l'atelier qui nous réunit ce jour.
L'exposé qui va vous être présenté par nos soins se veut modeste car notre travail se veut respectueux des termes de référence à nous communiqués.
Il n'empêche que pour des considérations d'ordre pédagogique, le plan de développement du thème adopté se permet quelques extrapolations, pour mieux appréhender et comprendre les différentes interactions que peuvent avoir la place ainsi que le rôle du ministère public devant la Chambre de discipline budgétaire et financière.
Ainsi l'exposé qui va suivre ambitionne de vous entretenir du thème à nous confier en présentant les éléments de comparaison tant du point de vue organique (1ère Partie) que du point de vue fonctionnel (2e partie).
I°/ Eléments de comparaison du point de vue organique
A°) Points de ressemblance
La conception de principe du ministère public en tant que composante à part entière de la plupart des juridictions étatiques
Références :
1°) La loi portant organisation judiciaire en République du Mali
2°) Les lois spécifiques :
- Code de procédure pénale
- Loi organique sur la Cour suprême
- Loi organique sur la nouvelle Cour des comptes
B°) Points de dissemblance
Le ministère public conçu en tant qu'autorité de poursuites pénales
Le ministère public conçu en tant que Commissaire de la loi
Le ministère public conçu en tant qu'acteur de la discipline budgétaire et financière
II°/ Eléments de comparaison du point de vue fonctionnel
A°) Faute de gestion et infraction pénale
A°-1/ Notion de faute de gestion
Aussi bien la Constitution que la loi organique sur la Cour des comptes fait allusion à la notion de 'faute de gestion' sans en donner une définition précise. Dès lors c'est au niveau de l'analyse minutieuse des dispositions topiques de la loi organique fixant les règles de la procédure suivie devant la Section des comptes qu'il convient de cerner, sous le vocable de 'discipline financière et budgétaire', la notion de faute de gestion.
Ainsi on peut constater que la compétence juridictionnelle confiée par la loi organique à la Section des comptes s'exerce aussi en matière de discipline financière et budgétaire conjointement avec le jugement des comptes des comptables de deniers publics, le jugement des comptes des comptables publics de matières et celui des comptes des comptables de fait.
La doctrine cernant cette notion de 'discipline budgétaire et financière' indique que dans le cadre de la gestion publique, elle se réfère à l'ensemble des règles de procédure visant à garantir une gestion financière responsable et efficiente des ressources publiques. Une faute de gestion, dans ce contexte, représente une violation de ces règles ou des obligations qui découlent de la gestion des finances publiques.
La discipline budgétaire est essentielle pour assurer la bonne gestion des fonds publics, éviter les gaspillages et garantir la transparence dans l'utilisation des ressources.
Il y est indiqué que les fautes de gestion peuvent prendre diverses formes :
Fautes par commission :
Il s'agit d'actes ou d'opérations qui sont contraires aux règles budgétaires ou financières en vigueur. Par exemple, des dépenses non conformes au budget, des paiements irréguliers ou l'octroi d'avantages injustifiés à autrui.
Fautes par omission :
Ce sont les négligences ou les manquements qui entrainent des conséquences néfastes pour les finances publiques. Par exemple, le non-respect d'une obligation de contrôle budgétaire ou la non-découverte d'une irrégularité financière.
Fautes de gestion assimilées :
Ces fautes, bien que non directement liées à la gestion financière, peuvent être considérées comme telles lorsqu'elles portent atteinte à l'intégrité financière de l'Administration. Par exemple, l'obstruction à la conduite d'audits ou d'enquêtes, ou la non-exécution d'une décision du Conseil.
Exemples concrets de faute de gestion
- Non-respect des procédures d'exécution du budget :
Un service public qui effectue des dépenses sans respecter les règles de passation des marchés publics ou sans obtenir les autorisations nécessaires commet une faute de gestion.
- Fautes de gestion lors de la gestion des biens publics :
Un gestionnaire qui refuse de rendre compte des biens publics ou qui les gère de manière irrégulière peut être sanctionné pour faute de gestion.
- Octroi d'avantages injustifiés :
Un dirigeant d'entreprise publique qui octroie des avantages injustifiés à des tiers commet une faute de gestion qui peut être sanctionnée.
Ces exemples ci-dessus sont autant de cas de fautes de gestion trouvant place dans la panoplie des fautes de gestion prévues et spécifiées aux articles 293 (quant à la qualité des auteurs) et 294 (quant aux faits eux-mêmes) concernés par le champ d'application de la faute de gestion, telle que répertoriée dans la Loi organique de 2016 régissant la procédure suivie devant la Section des comptes de la Cour suprême.
NB : en tant que de besoin les acteurs de la justice financière pourraient s'y référer.
Cas d'exonération de responsabilité
L'article 295 de la loi organique de 2016 prévoit le cas d'exonération de l'application de la peine d'amende dans toutes les hypothèses où les auteurs des incriminations mentionnées à l'article 294, à leur décharge, exciperaient 'd'un ordre écrit préalablement donné par leur supérieur hiérarchique', hypothèses auxquelles leur responsabilité se substituerait à la leur. Il en de même si cet ordre écrit venait du ministre compétent, du Premier ministre ou du Président de la République.
A°-2 / Comparaison de la faute pénale avec l'infraction pénale
Comparaison entre la notion d'infraction pénale et la notion de faute de gestion
Il est à retenir que chacune des deux notions répond, à quelques nuances près, aux critères de l'infraction, dans sa définition abstraite, telle qu'indiquée par le lexique des termes juridiques. À savoir que ledit lexique définit l'infraction comme ci-après : «Action ou omission violant une norme de conduite strictement définie par un texte d'incrimination entrainant la responsabilité pénale de son auteur».
Ainsi autant l'infraction pénale est celle qui est strictement définie, d'une manière générale, par la loi portant Code pénal ou d'une manière spécifique par une loi spéciale, ainsi le Code des douanes, le Code des impôts, le Code des eaux et forêts, etc…, autant la faute de gestion, quant à elle, est aussi définie par les textes applicables soit, de manière générale, dans la loi organique fixant la procédure suivie devant la Section des comptes (Cf. Article 294), soit de façon spécifique, dans les textes applicables dans des matières sectorielles telles qu'en matière budgétaire, financière ou comptable.
Aussi, d'autres dénominateurs communs aux deux notions résident, d'une part, dans le fait que la faute prouvée à l'encontre de leur auteur présumé donne lieu à l'application de sanction prévue par les textes applicables, d'autre part dans celui que la nature de la peine soit l'amende dans l'un et l'autre cas de fautes.
Sauf l'on peut y ajouter que dans les deux hypothèses, l'action visant à faire appliquer la sanction légale prévue est mise en mouvement par les soins d'un ministère public.
Là peuvent s'arrêter les traits communs ou de ressemblance entre les deux notions.
S'agissant de différences, il convient de relever le fait que des points de dissemblance entre les notions d'infraction pénale et de faute de gestion existent.
C'est d'abord toutes les différences notables entre les finalités recherchées selon qu'il s'agisse d'infraction pénale d'une part et de faute de gestion, d'autre part. Tandis que le ministère public déclenche l'action publique pour faire appliquer la peine prévue par la loi aux faits constitutifs d'infraction pénale, le ministère public financier, autorité de poursuite en matière de faute de gestion constitutive d'indiscipline budgétaire ou financière, vise, par son action, à faire prononcer par la chambre de discipline budgétaire et financière, la seule sanction, prévue, invariablement, par les textes, qu'est l'amende.
La nature des deux sanctions est différente selon que l'on ait à faire soit avec une infraction criminelle, auquel cas la peine est qualifiée par la loi elle-même, mutatis mutandi, de peine de mort, de peine de la réclusion (à perpétuité ou à temps), de peine d'emprisonnement, ou de peine d'amende correctionnelle ou d'amende contraventionnelle, soit s'il s'agit d'infraction délictuelle ou d'infraction contraventionnelle.
L'amende pénale (=peine d'amende) prononcée par le juge judiciaire, statuant en matière pénale, est une peine pécuniaire obligeant le condamné à verser une somme d'argent au Trésor public, est à distinguer de l'amende fiscale prononcée par la juridiction financière, laquelle est à la fois une peine et une mesure de réparation destinée à récupérer les sommes dont le fisc a pu être privé.
B°) Attributions du ministère public devant la Chambre de discipline budgétaire et financière
La répression de la faute est prévue suivant une procédure définie aux articles 298 et suivants de la loi organique de 2016 régissant la procédure suivie devant la Section des comptes.
Les dispositions combinées desdits textes applicables en matière de fautes de gestion indiquent clairement une procédure simple à mettre en œuvre par les soins du Procureur général près la juridiction financière.
En effet, s'agissant de faute de gestion non couverte par la prescription, par application des dispositions de l'article 297 de la même loi organique (lequel consacre un délai de prescription égal à quatre années révolues courant depuis le jour de la découverte des faits constitutifs de faute de gestion), les autorités habilitées à saisir le Procureur général de demande de poursuite, peuvent le faire, sans autres condition que celle de l'absence de prescription des faits.
Lesdites autorités habilitées sont énumérées à l'article 298 du même texte de loi, à savoir : le président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Haut conseil des collectivités, le ministre chargé des Finances et le président de la Section des comptes.
Le procureur général, une fois saisi, par qui de droit, informe la personne, citée dans les faits allégués, des poursuites dirigées contre elle, par lettre recommandée avec accusé de réception. Ensuite ledit PG transmet le dossier de la plainte au président de la Section des comptes, aux fins de saisine de la juridiction financière, en l'occurrence la Chambre de discipline financière et budgétaire. Cette transmission du dossier de la plainte peut être qualifiée en vertu du texte de loi d' «ordre de poursuites».
De là commence la phase de l'instruction avec la désignation par les soins du Président de la CDBF d'un rapporteur.
À cette phase, la loi autorise le Conseiller rapporteur à accomplir divers actes d'instruction, tels s'analysent grosso modo à des actes 'd'enquête et d'investigations utiles auprès de toute administration… de demandes de communication de tout document, même secret… d'audition de tout témoin'.
Une fois l'instruction terminée, le dossier d'instruction fait l'objet de soit communiqué au PG, par le truchement du président de la CDBF.
Ledit PG examine ce dossier aux fins d'apprécier s'il est résulté ou non charges suffisantes de l'instruction menée. Si le PG estime que les charges recueillies ne sont pas suffisantes, et que par conséquent il y a lieu de classer sans suite l'affaire, il communique le dossier, avec ses conclusions, à l'autorité qui l'avait saisi d'une demande de poursuites.
Ladite autorité dispose alors de trois options à exercer dans le délai d'un mois :
1) soit requérir du PG de poursuivre ;
2) soit le requérir de classer l'affaire ;
3) soit lui demander d'ordonner un supplément d'informations.
Il est à noter qu'en l'absence de réponse de la part de l'autorité demanderesse, dans le délai d'un mois, celle-ci est présumée avoir acquiescé les conclusions du PG, auquel cas celui-ci décide d'un classement sans suite de l'affaire.
En dehors de l'hypothèse de classement sans suite de l'affaire, le PG peut opter pour le renvoi, de ladite affaire, en chambre de jugement aux soins de la CDBF. C'est le cas, soit parce que le PG a estimé, de son propre chef, que l'affaire peut être renvoyée en jugement, soit parce qu'il a été requis à cet effet par l'autorité qui l'a saisi de demande de poursuite. En ce cas le PG communique copie de ses conclusions à ladite autorité.
Le renvoi en chambre de jugement, ainsi décidé, donne lieu à l'accomplissement de la formalité de notification, par voie d'huissier, dudit renvoi, à la personne concernée, en même temps qu'il est avisé par les soins dudit greffier de son droit de prendre connaissance du contenu du dossier de l'affaire, lequel est ainsi mis à disposition, au greffe, aux fins de consultation, pendant un délai de huit jours.
Cette consultation, si elle a eu lieu, donne lieu à l'établissement d'un PV la constatant, PV joint au dossier de l'affaire.
De même que la personne poursuivie dispose du droit de déposer un mémoire en défense, et de se faire assister par le conseil de son choix.
Suite à cette mise en état du dossier de l'affaire, le Président de la CDBF prend une ordonnance pour l'ouverture de la session de jugement, dans laquelle il arrête le rôle des audiences.
C'est alors que la personne mise en cause est citée, par les soins du greffier de la Chambre, à comparaitre à la date d'audience mentionnée dans l'acte de citation.
Une fois l'instance devant la chambre de jugement ouverte, siégeant en audience publique, les observations éventuelles provenant de la partie mise en cause (ou de son Conseil) sont recueillies, après avoir eu la parole, de même que celles du Procureur général, ce, en complément des mémoires et réquisitions déjà versés au dossier.
De même que des questions d'éclaircissement ou de compréhension peuvent être posées soit par le Président soit par le PG, dans ce cas, avec l'autorisation de celui-là. Le mis en cause, dans tous les cas, aura la parole le dernier".
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