Ce que révèle le recours à l’intelligence artificielle pour l’arbitrage de la Coupe du monde des clubs de la Fifa
Lors de la Coupe du monde des clubs qui débute samedi aux États-Unis, la Fifa va recourir à l’intelligence artificielle pour aider les arbitres. Pas vraiment du goût de « So foot ».

FOOTBALL - « Grâce à plusieurs caméras, à un capteur à l’intérieur du ballon et à l’intelligence artificielle, le système suivra la position de chaque joueur et du ballon afin d’émettre automatiquement des alertes en temps réel aux membres du corps arbitral en cas de hors-jeu flagrant. » Le communiqué officiel de la FIFA, daté du 6 juin, détaille la petite révolution qu’elle entend instaurer à l’occasion de la Coupe du monde des clubs, qui doit se tenir aux États-Unis du 14 juin au 13 juillet.
Cette compétition ne se résume pas, en effet, à une immense foire destinée à tester les nouveaux joueurs récemment recrutés par les grands clubs européens, ou à une tentative supplémentaire de la multinationale du ballon rond de court-circuiter les confédérations – en particulier la plus riche, l’UEFA. Elle participe d’un vaste mouvement de transformation de ce sport en une forme, surtout économique, de divertissement de plus en plus poussée et élaborée, peu importe son histoire ou sa culture. En prenant la main sur l’arbitrage, la FIFA s’offre un levier non négligeable pour remodeler son « produit phare » selon ses ambitions commerciales.
Le mythe du zéro défaut
D’ailleurs, l’usage de ce type de technologie semi-automatisée de détection du hors-jeu avait déjà été employé lors du Mondial au Qatar. En résumé, un capteur placé dans le ballon envoyait des informations près de 500 fois par seconde. Toutefois, un cap est franchi avec l’usage de l’intelligence artificielle et d’algorithmes, accompagnés du suivi en temps réel du positionnement de tous les joueurs sur le terrain. Cet environnement technologique, mis au point par le Football Technology Centre AG, prétend clairement accomplir le mythe du zéro défaut dans la prise de décision.
Après la généralisation de la VAR, la FIFA retire donc encore davantage de pouvoir au si peu fiable facteur humain, incarné par l’arbitre central. Certes, le communiqué précise qu’« avant qu’une décision soit prise dans les situations de hors-jeu délicates, il incombera toujours à l’assistance vidéo à l’arbitrage de valider les informations fournies ». L’inversion est significative : ce sont désormais les hommes ou les femmes en noir qui vont vérifier ce que leur transmettent les programmes informatiques, en attendant qu’un Terminator du soccer finisse par prendre définitivement le contrôle. Il restera aussi à définir ce que signifie « délicat » face à la masse de données collectées en temps réel, et surtout quels arbitres oseront contredire une information précise fournie par une intelligence artificielle – à l’heure où tout le monde utilise ChatGPT au moindre doute.
Rendre l’expérience du match la plus divertissante et attrayante pour les supporters, tout en fluidifiant les opérations et en renforçant la transparence.
On pense à la disparition des juges de ligne au tennis. Toutefois, la mutation s’avère bien plus profonde, aussi bien sur le plan de l’ingénierie que dans les défis philosophiques. Car cette métamorphose s’opère en même temps que s’impose le paradigme de la « transparence » vis-à-vis du « public » ou de la « clientèle ». On pressent la volonté de concurrencer des projets comme la Kings League, tout en tenant compte d’une génération qui a appris le foot autant devant la Ligue des champions qu’une manette de PS5 entre les mains. Dans cette course à l’échalote du divertissement, il s’impose de lever tout doute à chaque coup de sifflet et de rassurer le parieur en ligne.
Moins de polémiques, vraiment ?
Ainsi, les arbitres seront également équipés de caméras corporelles : un petit film subjectif retransmis en direct, avec l’idée d’offrir de nouvelles perspectives aux consommateurs et, en se donnant bonne conscience, d’atténuer les critiques à leur encontre en adoptant leur point de vue. Le véritable objectif de ce câblage permanent de l’homme en noir – version lo-fi du cyborg – est explicitement de rendre l’expérience du match « la plus divertissante et attrayante pour les supporters, tout en fluidifiant les opérations et en renforçant la transparence », dixit la FIFA.
Pour ajouter une dernière touche, des écrans géants proposeront en « live » les images disponibles lors de la vérification d’une ou plusieurs actions litigieuses via la VAR – c’est déjà le cas au rugby – avec l’idée, encore une fois, de rendre le public acteur et témoin, voire juge, de la qualité et de la sincérité de ce qui lui est proposé. On doute néanmoins que cela simplifie, ou surtout calme, les polémiques, en empilant des dizaines de milliers d’opinions différentes sur les épaules de l’arbitre (sans parler de l’amplification du harcèlement en ligne qui peut en découler). Quelles seront les prochaines « innovations », dans cette volonté de réduire l’arbitrage à des séquences de chiffres et de codes objectivement appréciables, où la décision humaine n’interviendrait qu’à la toute fin du processus, voire plus du tout ?
Comme l’expliquait Karl Marx, la prolétarisation ne constitue pas un phénomène social accolé à un niveau dans la hiérarchie sociale, mais s’opère avec le transfert du savoir du travailleur vers une machine ou un processus de production. Les deux arbitres français retenus pour cette Coupe du monde des clubs, Messieurs François Letexier et Clément Turpin, vont peut-être commencer à en vivre la douloureuse réalité.
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