Mon Capitaine ! En parlant de l’accession au pouvoir, le célèbre homme politique écrivain et philosophe italien de la Renaissance, Nicolas Machiavel ((1469 - 1527) écrit, dans « Le Prince et autres textes », Paris : Union générale d’éditions, 1962, 190 pages. Collection 10-18, « On peut encore devenir prince de deux manières qui ne tiennent entièrement ni à la fortune ni à la valeur.

Ces deux manières sont, soit de s'élever au pouvoir souverain par la scélératesse et les forfaits, ou d'y être porté par la faveur de ses concitoyens (Chapitre VIII : De ceux qui sont devenus princes par des scélératesses, page 36). »
Il est évident que votre - vous et vos camarades- entrée par effraction dans l’arène politique malienne le 22 mars dernier, relève plutôt de la première manière.
Mon Capitaine, les arrestations extra judiciaires opérées par vos troupes, les départs mouvementés de l’ex-président Amadou Toumani Touré et du leader de l’Urd, Soumaïla Cissé malgré le feu vert que vous aviez donné, les manifestations intempestives des troupes devant votre QG, pendant que vous vous entreteniez avec les émissaires de la Cédéao, ne font-ils pas un peu désordre selon vous ? Ces différents comportements et agissements ne confirment-ils pas la justesse du point de vue de l’homme politique italien sur la première manière d’acquisition du pouvoir ? En effet, il écrit dans le même livre : « Le prince élevé par les grands a plus de peine à se maintenir que celui qui a dû son élévation au peuple. Le premier, effectivement, se trouve entouré d'hommes qui se croient ses égaux, et qu'en conséquence il ne peut ni commander ni manier à son gré ; le second, au contraire, se trouve seul à son rang, et il n'a personne autour de lui, ou presque personne, qui ne soit disposé à lui obéir. » (Chapitre IX : De la principauté civile, page 41). C’est dire que si vous voulez être plus crédibles, vous, vos amis du Cnrdre et l’armée elle-même, devriez mettre de l’ordre dans vos rangs. Les derniers évènements survenus au sein de l’armée attestent malheureusement que nous allons vers sa décomposition quasi certaine. En prélude à cette dislocation, n’avez-vous pas annoncé la dissolution de tout un régiment ? (cf. interview accordée à l’Ortm dans la nuit du 12 au 13 mai 2012).
Par ailleurs, mon capitaine, il ne sert à rien de prendre des positions tranchées, voire de défi à l’égard de la Cédéao ; le monde entier sait que notre pays n’a pas d’armée, sauf pour réprimer et intimider les paisibles citoyens désarmés. D’ailleurs, après l’accord de Ouagadougou, et l’installation du président intérimaire et du gouvernement, devriez-vous encore agir au nom de la République ? A moins que les institutions que vous avez acceptées ne soient factices, des « faire valoir » et que le vrai pouvoir, c’est vous. On ne peut pas continuer à naviguer dans le flou, car des tâches fondamentales, vitales attendent le gouvernement en place.
Mon capitaine, le peuple malien a assez souffert d’humiliation, après la débâcle de son armée au nord. Une autre humiliation s’est encore ajoutée à la première : la mise sous tutelle de notre pays par les pays frères. Qui l’eut cru ? Il ne sert à rien de se taper la poitrine ou d’inciter les Maliens à un nationalisme primaire. Un grand leader chinois a dit, je cite de mémoire : « Qu’importe la couleur du chat ; qu’il soit gris ou noir, pourvu qu’il attrape les souris». Aujourd’hui, une des grosses souris que nous avons devant nous, c’est l’occupation des 5ème, 6ème, 7ème et 8ème régions du Mali. La vraie bataille aujourd’hui c’est celle du nord. La vraie bataille, c’est la sécurité des citoyens, tous les citoyens, de Diboli à Ménaka et de Zégoua à Tessalit. La vraie bataille ce n’est pas la présidence de la transition, car vous avez établi un gouvernement auquel vous avez confiance et que le Président intérimaire est là en application de la loi fondamentale de 1992 à laquelle vous adhérez. Que vous l’aimiez ou pas, vous devriez vous y faire car l’avenir du Mali vaut plus qu’une humeur d’un homme fut-il le tombeur du Général ATT. La vraie bataille, c’est la réorganisation de l’armée. Car vous savez mieux que quiconque, si l’armée avait accepté de se battre au nord, nous n’en serions pas là.
De grâce, capitaine si vous voulez entrer dans l’histoire par la grande porte, réorganisez l’armée malienne. Votre tâche prioritaire aujourd’hui, c’est de vous concerter avec le Président de la République et son Premier ministre afin de remettre sur pied l’Armée nationale, du moins ce qui en reste. Ce qui nous éviterait une autre humiliation à savoir l’arrivée de troupes de la Cédéao dans notre pays qui est à mon avis inacceptable. Sur ce point, vous exprimez le sentiment général de la plupart des Maliens. Laissez le Président et son Premier ministre, gérer les aspects politiques de la situation que nous vivons et occupez-vous de ce que vous êtes censé maîtriser le mieux, la priorité des priorités : la restructuration et la mise en confiance des troupes. Vous rentrerez dans l’histoire lorsque vous arriverez à réorganiser l’armée pour la mettre à la disposition du gouvernement pour la libération du nord. Dans l’accomplissement de cette tâche ô combien exaltante, patriotique et qui puis est, votre mission première, vous serez accompagné par tous les maliens. Le temps presse, les envahisseurs ont commencé à installer leur administration. La bataille n’est pas à Bamako. Il est plus facile d’intimider un citoyen avec l’arme du peuple, à Kayes, Bamako, Ségou ou Sikasso que d’affronter un jihadiste, à Douentza, Niafunké, Diré, Goundam, Tombouctou, Gao, Kidal, Bourem, Ansongo, Ménaka, Abebaïra, Tessalit et j’en passe.
Mon capitaine, certains Maliens vous considèrent comme le héros du 22 mars. Mais attention, il y a des héros qui finissent mal. N’est-ce pas le cas de celui du 26 mars ? Vous souvenez-vous du Maréchal Pétain ? Héros de la guerre 1914-1918, mais honni par son peuple à l’issue de la guerre 1939- 1945. Tout près de nous, le capitaine Dadis Camara qu’est –il devenu ?
Mon capitaine, vous avez là une opportunité de sortir grand de cette situation de déliquescence de l’Etat malien hérité du général Amadou Toumani Touré, ne la laissez pas vous échapper.
Bamako le, 13 mai 2012
Un doyen, Hamidou ONGOÏBA, Professeur à la retraite, B.P.E 1045 Bamako