FrançAfrique : Exit les Accords de défense, amorce d'une nouvelle forme de coopération

En quittant sa base de Dakar au Sénégal, la France ne dispose quasiment plus de présence permanente en Afrique de l'ouest et centrale (la base au Gabon est partagée). Cela signifie-t-il que l'armée française disparaît du paysage africain ?

24 Juillet 2025 - 10:47
 0
FrançAfrique :   Exit les Accords de défense, amorce d'une nouvelle forme de coopération

En tout cas, ce départ ne manque pas de susciter les intérêts de grandes puissances, comme la Russie et la Chine.

Avec ce départ,  la France entame une nouvelle phase de sa coopération en matière de défense et de sécurité avec les pays. Autrefois considérée comme le « gendarme de l’Afrique », la France doit désormais prendre en compte le respect de la souveraineté des États d’Afrique de l’ouest.

Il n’en restera qu’une. Avec la restitution des deux dernières emprises militaires françaises au Sénégal, le jeudi 17 juillet dernier, l’ancienne puissance coloniale ne dispose plus que d’une seule base en Afrique, à Djibouti. La cérémonie de restitution s’est tenue à Dakar au camp de Geille avec la remise symbolique des clefs du camp au chef d’Etat-major des armées sénégalaises.

Ce qui s'est passé au Sénégal ce 17 juillet 2025 n'est pas anodin : désormais, la France ne dispose plus d'aucune base militaire dans toute l'Afrique de l'Ouest et Centrale, le cœur de son ex empire colonial (la base à Libreville, au Gabon, est maintenant partagée). Elle est donc condamnée à repenser toute sa stratégie sur le continent, après une présence de plus de 60 ans.

Pas une disparition totale d'Afrique

Il y a une dizaine d'années, alors que la France lançait ses opérations contre les groupes djihadistes en plein Sahel, les bases étaient nombreuses au Sénégal (400 hommes), en Côte d'Ivoire (950 hommes) , au Gabon (350 hommes), au Tchad (950 hommes), au Niger (1 000 hommes), au Mali (5 000 hommes), au Burkina Faso et à Djibouti (1 500 hommes). En 2020, au plus fort de l'engagement contre les groupes terroristes, on a compté plus de 10 000 soldats français postés en Afrique de l'ouest et centrale. Mais en moins de cinq ans, les bases françaises ont disparu du paysage. Et seule la structure de Djibouti et ses 1 500 hommes ont résisté au dégagisme ambiant.

L'armée française n'a pas pour autant renoncé à toute ambition militaire dans la région. D'abord, elle mise sur sa capacité de projection à partir de son unique base de Djibouti, toujours dotée de moyens d'artillerie, de composantes aérienne et navale. Un arsenal qui pourrait intervenir sur toute l'Afrique. Elle souhaite aussi maintenir des coopérations avec les pays qu'elle vient de quitter. Exemple : le porte hélicoptère Mistral était de passage à Abidjan en mars dernier pour assurer la sécurité du Golfe de Guinée. Elle compte aussi garder son influence en formant les armées africaines. « Moins de bases, plus d'écoles », c'est le nouveau slogan du ministre français de la Défense.

Concrètement, la restitution des différentes emprises françaises dans la région s’inscrit dans un revirement stratégique sur la coopération en matière de défense et de sécurité entre la France et les Etats d’Afrique de l’ouest. La réduction de la présence française en Afrique figurait déjà dans les recommandations formulées par l’envoyé personnel d’Emmanuel Macron en Afrique, Jean-Marie Bockel. Dans son rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique, remis le 25 novembre 2024 au président de la République, la réduction de la présence militaire française était perçue comme un moyen de renouveler le partenariat de défense. « Les inconvénients liés à notre présence permanente devenaient insupportables », déclarait Thierry Burkhard assurant, dans le même temps, que « l’Afrique a encore besoin de France. Un discours partagé par le président sénégalais qui déclarait que le retrait français n’était pas un acte de « rupture » mais le début d’un « partenariat rénové ».

« Ce retrait permet de nouer des rapports plus sains avec des pays souverains, ça devrait également renforcer une nouvelle forme de coopération basée sur la formation », juge le général Trinquand qui assure que « la France conserve des liens très étroits avec les pays africains ».

Le respect de la souveraineté

De plus en plus contesté au Sahel et en Afrique occidentale, le départ des troupes françaises était l’un des thèmes de campagne du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, élu en avril 2024. « Le Sénégal est un pays indépendant, c’est un pays souverain et la souveraineté ne s’accommode pas de la présence de bases militaires dans un pays souverain », avait déclaré le président sénégalais en novembre 2024. Surtout, dans un contexte politique instable, le retrait français apparaît comme un gage de non-ingérence dans les affaires internes des pays africains. En effet, après l’intervention française au Sahel et l’opération Barkhane, la présence de l’armée a été perçue comme une menace pour la souveraineté, notamment au Mali, au Niger ou au Burkina Faso. La durée de l’opération Barkhane (2014-2022), son incapacité à endiguer durablement la menace djihadiste, les coups d’États et les rapprochements entre les militaires nouvellement en place et les groupes militaires russes présents dans la région ont accéléré le mouvement.

« L’Afrique est un continent marqué par l’instabilité, il y a une vraie difficulté à conduire des opérations sur le long terme », expliquait le chef d’état-major français des armées, Thierry Burkhard vendredi 11 juillet à l’occasion de la présentation de la nouvelle revue nationale stratégique qui insistait également sur la « position particulière de la France en Afrique de l’ouest, directement attaquée sur le champ informationnel par ses compétiteurs ». « Au moment où on parle de souveraineté, et où c’est devenu un marqueur politique important dans la région, il semble normal de rendre ces bases », estime le général français Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire de la délégation française auprès des Nations unies.

Une perte d’influence française en Afrique de l’ouest ?

Dans une note de la Fondation pour la recherche stratégique intitulée « Les menaces en Afrique subsaharienne à l’horizon 2040 », la chercheuse Djenabou Cissé dresse un constat moins optimiste. « [La France] n’est plus le principal acteur extérieur pourvoyeur de sécurité en Afrique de l’Ouest et centrale, et elle voit son influence dans la zone de plus en plus remise en question. Certaines autorités (militaires en particulier) et franges (pour l’heure minoritaires mais croissantes) des populations locales reprochent à la France son interventionnisme militaire et sa politique étrangère jugée néocoloniale. Ainsi sur le plan des partenariats militaires avec les pays africains, la France jadis en position de leader court un risque de déclassement majeur au cours des prochaines années », écrit Djenabou Cissé.

Ce recul de l’influence française pourrait se révéler préjudiciable sur trois plans : la protection des intérêts économiques français dans la région, la protection des ressortissants français (117 500 en Afrique francophone) et la lutte contre le terrorisme. « Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de base permanente que l’on ne peut pas intervenir, mais concernant les besoins d’évacuations des ressortissants français sur place cela nécessiterait une plus grande organisation car l’opération se déploierait de plus loin », concède le général Trinquand qui ajoute que « pour la lutte contre le terrorisme, cela dépendra largement de la demande des Etats ». Pour rappel, au moment du lancement de l’opération Serval en 2013, la France ne disposait d’aucune base militaire au Mali. « Si le besoin de pré-positionnement des forces occidentales pourrait s’accentuer d’ici 2040 pour contrer la montée des actions hybrides, cette présence sera sans doute de plus en plus critiquée localement voire impossible. En cas d’intervention souhaitée dans la région d’ici 2040, la France pourrait se heurter à des dénis d’accès », note Djenabou Cissé.

Russie et Chine toujours plus influentes

Les armées africaines doivent toujours faire face à la montée en puissance des groupes djihadistes dans la région. Sont-elles capables d'y faire face seules ? La réponse est probablement non, en tout cas pas pour l'instant. Si la présence des soldats française dérangeait, celle de militaires russes est déjà avérée au Mali, en Centrafrique, en RDC, au Soudan, Libye, Guinée mais aussi dans plusieurs pays plus au sud comme le Mozambique ou Madagascar.

L'Africa Corps, sous l'égide du ministère de la Défense russe, réunit les fantassins et sociétés privées sur place, avec notamment les anciens membres du groupe Wagner. Mais ce n'est pas tout. Près des deux tiers du continent africain sont désormais liés par des accords bilatéraux à la Russie pour leur défense. Cela va du simple conseil militaire à la commande d'armements.

La toile est bien tissée désormais. Mais dans l'ombre, une autre puissance est aussi à l'œuvre : c'est la Chine, un partenaire économique important qui devient de plus en plus un partenaire sécuritaire. Elle a maintenant elle aussi sa base à Djibouti. Et elle tente à son tour de séduire l'Afrique de L'Ouest, que la France doit quitter. Stratégie : convaincre les militaires au pouvoir de leur confier l'exploitation de ressources naturelles, installer des entreprises. Puis pour protéger ses intérêts économiques, des sociétés privées chinoises de sécurité entrent discrètement en scène.  Selon les renseignements américains, la Chine veut désormais sa base navale vers l'Atlantique, notamment le Golfe de Guinée. Elle lui permettrait d’assurer la sécurité de ses intérêts commerciaux dans la région mais aussi d'installer des navires de guerre face aux Etats-Unis.

A.  Diallo

Quelle est votre réaction ?

Like Like 1
Je kiff pas Je kiff pas 0
Je kiff Je kiff 0
Drôle Drôle 0
Hmmm Hmmm 0
Triste Triste 0
Ouah Ouah 0