Le Tchad face au défi du départ des troupes françaises

Depuis que le Tchad a mis fin à sa coopération militaire avec la France, entraînant le retrait officiel de ses troupes en janvier 2025, le pays a accéléré sa course à la diversification de ses alliances militaires, amorcée dès le début de la transition politique en 2021, mais sans stratégie d’ensemble.

27 Juin 2025 - 10:42
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Le Tchad face au défi du départ des troupes françaises

Julia Amoura, analyste indépendante

Sur le papier, la stratégie est séduisante : affirmer sa pleine souveraineté, ne plus dépendre d’un seul partenaire, et s’ouvrir à de nouveaux fournisseurs d’armes, de formation et de financement. Cependant, derrière ce volontarisme affiché, la question demeure : le Tchad parviendra-t-il à combler le vide laissé par la France ? Le pays se retrouve aujourd’hui dans une situation de transition incertaine, où la somme des nouveaux partenariats ne semble pas encore suffire à garantir la sécurité promise. Cette transition est d’autant plus délicate que l’armée tchadienne reste marquée par une organisation complexe, basée sur des logiques de clan, des loyautés personnelles, et des rivalités internes.

La France, une assurance vie

La rupture des accords de défense franco-tchadiens, en vigueur depuis près de cinquante ans, bouleverse l’architecture sécuritaire du pays. La France n’était pas qu’un simple allié : elle déployait sa propre armée en cas de danger et apportait un savoir-faire unique en matière de renseignement, d’appui aérien, de logistique et de formation. Les Mirage 2000 et les drones Reaper français offraient une capacité d’anticipation et de réaction que l’armée tchadienne n’a jamais pu égaler seule. En février 2008, son appui avait été décisif face à une colonne rebelle arrivée jusqu’à N’Djamena. Les bases françaises, maillées sur tout le territoire, permettaient de projeter rapidement des forces là où la menace surgissait. Leur démantèlement a désorganisé la chaîne de soutien opérationnel, leur absence se faisant sentir jusque dans la vie économique locale.

Les menaces, elles, n’ont pas disparu. L’ouest fait face à Boko Haram, actif malgré la contre-offensive lancée par l’armée tchadienne en novembre 2024, tandis qu’au nord, les groupes rebelles tchadiens, bien que fragilisés, maintiennent une présence préoccupante en Libye. À l’est, la guerre civile soudanaise entraîne un afflux massif de réfugiés et favorise les déplacements de combattants, exacerbant les tensions. Le risque de coup d’État reste élevé, alimenté par des rivalités politiques internes et exacerbées par des divisions ethniques et communautaires.

Pour autant, cette rupture militaire ne signifie pas un isolement occidental mais une ouverture à une multitude de nouvelles alliances. La France elle-même poursuit son soutien et demeure le principal partenaire bilatéral du Tchad pour l’aide au développement. Les États-Unis, tout comme l’Union européenne, maintiennent leur engagement via des programmes civils et de développement. Parallèlement, une diversité de partenariats non occidentaux s’est consolidée. Ces appuis misent essentiellement sur le transfert de matériel, la formation et le soutien technique, sans participation directe aux opérations militaires.

Drones et avions, la Turquie incontournable

Depuis 2021, la Turquie s’est imposée comme le partenaire incontournable en matière d’aviation. Drones Anka, avions Hürkuş, instructeurs militaires, Ankara a su répondre à l’urgence, investissant même l’ancienne base française d’Abéché, à l’est du pays, où un contingent turc a été déployé. Mais la technologie turque, si moderne soit-elle, ne compense que partiellement les capacités perdues. Les drones turcs sont moins performants, moins polyvalents, et leur efficacité dépend encore largement de la formation et de l’expérience des opérateurs tchadiens, en cours d’acquisition.

Les Émirats arabes unis ont aussi progressivement renforcé leur coopération sécuritaire avec le Tchad. Les premières livraisons, en 2021, se limitaient à une centaine de véhicules légers, mais un accord de coopération militaire signé en 2023 a marqué un tournant. Depuis, N’Djamena a reçu six blindés, deux systèmes de défense antiaérienne, plusieurs missiles, ainsi que la présence d’instructeurs émiratis chargés de former les forces tchadiennes à l’utilisation de ce matériel. En parallèle, les Émirats ont octroyé à N’Djamena un prêt substantiel de 1,5 milliard de dollars, consolidant leur rôle de principal bailleur du gouvernement. En contrepartie, plusieurs rapports indiquent que le Tchad autorise depuis son territoire un appui émirati aux Forces de Soutien Rapide, l’une des parties au conflit au Soudan, au risque de tendre ses relations avec l’armée soudanaise qui s’est récemment emparé de la capitale Khartoum.

La Russie avance ses pions

La Russie, quant à elle, modernise depuis plusieurs années les équipements militaires tchadiens, dont plus de 90 pour cent sont soviétiques. Cette coopération s’est intensifiée en janvier 2024 avec la signature de nouveaux protocoles d’accords militaires et économiques. A ce jour, les détails de ces accords restent inconnus, et aucun déploiement d’armes ou de troupes n’a été acté.

Moscou cherche à élargir sa sphère d’influence dans une région où elle est déjà bien implantée, notamment au sein de l’Alliance des États du Sahel créée en 2023 par Burkina Faso, Mali et Niger, tandis que le Tchad avance avec prudence, soucieux de ne pas tomber dans de nouvelles dépendances.

D’autres partenariats sécuritaires s’accumulent, bien que leurs portées restent circonscrites. La Hongrie, par exemple, a accepté de déployer environ 200 soldats, afin de soutenir l’armée tchadienne dans la lutte contre le terrorisme. Ce contingent modeste permettrait néanmoins de préserver un canal de coopération militaire avec l’Union européenne, par l’intermédiaire d’un de ses membres. Israël, enfin, fournit un appui discret mais précieux, en cybersurveillance et en renseignement. Cependant, cette coopération pourrait être fragilisée par les tensions régionales, notamment le conflit israélo-palestinien, alors que le Tchad réaffirme son identité islamique.

Aucune stratégie cohérente
Ce qui frappe, c’est que la multiplication des alliances ne semble pas avoir produit une stratégie de défense cohérente. Chaque partenaire apporte ses propres priorités, mais aussi ses limites. Aucun accord sécuritaire ne peut reproduire la profondeur du partenariat avec la France, dont les troupes apportaient une capacité d’action rapide et décisive.

En privilégiant le transfert de compétences au déploiement de forces étrangères, le pays avance dans la bonne direction.  Cependant, pour renforcer durablement sa sécurité, N’Djamena gagnerait à adopter une vision à long terme, capable d’articuler et d’orienter ces initiatives bilatérales au-delà des bénéfices immédiats. Sans un tel cadre, le Tchad risque de rester dépendant de ses partenaires, et donc vulnérable à leurs revirements.

Source: https://mondafrique.com/

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