Bouréima Allaye Touré, président du conseil national de la société civile (CNSC) : “Les revendications des enseignants ne sont pas au-dessus des moyens de l’Etat” “Sur le plan sécuritaire, nous ne voyons pas l’utilité de la Minusma”

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La grève des enseignants, du personnel des DFM, la marche des religieux, la crise sécuritaire au centre du pays, l’inefficacité des forces étrangères notamment la Minusma, Barkhane et le processus de la révision constitutionnelle.  Tels sont, entre autres, les sujets sur lesquels le président du Conseil National de la Société Civil (Cnsc), Bouréima Allaye Touré, s’est exprimé à travers une interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder.

Aujourd’hui-Mali : Face à l’ébullition du front social, notamment la grève des enseignants, le personnel des DFM… certains pensent que la société civile malienne est aphone. En tant que président du Conseil national de la société civile (Cnsc), quel regard portez-vous sur ces différents mouvements sociaux ?

Bouréima Allaye Touré : A nos yeux cette ébullition du front social est normale, il fallait s’y attendre parce que notre pays est dans une situation sécuritaire extrêmement difficile. Mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que tous les jours, il faut poser la marmite sur le feu.

Aujourd’hui, les travailleurs ont besoin du minimum pour survivre. Notre Etat n’est pas en deçà des autres Etats en Afrique et dans le monde. A nos yeux, c’est seulement une question de gestion. Dire aussi que le Conseil national de la société civile (Cnsc) est aphone, je dis non, parce nous avons mis en place plusieurs commissions de médiation afin qu’ensemble nous puissions trouver une solution aux problèmes sociaux actuels. Si vous vous souvenez, l’année dernière, lorsque les médecins étaient partis en grève, les membres du Conseil national de la société civile se sont investis personnellement pour trouver un accord entre les médecins et le gouvernement.

Mais je trouve qu’un médiateur ne doit pas crier sur tous les toits pour dire ce qu’est en train de faire de la médiation. Car en faisant de la médiation, on peut échouer comme on peut réussir. Donc, c’est pour dire que nous sommes dans toutes les commissions de médiation comme pour une école apaisée ou pour une santé retrouvée, etc.  Nous pensons que c’est notre rôle, qu’on nous sollicite ou pas, nous allons nous saisir du problème et nous essayons de trouver une solution.

Aujourd’hui, le plus gros problème que nous avons, c’est celui des enseignants, c’est-à-dire l’école. L’année dernière, lorsque Housseini Amion Guindo était ministre de l’Education, nous avons pu trouver le plus rapidement possible une solution afin de sauver l’année. Mais tous les engagements pris par le gouvernement, ce jour-là, n’ont pas été tenus. C’est ce qui a fait que les enseignants sont revenus cette fois-ci en ajoutant d’autres points. Mais la commission est en train de travailler même avec le nouveau ministre de l’Education.

Cependant, dans tout cela, il faut reconnaitre que le gouvernement ne tient pas ses promesses. Quand vous signez un accord, il faut tout mettre en œuvre pour que les engagements soient tenus. C’est vrai que le pays est en crise, mais c’est vrai aussi que, chaque année, le budget national augmente. Actuellement, nous sommes à plus de 2000 milliards de FCFA. Donc, dès que nous évaluons cela, nous verrons que tout est une question de gestion et d’organisation pour faire face à ces besoins qui sont légitimes. J’appelle les plus hautes autorités à être plus à l’écoute des populations et de gérer d’une manière sincère les ressources de l’Etat pour que les travailleurs aient leur dû.

Nous savons aussi que la corruption est passée dans tous les secteurs du pays et si nous luttons sérieusement contre la corruption, plusieurs milliards de Fcfa seront sauvés. Nous sommes convaincus que si nous partons vers une bonne gestion de l’Etat, nous allons trouver des solutions à tous ces problèmes sociaux.

Donc M. le président, vous voulez dire par là que ces revendications sociales ne sont au-dessus des moyens de l’Etat ?

Non ! Ces revendications ne sont pas au-dessus des moyens de l’Etat. Je veux parler plus particulièrement de la prime des enseignants…Je pense que c’est seulement une question de gestion et d’organisation. Je le dis et je le maintiens. Travaillons sur toutes ces revendications, regardons surtout ce que l’on perd plutôt que ce l’on gagne. Si cette année nous partions à une année blanche au niveau de l’école, quelle en serait la perte pour l’Etat ? Ce qui veut dire que soit l’année prochaine on refuse de prendre de nouveaux écoliers, alors que notre loi fondamentale nous oblige à amener tous les enfants à l’école. Il y aura aussi le risque des premières années doubles qu’il faut résorber. Mais pendant combien d’années ? En un mot, si nous partons à une année blanche, nous ne pourrons pas évaluer cette perte.

Présentement et plus concrètement, qu’est-ce-que vous faites au niveau du Cnsc pour concilier les différentes positions ?

Nous travaillons sur les points de revendications, on essaye de discuter avec les syndicats, on essaye de voir avec le ministère chargé de la Fonction publique et tous les ministères concernés jusqu’où ils peuvent prendre en charge ces revendications des syndicats. Donc, une médiation c’est des allers et des retours jusqu’à ce qu’on trouve un terrain d’attente.

Que pensez-vous de la situation sécuritaire du pays et plus précisément au centre ?

La situation sécuritaire du centre est très grave. Vous savez, au mois de janvier, j’avais animé une conférence de presse pour dénoncer cette recrudescence de la violence, ces massacres des populations paisibles du centre du pays. Nous avions expliqué à ce temps-là que seule l’armée malienne doit être armée et c’est l’armée seule qui doit assurer la protection des personnes et leurs biens, de tous les Maliens.

Nous avons aussi dénoncé la tuerie de Kolongo. Le 30 mars, nous avons voulu marcher pour dénoncer ces massacres au centre, les autorités nous ont demandé de sursoir à cette marche parce qu’un deuil a été décrété et le 2 avril. Elles nous ont refusé aussi de marcher, alors que c’était juste pour compatir aux douleurs des familles endeuillées et souhaiter prompt rétablissement aux blessés. Mais aussi crier notre ras-de bol par rapport à   l’insécurité, cette situation ne pouvant pas continuer comme cela. Il faut dire que même si c’est un Malien qui est mort, je pense que c’est grave. Malheureusement, on entend chaque fois des morts par cinq, dix, vingt cinquante, cent et cent soixante. Si l’Etat n’arrive pas à assumer ses responsabilités, notre rôle est de dénoncer qu’il a manqué à son devoir. Cela ne veut pas dire qu’on n’est pas conscient de toute cette question de crise, nous sommes bien conscients et c’est d’ailleurs pourquoi nous nous retenons pour que la rue ne s’embrasse pas, mais nous disons que l’Etat doit bouger pour que les Maliens sentent que l’Etat est en train de travailler pour leur ramener la sécurité. Si aujourd’hui les Maliens sont nostalgiques de ce qui s’est passé dans les années 1980, c’est très grave et c’est une remise en cause de la démocratie. Nous les invitons à plus de sursaut, à prendre leur responsabilité afin de ramener cette paix. Ensuite, aujourd’hui, on ne parle que du Centre, on ne parle plus du Nord. Avant on parlait du Nord, aujourd’hui c’est le Centre, ce qui se passe actuellement au Nord, qui le sait, l’Etat est absent au Nord qui est aujourd’hui un no-man’s-land parce qu’ils nous ont ramené toutes nos pensées vers le Centre ou il y a le plus grand problème. Pour nous, Maliens, c’est impossible de dire que l’Etat n’est pas au courant de ce qui se passe au nord du pays. Parce qu’un Etat ne peut pas dire qu’il n’est pas au courant de ce qui se passe sur son territoire. Si réellement c’est un complot, qu’on nous le dise pour qu’on sache sur quel pied danser, parce qu’aujourd’hui, nous n’avons que Bamako et Sikasso.

Nous avons appris sur les réseaux sociaux que le Conseil national de la société civile a appelé ses militants à se joindre à la marche des religieux du 5 avril dernier. Est-ce que vous confirmez ces informations ?

Je pense que tout a été clair lors de la conférence de presse que j’ai animée pour expliquer pourquoi nous n’avons pas marché. Ils m’ont demandé est ce que j’appelle les organisations de la société civile à cette marche des religieux ? J’ai répondu que, puisqu’ils nous ont interdit de marcher, j’ai demandé aux organisations de ne pas marcher et de se conformer aux décisions du gouvernement parce que nous somme légalistes. Je ne peux pas dire de ne pas marcher parce qu’ils nous ont interdit de marcher et dire aux autres allez-y marcher. C’est interdit de marcher. Je pense que cela est contradictoire.

Le Haut Conseil islamique du Mali est membre du Conseil national de la société civile et par rapport à notre marche, nous avons informé tous nos membres y compris le Haut conseil islamique du Mali, mais puisque nous n’avons pas eu l’autorisation j’ai dit non parce qu’en cas de débordement, c’est le Conseil national de la société civile qui allait en porter le chapeau. Nous devons être un des garants de l’application de la légalité, mais nous savons aussi que ceux qui prennent ces décisions ne respectent pas cette légalité. Il faut qu’ils apprennent à respecter cette légalité parce qu’on n’oblige pas à chercher l’autorisation de l’Etat pour marcher, l’Etat doit en être seulement informé. La marche est une expression que la Constitution du Mali garantit. Alors, qui a violé la loi fondamentale ? Ce n’est pas la société civile, mais c’est l’Etat. Donc, ceux-là mêmes qui sont garants de la Constitution, violent la constitution et là c’est grave.

Aujourd’hui, certaines personnes pensent que les forces étrangères notamment la Minusma et Barkhane ne sont pas efficaces sur le terrain. Est-ce que vous pensez de la sorte ?

Nous partageons ce point de vue de la population. Barkhane et la Minusma sont chez nous, mais est-ce que cela a pu empêcher les 160 morts d’Ogossagou, les 26 morts de Dioura et la cinquantaine de morts de Kolongo…., absolument pas. Nous ne nions pas qu’il y ait eu des morts parmi les forces étrangères au Mali, cela est tout autre chose, mais sur le plan sécuritaire au Mali nous ne voyons pas l’utilité de la Minusma. Notre pays est membre de l’Onu depuis les premières heures de l’indépendance, nous le sommes et nous le resterons, mais nous dénonçons aussi si ça ne va pas. Combien d’années la Minusma est au Mali ? Depuis 2012 jusqu’à ce jour, tous les jours combien de francs sont-ils dépensés pour ce maintien de la paix ? Où est notre paix ? Est-ce qu’on l’a obtenue ? Pourquoi dépenser ces milliards de francs tous les jours ? Pour votre information, la Minusma dépense un million d’euro (environ 650 millions Fcfa) tous les jours. Imaginez toutes ces sommes-là depuis le début de l’opération et le résultat obtenu sur le terrain.

En plus de tout cela, il y a des problèmes sociaux car depuis leur arrivée au Mali jusqu’aujourd’hui, combien d’enfants métisses avons- nous ? Il y a beaucoup de problèmes, Barkhane est venue parce que nos armées sont insuffisantes. Ils ont délabré nos armées, on avait une armée très forte dans les années 1980, aujourd’hui, nous n’avons plus de munitions, il n’y a plus d’armes parce que ceux qui sont chargés de Barkhane empêchent nos armées d’en avoir. Parce que nos gouvernements ont tous signé de l’accord de défense.

Vous savez, nous souffrons aussi parce que ceux qui sont chargés de nous protéger ne nous protègent pas. Nous ne sentons pas cette sécurité et notre pays est plongé dans l’insécurité et d’autres pays sont contaminés.

Plus concrètement qu’est-ce que vous demandez à ces forces étrangères ?

Nous demandons à ces forces étrangères s’ils ne jouent pas leur rôle de sécurisation et d’appui à notre armée, vraiment qu’ils quittent.  S’ils ne travaillent pas avec notre armée pour sécuriser nos populations qu’ils quittent le pays. Le terrorisme ce n’est pas seulement au Mali, c’est un peu partout dans le monde, mais par contre ces forces doivent nous aider surtout pour la sécurité intérieure.

 Quel regard portez-vous sur le processus de la révision constitutionnelle ?

Je porte toujours un regard positif parce qu’on ne va plus discuter sur la nécessité de la révision de la Constitution, mais on discutera toujours sur le mobile de cette révision. Pour nous, on voudrait une Constitution révisée selon la nécessité que les Maliens éprouvent, suite à plusieurs difficultés que nous avons connues. En 2012, nous avons connu une difficulté parce qu’on ne pouvait pas organiser une élection après la chute du régime d’Amadou Toumani Touré. Cette situation de 2012 était le cas réel et avéré qui nous amène à dire qu’il faut revoir cette partie de la Constitution.

Lors de la dernière tentative, les gens n’étaient pas préparés parce qu’une révision constitutionnelle demande une information large, soutenue pas seulement en français, mais dans nos langues nationales que nous comprenons. Mais ici on a fait de telle sorte que c’est seulement la franche lettrée qui est informée.

Si on prend ces dispositions, oui nous pensons qu’il y a une raison valable pour la révision de la constitution. En 2017, nous avons contribué au processus, nous avons donné nos points d’accord et nos points de désaccord, nous avons donné nos avis, nous avons écrit à l’Assemblée nationale, nous avons donné encore nos avis bien qu’ils n’ont pas été écoutés. Si on nous avait écoutés, on ne serait même pas dans une impasse en 2017. Cette année aussi, nous avons également contribué à la première heure parce que nous avons mis en place une commission qui a travaillé, qui a rencontré le groupe d’experts. Après cette rencontre, nous avons affirmé nos positions et nous avons remis notre rapport. Et le projet de Constitution qui doit être soumis à l’Assemblée nationale, nous l’avons et nous sommes en train de l’étudier. Mais je me pose la question combien de temps on a donné à ce processus.

Je me demande aussi quelles sont les informations qui ont été données aux communautés par rapport à ce processus. Par contre, on court derrière des échanges sur le plan international et nous l’avons dit, est-ce que le temps imparti pour ce processus n’est pas très court. Ce n’est pas tout, notre Assemblée nationale qui doit statuer sur le texte, nous l’avons dit, n’est pas une institution légale par ce qu’elle a vu son mandat prolongé. Par contre, seul le peuple peut donner ce suffrage. Mais je le dis, le peuple malien est au-dessus de tout cela, regardons l’essentiel, améliorons notre loi fondamentale en toute objectivité car notre constitution, en principe après 30 ans, doit faire au moins 60, voire 100 ans sans être révisée, c’est cela notre vision de la chose.

Votre mot de la fin ?

J’exhorte tous les Maliens à beaucoup de patience et de courage. Je sais que le peuple malien ne manque pas de courage. Au contraire, aucun pays n’est soumis à une telle crise encore plus que le Mali si ce n’est la Somalie. Notre existence est menacée. Qu’on le veuille ou pas, c’est une réalité. Mais regardez avec quelle résilience nos communautés s’affirment, se maintiennent, vivent ensemble même si au centre cette question de vivre ensemble est souvent remise en question. Mais malgré tout, ces communautés croient que c’est passager qu’on peut rester ensemble, vivre ensemble parce que nous sommes une nation, nous ne sommes pas un nouvel Etat.

Nous sommes une nation qui a été construite depuis très longtemps sur des bases d’interdépendance de vivre ensemble, de mariage, notre tissu social est entaché, mais nous avons une forte résilience qu’on doit préserver et Dieu merci, nos autorités traditionnelles jouent ce rôle même dans les localités où l’Etat n’existe. En somme, j’invite donc nos compatriotes à plus de patience et de tolérance.

Réalisé par Kassoum Théra et Mahamadou TRAORE

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