Décès de Tiébilé Dramé : La démocratie malienne privée d’un pilier profondément attaché aux idéaux de justice et à l’unité nationale
Consécutive à une insurrection populaire, la démocratie peut-être considérée comme une œuvre collective au Mali. Et dans le mouvement démocratique, ils étaient nombreux à se battre pour son instauration de la Démocratie.

Mais, dans le lot, il y a ceux qui ont presque tout sacrifié (liberté, carrière professionnelle…) pour y parvenir. Tiébilé Dramé était de ceux-là. Comble de l’ironie, ce démocrate de conviction vient de tirer sa révérence au moment où les acquis de la démocratie n’ont jamais été autant menacés dans notre pays. Décédé le 12 août 2025 à Paris (France), l’illustre homme politique a été accompagné vendredi dernier (15 août 2025) par une immense foule à sa dernière demeure au cimetière de Faladié.
Homme politique malien, figure emblématique de la scène politique malienne et ancien leader l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) dans les années 80, Tiébilé est décédé le mardi 12 août 2025 à Paris (France) à 70 ans (né le 9 juin 1955 à Nioro du Sahel, ouest du Mali), a annoncé sa famille sur les réseaux sociaux. «J’ai l’immense tristesse de vous annoncer le décès de mon grand frère, Tiébilé Dramé, survenu ce 12 août en fin de matinée à Paris…», a annoncé dans la matinée son frère cadet Baydi Dramé sur les réseaux sociaux.
Acteur du mouvement démocratique, Tiébilé a quitté le Congrès national d’initiative-Faso Yiriwa Ton (CNID-FYT), pour créer le Parti pour la renaissance nationale (PARENA) en 1995. Il a présidé cette formation politique influente du pays jusqu’à son décès ce 12 août 2025. Tiébilé a étudié à l’École normale supérieure de Bamako (ENSUP), puis à l’Université de Paris I où il a obtenu un DEA en histoire de l’Afrique. C’est pendant ses études qu’ont débuté ses activités politiques. Entre 1977 et 1980, il est l’un des dirigeants de l’Union nationale des Élèves et Étudiants du Mali (UNEEM) qui s’opposa au régime de feu le Général Moussa Traoré (qui a dirigé le Mali durant 23 ans avant d’être renversé par les militaires le 26 mars 1991 suite à une insurrection populaire suscitée par le mouvement démocratique) qui l’a emprisonné à plusieurs reprises.
Il s’est un moment exilé en Europe où il a travaillé pour Amnesty International à Londres (Royaume Uni) entre 1988 et 1991. Il a notamment enquêté sur la situation des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest. Militant au Congrès national d’initiative démocratique (CNID), il est rentré au Mali après le renversement du régime du Général Moussa Traoré par le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP) alors dirigé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré. Il est nommé dans le gouvernement de transition comme ministre des Affaires étrangères entre 1991 et 1992. En 1995, il est devenu consultant des Nations unies pour préparer une opération d’observation des droits de l’Homme au Burundi.
La même année (1995), un désaccord avec Mountaga Tall (président/fondateur du parti), l’amène à quitter le CNID avec d’autres militants pour fonder le Parti pour la renaissance nationale (PARENA). Tiébilé est élu secrétaire général de cette nouvelle formation. En 1996, il a été nommé ministre des Zones arides et semi-arides au sein du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta, alors Premier ministre d’Alpha Oumar Konaré, premier président démocratique élu du Mali. En 1997, il est élu député de Nioro du Sahel, dans l’ouest du pays. En novembre 1999, est élu président du PARENA. En 2001, l’illustre défunt est élu président du Comité interparlementaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
En juin 2002, Tiébilé est candidat à l’élection présidentielle et arrive en 4e position avec 4,02 % des voix. Il va par la suite diriger le Comité d’organisation du 23e sommet Afrique-France tenu à Bamako en décembre 2005. Également journaliste, il a fondé l’hebdomadaire (aujourd’hui quotidien) «Le Républicain» (un nom qui ne doit rien au hasard car Tiébilé a toujours été à cheval sur les valeurs Républicaines dans son combat politique), en 1992. En tant que Conseiller spécial de Pr. Dioncounda Traoré (président par Intérim du Mali suite au putsch de 2012) depuis le 13 mai 2013, il a été un moment chargé d’engager des contacts avec les groupes armés du nord du Mali.
En 2017, il devient l’un des leaders de la contestation contre le projet révision constitutionnelle initiée par le président feu Ibrahim Boubacar Keïta dit IBK, dans le cadre du mouvement «Antè Abana» (Nous disons non et c’est tout). À ses côtés, des jeunes acteurs politiques vont se révéler. Avec eux, ils soutiendront feu Soumaïla Cissé (battu au second tour par IBK) lors des élections présidentielles de 2018. Le 5 mai 2019, a été nommé ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale dans le gouvernement du Dr Boubou Cissé. Père de 9 enfants, Tiébilé Dramé est aussi le gendre de l’ancien président Alpha Oumar Konaré, dont il a épousé la fille, l'éditrice et femme politique Kadiatou Konaré dite «Atou».
Eminent homme d’Etat, combattant intrépide de la démocratie et des droits humains
C’est donc une figure emblématique de la scène politique du Mali, issue du mouvement démocratique, qui s’est éteinte ce mardi à Paris, en France. Comme on pouvait s’y attendre, l’annonce de son décès a provoqué un buzz de témoignages et d’hommages sur les réseaux sociaux. «Un grand homme, un militant des droits humains vient de tirer sa révérence» ; «Tiébilé est une figure de l’histoire récente du Mali» ; «un homme d’État, un serviteur du Mali… un mentor, un repère...» ; «un authentique militant panafricaniste doublé d’un défenseur de droit de l’homme» ; «le Mali perd un digne fils et un combattant intrépide» ; «le journaliste, l'homme du dialogue, l'homme de paix, l'artisan de la paix et le démocrate» a tiré sa révérence ; «il était d'une humilité et d'une clarté d'esprit exceptionnelles» ; «l’un des combattants le plus actif dans la lutte pour l'avènement de la démocratie au Mali»… pouvait-on, lire, entre autres, sur l’illustre disparu.
Pour notre consœur Magassouba Awa Sylla, «Tiébilé était le symbole d'une génération courageuse et dynamique. Sa disparition marque la fin d'une ère qui a osé. Juste un grand homme s'en va et avec lui toute une génération». «Quelle dure épreuve. Notre frère et confident Tiébilé Dramé s'en est allé dans son exil politique. Nous étions constamment au téléphone de sa résidence parisienne. Il aimait prendre des nouvelles de l'évolution du délitement sécuritaire et politique de la région du Sahel. Nous avons partagé cette grande marque d'affection et de combativité politique pour l'émergence des pays de la CEN-SAD (Communauté des États sahélo-sahariens), s’est rappelé Chérif Ismaël Aïdara, Directeur de publication «Confidentiel Afrique».
Et d’ajouter, «cette icône du journalisme malien, pour avoir été l'un des précurseurs à avoir libéré la parole post Moussa Traoré, tire sa révérence avec une palette de secrets insoupçonnés de ses carnets de voyage nocturnes confidentiels, de Bamako à Jo'burg en passant par Paris, Bruxelles, Doha et le Makhzen Rabat…». Selon de nombreux témoignages, Tiébilé fut «un grand penseur, un démocrate chevronné et un diplomate bien introduit» !
Pour ce jeune confrère, «Tiébilé Dramé a laissé une empreinte indélébile par son engagement et sa détermination. Son départ constitue une grande perte pour notre pays et pour tous ceux qui ont partagé son combat et ses idéaux». Pour Dr Oumar Mariko, président du parti Sadi et opposant exilé en France, Tiébilé a incarné «le courage dans la lucidité le long du combat politique et syndical des années 80. Par sa lucidité, son esprit de synthèse des débats les plus contradictoires, il a inspiré plus d'un de notre génération dont ma modeste personne». Il ajoute, «malgré nos contradictions depuis ces années, je ne me suis jamais départi de ses qualités de conducteur d'homme, très perspicace, très intelligent, profondément sensible à la situation des autres camarades de luttes dans la lutte. Hélas les vicissitudes de la politique, de la vie conduisent à des situations difficiles à cerner».
C’est avec une pertinence incontestable que Gilles Yabi (analyste politique, économiste et fondateur du think tank citoyen Wathi) rappelle que «l'âge médian au Mali étant d'environ 16 ans, la part de la population malienne qui en sait beaucoup sur les engagements des personnes comme Tiébilé Dramé et de nombreux autres de sa génération, sur leur prise de risque alors qu'ils avaient d'autres choix, sur les arrestations, tortures, mois ou années en détention endurés, sur les années d'exil loin de leurs terres, sur les sacrifices consentis, est faible, sinon très faible». Et d’insister, «ces hommes et ces femmes, connus ou moins connus, ont fait des erreurs, petites ou grandes, certains ont pu changer dans le mauvais sens lorsqu'ils ou elles ont occupé des fonctions publiques importantes».
Autrement, Tiébilé Dramé était «un grand Homme». Ce qui fait de sa disparition «une immense perte pour la nation». Et ils nombreux ceux qui sont convaincus que «l’héritage de Tiébilé Dramé restera une source d’inspiration incandescente pour guider les ambitions individuelles et collectives dans la construction du Mali du futur». Même si, alerte Abdourahmane Dicko de la Fondation Friedrich Ebert (FES), cet «héritage politique et intellectuel est spécifique, lourd à porter mais facile à transmettre en abordant ta position inaltérable sur la démocratie…» !
Moussa Bolly
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