Mariage religieux au Mali / entre loi écrite et réalité ignorée : Un statut juridique reconnu, une application chaotique

Depuis l’adoption du nouveau Code des personnes et de la famille en 2011, le Mali reconnaît officiellement le mariage religieux comme ayant une valeur juridique équivalente à celle du mariage civil.

12 Août 2025 - 09:11
 1
Mariage religieux au Mali / entre loi écrite et réalité ignorée : Un statut juridique reconnu, une application chaotique

 Une reconnaissance saluée comme un compromis entre la tradition religieuse et les exigences modernes de l’État de droit. Pourtant, plus d’une décennie plus tard, cette reconnaissance peine à se traduire concrètement dans la vie des couples maliens. Le fossé entre la loi et la pratique est encore béant.

Le Code, dans ses articles 300 à 302, encadre minutieusement les conditions à remplir pour qu’un mariage religieux soit valide aux yeux de la loi. Il doit notamment être célébré par un imam du culte agréé et être constaté à l’aide d’un imprimé-type officiel, comportant les mentions obligatoires (identité des époux, témoins, choix du régime matrimonial, etc.), signé par l’imam et transmis à la mairie pour enregistrement.

Mais sur le terrain, cette procédure est loin d’être systématique. Dans la majorité des mosquées du pays, les mariages religieux ne sont ni enregistrés ni même documentés, laissant les époux dans un vide juridique total.

« Il y a un écart criant entre la norme et la pratique. La plupart des imams ne sont ni formés ni équipés pour assurer ce rôle administratif. Et l’Etat ferme les yeux », déplore Daouda Diallo, juriste.

Dans les quartiers de Bamako comme dans les campagnes de Kayes ou Mopti, les unions religieuses non enregistrées sont légions. Si elles sont reconnues socialement, elles n’ont aucune valeur légale. En cas de divorce, de litige patrimonial ou de décès de l’époux, les femmes religieusement mariées n’ont aucun recours devant les tribunaux.

« Une femme religieusement mariée pendant vingt ans, avec enfants, peut se retrouver sans aucun droit si son union n’est pas enregistrée. Elle ne peut réclamer ni pension, ni part d’héritage. Juridiquement, elle est étrangère à son propre foyer », explique M. Diallo.

Des imams pris au piège

Du côté des leaders religieux, beaucoup reconnaissent les limites du système. L’imam Boubacar Djiré, officiant dans une mosquée de Kabala, admet : « Nous ne recevons aucune formation dans ce sens. On célèbre le mariage, on bénit l’union, rare sont ceux qui viennent nous dire que nous devons remplir un formulaire ».

Pourtant, la loi malienne prévoit que seuls les « imams agréés » peuvent célébrer des mariages religieux ayant une valeur juridique. Mais en l’absence de distribution des imprimés-type, de contrôle de l’Etat et de formation adaptée, cette obligation reste lettre morte.

Si les manquements sont nombreux du côté religieux, les familles ne sont pas en reste. Beaucoup considèrent que la bénédiction religieuse suffit pour garantir l’union. Le passage à l’état civil est perçu comme une formalité superflue, voire une intrusion de l’Etat dans la sphère spirituelle.

Pour M Diallo, cette perception révèle une grave méconnaissance des droits fondamentaux :

« L’Etat n’a pas su créer un pont entre la pratique religieuse et la protection juridique. Résultat : des milliers de femmes vivent dans l’ombre de la loi, exposée à toutes les formes d’abus ».

Plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer une véritable politique publique de régularisation des mariages religieux : Distribution massive et gratuite des imprimés-type dans toutes les mosquées habilitées ; formation obligatoire des imams agréés sur leurs responsabilités juridiques ; mécanisme de contrôle local entre les mairies et les mosquées ; campagnes de sensibilisation pour alerter les couples sur l’importance d’enregistrer leur mariage.

Mais en l’absence d’un engagement politique fort, la reconnaissance du mariage religieux risque de demeurer symbolique.

Mamadou Sidibé

 

Quelle est votre réaction ?

Like Like 0
Je kiff pas Je kiff pas 0
Je kiff Je kiff 0
Drôle Drôle 0
Hmmm Hmmm 0
Triste Triste 0
Ouah Ouah 0