«N’gèlè» : Ensemble symbole de paix et du bon vivre

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Pour les initiés qui y siégeaient il était interdit de mentir, de voler ou de détourner les deniers publics, mais aussi de courir la femme d’autrui. C’était aussi un instrument de régulation de la société

Notre pays, selon les traditions orales, tire sa réputation légendaire de terre d’accueil et d’hospitalité du «N’gèlè» ou mirador dans la langue de Molière. Le N’gèle était non seulement un lieu stratégique pour la communauté, mais aussi un espace d’accueil des étrangers ou de simples passants vers d’autres destinations, c’est-à-dire qui cherchaient à rallier d’autres villages voisins.

Il est admis par de nombreux traditionalistes que c’est avec l’avènement de l’école française et des religions étrangères que les choses ont pris une autre tournure. Certains manipulateurs ont travaillé au corps nos sages pour délaisser nos traditions au profit de la culture occidentale et islamique. Ce qui a plus ou moins mis en péril le système éducatif traditionnel, le vivre ensemble et les mécanismes de gestion des conflits dans notre pays. Il est surtout bon de préciser que ces aspects étaient inscrits dans les programmes d’initiation concoctés par les sages.

Pour jauger ce qu’il en reste aujourd’hui, notre équipe de reportage a rencontré l’un des initiés de cette pratique ancestrale. Il s’agit du traditionaliste et artiste marionnettiste, Yaya Coulibaly.

Drapé dans une tenue de chasseur, l’artiste a accepté de nous entretenir, dans son atelier à Magnambougou, sur une pratique qui est en voie de disparition. Le rôle du N’gèle dans la société traditionnelle. Yaya Coulibaly exprime à qui veut l’entendre son regret de constater une terrible méconnaissance de nos valeurs par nombre de nos compatriotes. Pour lui, on peut encore revoir la copie et éviter à ces valeurs pour soulager notre société.

« Nous pouvons encore sauver ces valeurs pour soigner les maux qui gangrènent notre société. Je veux parler de la corruption, du vol ou du détournement de deniers publics, de l’injustice et bien d’autres vices». Selon Yaya Coulibaly, le N’guèlé ou « Ngala », dans certaines contrées, est le premier siège de rencontre, depuis des lustres dans le Mandé. Tous les dignitaires du village s’y retrouvent chaque jour pour discuter des affaires de la communauté. C’était le siège des sages et toutes les grandes décisions étaient prises sur le N’guèlé. Et toutes les décisions qui en sortaient étaient appliquées à la lettre dans toutes les familles.

Le marionnettiste souligne simplement que c’était le haut lieu de serment qui garantissait la grandeur, l’honnêteté, la sagesse. Il est généralement installé sur la place stratégique du village, notamment dans un carrefour où les routes du village se croisent.

Centre de formation de l’Homme – Notre interlocuteur tient à lever toute équivoque sur l’importance du N’gèle. « L’esprit de mirador est le seul moyen pour sauver notre société », martèle-t-il. Pour lui, il est clair que le N’gèle est un symbole d’espoir, car étant uniquement réservé aux hommes d’un certain âge. Les femmes étaient convoquées pour participer à la prise des grandes décisions, mais elles ne siégeaient pas et devaient juste assister pour y être actrices de la mise en œuvre des décisions prises.

C’est le premier siège des sages. Son apparition remonte depuis le Wagadou voire au-delà. Certains expliquent que c’est depuis que les humains ont commencé à se sédentariser. Il est lié à l’histoire de la chasse. Une pratique des hommes, depuis des temps. Cela a parfois activé un lien entre les hommes et les animaux.

Et le N’guèlè était aussi un point stratégique pour le chasseur qui s’y abritait pour mieux guetter ses proies, mais aussi pour se protéger. Pour garantir cette sécurité, il a été élargi dans le village pour assurer la défense et la sécurité de la communauté, la protection de l’environnement et des animaux. Mais aussi comme symbole de justice, de l’éducation et de la bonne organisation des événements sociaux dans le village.

Le N’guèlè était l’ange gardien des sages du village. Dans l’esprit des hommes, il était interdit, sous l’emprise de sa puissance, le mensonge, le vol, les écarts de comportement ou toutes autres actions indignes. C’était l’organe principal de régulation de la communauté, selon le traditionaliste. Malheureusement, les nouvelles civilisations ont occasionné la perte de nos repères, notamment.

Yaya Coulibaly sait de quoi il parle en tant qu’initié. Il explique dans la fabrication du mirador sur l’utilisation des arbres triés sur le volet. Il s’agit du caïcédrat, du «n’guèlé», du «genou» et du rônier. La largeur du N’gèle était composée de « 5 fourchettes qui correspondent aux cinq doigts de l’homme ». Le pilier central se pose sur des sacrifices très solides. «Rien n’était fait au hasard, c’était une société gérontocratique bien définie où, chacun avait un rôle.

Seuls les initiés avaient le droit de s’y asseoir dessus», rappelle Coulibaly. Et ceux qui étaient initiés étaient tenus au respect de leur serment, c’est-à-dire celui de ne pas mentir, voler, courir la femme d’autrui… Seul, un homme de caste, généralement un vieux forgeron, était autorisé à s’y asseoir le jour de l’intronisation sur le N’gèle. Ce rituel est répété tous les 7 ans (puisque le N’gèle est rénové à cette période) en grande pompe puisque.

SYMBOLE DE LA PAIX ET DE LA COHÉSION SOCIALE – Les affaires courantes du village ont été abordées sur ce lieu. C’était la place des armées pour débattre des stratégies et des plans pour la défense du village en cas d’agression. Les décisions prises sur ce lieu étaient prises comme un engagement qui à valeur de serment devant la communauté.

C’est pourquoi, pour donner la valeur à la décision, le chef de famille rappelait toujours qu’elle avait été prise par les sages. S’asseoir sur le mirador était interdit aux impurs. Et les Mandekan étaient liés à leur dignité. Mais aussi au serment de l’animal totémique qui est extrêmement important dans le Mandé. Le spécialiste des arts et de la culture se dit initié pour pouvoir parler de tous ces aspects de notre riche culture.

Les sages avaient un langage clair. Ils apprenaient sur le mirador à tout dire clairement sans prendre de gants lors des rencontres. Au-delà de son caractère éducatif, le N’gèlé est un instrument juridique parce que permettant aux sages qui y siégeaient de trancher lorsqu’il y avait un conflit au sein de la communauté ou en cas de mésentente entre les citoyens . Il dispose d’un pouvoir de juridiction pour sanctionner le fautif et jouait également le rôle de maintien d’ordre dans la communauté et veillait sur le village contre toutes attaques. Le sage souhaite enfin la reconnaissance des mérites qui a toujours fait la beauté du Mandé.

Amadou SOW

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