Prix du kilo de viande au Mali : Plus de pâturages, plus d’abris, plus de transhumance

Au Mali, la hausse du prix de la viande n’est plus un phénomène conjoncturel : elle est devenue structurelle. Derrière la flambée des prix constatée dans plusieurs localités du pays, une réalité inquiétante : l’effondrement progressif des conditions d’élevage dans un contexte de crise multidimensionnelle.

20 Août 2025 - 01:44
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Prix du kilo de viande au Mali : Plus de pâturages, plus d’abris, plus de transhumance

À Gao, Douentza, Kidal et même Bamako, les prix ont connu une envolée qui frappe de plein fouet les consommateurs. Mais au-delà des chiffres, c’est l’ensemble du système pastoral malien qui vacille.

 Un étal de boucher

Depuis plusieurs années, les éleveurs peinent à nourrir et déplacer leurs troupeaux. Les pâturages, autrefois abondants et accessibles, se raréfient. La désertification progresse, accentuée par le changement climatique. Les abris pour le bétail, indispensables lors des périodes de chaleur extrême ou d’intempéries, manquent cruellement.

A cela s’ajoute la disparition progressive des zones traditionnelles de transhumance. L’insécurité croissante, les conflits communautaires, et les contrôles abusifs sur les axes routiers freinent ou bloquent les déplacements des bergers. Nombre d’entre eux doivent renoncer à leurs trajets habituels, abandonnant les zones fertiles mais risquées.

"Nous n'avions jamais connu ces difficultés dans ce secteur qu'est l'élevage au Mali. Ça me fait 30 ans dedans. Un bœuf que nous pouvions avoir à 250 000 F CFA mais maintenant nous les obtenons à 350 ou 400 000 F CFA. Tout cela est dû à l’insécurité dans les localités comme Niono, Koro, Bankass, Boussin, Kourouma... où nous cherchons les animaux", nous confie Alassane, vendeur de bétails à Ségou.

"Nous ne pouvons plus aller au Gourma ni vers le Delta. C’est trop dangereux", avoue un éleveur de la région de Mopti. "Alors on reste sur place, mais il n’y a pas assez d’herbe, pas d’eau, les bœufs maigrissent ou meurent".

Ce bouleversement impacte directement l’offre en bétail. Moins d’animaux atteignent les marchés, et ceux qui y parviennent sont vendus à des prix plus élevés pour compenser les pertes en amont. Les bouchers, eux, répercutent ces hausses sur les consommateurs, dans un climat d’incompréhension générale.

A Bamako, où les prix fluctuent presque quotidiennement, la population gronde. A Kidal, on ne trouve même plus de viande. A Gao, le kilo est passé de 2500 à 3 000 F CFA ; à Douentza, de 3000 à 3 500 F CFA. Et rien n’indique une accalmie.

 Une crise négligée

"En partance à Kourouma, on m'a pris tout mon argent plus de 2 250 000. C'était la veille de Tabaski. Pourtant c'est de l'argent en partie que j'avais prêté. On n'a même pas où se plaindre. Nous alertons les porteurs d'uniforme qui sont dans ces localités mais ils n'interviennent pas. On nous demande de descendre nos bétails ou de payer 700 000 F CFA et souvent c'est à négocier à 500 000 F CFA. Des fois aussi, on nous intercepte à l'aller et nous prend tout notre argent. Je n'ai plus le courage. Comme si cela ne nous suffisait pas, on pouvait avoir dans nos enclos 5000 têtes de bétail aujourd'hui. C'est à peine si nous parvenons à compter 1000, voire 500 tètes chez les grossistes/détaillants que nous sommes tellement c’est dur. C'est du jamais vu", explique Alassane, vendeur de bétail.

Pourtant, peu d’efforts sont déployés pour enrayer cette crise. Les mesures d’accompagnement pour les éleveurs sont insuffisantes ou inadaptées. L’absence d’une politique claire de sécurisation des zones pastorales, de création d’aires de pâturage protégées et d’abris communautaires aggrave une situation déjà critique.

Pour Issa Traoré, il est dur de maintenir les activités ainsi. Il rejoint Alassane sur la question de l’insécurité et surtout sur les attaques dans les zones de San, Mopti quant à lui les localités où lui part chercher les animaux.

"Le pire pour moi, c’est vraiment le fait d’avoir changé de place. J’étais au garbal du Koda (Lafiabougou). Les autorités nous ont fait quitter. Maintenant pour louer l’espace à Djicoroni Koura, on loue de petits (des 2/2 ou 3/2 m2) à 40 voire 50 000. Déjà, le pâturage est devenu impossible dans de nombreuses localités à cause de l’insécurité. A cela, s’il faut ajouter les bandits qui ne nous attaquent pas physiquement mais en prenant nos bétails ou argent. Une fois à Bamako encore, louer l’espace à un prix exorbitant. C’est vraiment difficile", ajoute Issa Dembélé, un autre vendeur de bétails à Bamako.

Le secteur de l’élevage, pilier de l’économie malienne et source de revenus pour des millions de familles, est à la croisée des chemins. Sans action rapide, la viande pourrait devenir un produit de luxe, inaccessible au plus grand nombre et l’élevage pastoral, un mode de vie menacé.

À Gao, au cœur du Nord du Mali, le prix du kilogramme de viande a récemment grimpé de 2500 à 3000 F CFA. Une augmentation brusque, intervenue sans concertation, qui suscite la colère et l’incompréhension d’une population déjà durement éprouvée par la crise économique. En réaction, de nombreux habitants se détournent de la viande pour se rabattre sur le poisson, devenu l’alternative abordable.

Les bouchers justifient cette hausse par la rareté du bétail et le coût élevé des bœufs sur pied. "Les animaux sont de plus en plus introuvables. Ceux qui arrivent à Gao coûtent cher", explique un commerçant local. Ce constat est partagé à Douentza, où le kilo de viande est passé de 3000 à 3500 F CFA. A Kidal, la situation est encore plus critique : la viande s’y fait tout simplement rare.

Dans la capitale, Bamako, la tendance est également à la hausse. Les prix fluctuent presque quotidiennement, au grand dam des ménages. Pour de nombreux observateurs, la flambée des prix de la viande à travers le pays est multifactorielle : insécurité croissante dans les zones pastorales, tracasseries administratives sur les routes empruntées par les bergers, et obstacles multiples au commerce interrégional.

La chaîne d’approvisionnement est profondément fragilisée. Les éleveurs sont souvent contraints de modifier leurs itinéraires pour éviter les zones à risques, rallongeant ainsi les trajets et augmentant les coûts. Les contrôles multiples sur les axes routiers alourdissent encore les charges.

Pendant ce temps, les consommateurs, eux, doivent faire face. "On ne mange plus de viande comme avant", se désole une mère de famille à Gao. "On achète du poisson quand on peut, ou on se contente de sauce aux légumes". A Sikasso, le kilo est passé de 2500 F CFA à 2700 F CFA.

À défaut de mécanismes de régulation ou de subvention, les populations redoutent que la viande devienne un produit de luxe, inaccessible au plus grand nombre.

A Bamako, le kilogramme est cédé à 3300 F CFA. Beaucoup expliquent la hausse par la délocalisation des marchés. En effet, après avoir annoncé la fermeture de sept marchés à bétail, les autorités ont proposé de nouveaux sites aux marchands de bétails. Mais ces sites ne semblent pas satisfaire les responsables des marchés à bétail.

Les nouveaux sites proposés pour installer les marchés à bétail sont Zantiguila, Kati-Drall et Sanankoroba. Mais ces nouveaux emplacements ne font pas l’affaire des marchands de bétail. Au marché à bétail de la zone industrielle, des vendeurs affirment que cette délocalisation engendre des difficultés.

Les responsables de la filière viande bétail ont demandé à l’État de prendre en considération les conséquences du déménagement sur les travailleurs. Ils proposent d’envisager des voies et moyens de rester sur place. Pour le président de la filière viande bétail du district de Bamako, "sans des mesures sécuritaires, quitter la ville pour ces endroits indiqués n’est vraiment pas sans conséquences". Les responsables de la filière demandent au gouvernement de prendre en compte ces aspects et ensemble trouver des solutions. Selon lui, "Monsieur le ministre a donné l’assurance de transmettre le message acquis des droits".

Des sociologues estiment que vu la situation sécuritaire, la fermeture de ces espaces est une nécessité. "Ça ne plairait pas à certaines personnes, c’est qu’il y a des volontaires, mais malheureusement pour des raisons de sécurité, je pense qu’on n’a pas d’autre choix que de localiser ces différents espaces pour plus de visibilité parce que déjà, c’est des espaces à proximité des maisons, des habitations, donc le risque n’est pas très grand", soutient le sociologue Boubacar Bocoum.

Les responsables des marchés à bétail de Bamako affirment qu’ils sont en train de se concerter pour faire d’autres propositions concrètes aux autorités.

Aminata Agaly Yattara

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