L’accès à la mer : un enjeu de survie économique et géopolitique pour les pays de l’AES
L’Alliance des États du Sahel, réunissant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, constitue un nouvel axe de pouvoir en Afrique de l’Ouest. Et elle a besoin de partenaires sûrs pour les voies maritimes indispensables du commerce international.

Par Franck Noudofinin
L’Alliance des États du Sahel (AES), composée du Burkina Faso, du Mali et du Niger, représente un nouveau pôle de pouvoir en Afrique de l’Ouest. Dirigés par des militaires ayant rompu avec l’influence française, ces pays cherchent à affirmer leur souveraineté tout en faisant face à un défi crucial : leur enclavement géographique.
Sans accès direct à la mer, ils dépendent fortement de leurs voisins pour leurs échanges commerciaux et leur approvisionnement.
Dans ce contexte, les relations avec les pays côtiers deviennent un enjeu stratégique.
Alors que les tensions avec certains voisins notamment le Bénin, la Côte d’Ivoire, l’Algérie, la Mauritanie, et la Libye se multiplient, l’AES doit trouver des alternatives pour sécuriser ses accès maritimes.
Le Ghana et le Togo apparaissent comme des partenaires clés, tandis que le Maroc propose une solution audacieuse avec un accès à l’océan Atlantique.
Le Burkina Faso : entre isolement et nécessité de partenariats côtiers
Le Burkina Faso partage ses frontières avec quatre pays ayant un accès à la mer : le Bénin, le Ghana, le Togo et la Côte d’Ivoire.
Cependant, les relations avec Abidjan et Porto-Novo se sont fortement dégradées depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré.
La Côte d’Ivoire, historiquement proche de la France, entretient des rapports ‘difficiles’ avec le régime burkinabè, qui s’est rapproché de la Russie.
Le Bénin, sous la présidence de Patrice Talon, est perçu comme trop aligné sur les positions occidentales, ce qui a conduit à des tensions diplomatiques, notamment sur la question du transit des marchandises vers Ouagadougou.
Le Ghana et le Togo : des partenaires “indispensables”
Face à ces tensions, le Burkina Faso, porte d’entrée au Niger et au Mali n’a d’autre choix que de renforcer ses liens avec le Ghana et le Togo.
Le Ghana est le seul pays africain non membre de l’AES que le capitaine Traoré a visité depuis son arrivée au pouvoir.
Cette visite symbolique montre l’importance stratégique d’Accra pour le pouvoir de Ouagadougou. Le port de Tema se veut désormais un point d’entrée majeur pour les importations burkinabè.
Le Ministre togolais des affaires étrangères a été reçu par le président burkinabè Ibrahim Traoré le 25 Janvier 2023
Le Togo, quant à lui, multiplie les signaux en direction de l’AES.
Son ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, a explicitement évoqué une possible adhésion, soulignant que cela offrirait "un accès à la mer aux pays membres".
Lors de la prestation de serment du président ghanéen John Mahama en janvier 2025, Ibrahim Traoré, invité spécial a confirmé la volonté de rapprochement avec Accra.
Ibrahim Traoré à Accra lors de la prestation de serment de John Mahama
Le Mali : des relations conflictuelles avec l’Algérie et la Mauritanie
L’Algérie : une frontière sous tension
Les relations entre Bamako et Alger n’ont cessé de se dégrader depuis la fin des accords d’Alger signés en 2015, qui avaient pourtant permis une trêve avec les groupes armés du Nord-Mali.
En 2025, après la destruction d’un drone malien par l’armée algérienne, les deux pays ont interdit tout survol de leur territoire respectif.
Cette mesure impacte directement les vols commerciaux et isole un peu plus le Mali.
Alger voit d’un mauvais œil le rapprochement du Mali avec le Maroc, qui propose un accès à l’Atlantique aux pays de l’AES.
La Mauritanie : un autre voisin
Les incidents frontaliers se sont récemment multipliés entre le Mali et la Mauritanie. En décembre 2024, l’armée malienne et les agents de Wagner ont arrêté une quinzaine de Mauritaniens près de Fassala, localité dans le sud de la Mauritanie, avant de les libérer sous pression diplomatique.
Les présidents Goïta du Mali et Ghazouani de la Mauritanie le 4 septembre 2024 lors du Forum sur la coopération sino-africaine
Ces tensions limitent les possibilités d’accès du Mali aux ports mauritaniens de Nouakchott ou de Nouadhibou, obligeant Bamako à se tourner vers d’autres alternatives.
Niger : la Libye, un accès maritime sous contraintes
La question migratoire est source de tensions entre les deux pays. Le Niger est une plaque tournante des flux migratoires vers l’Europe via la Libye. Cependant, les relations entre Niamey et Tripoli sont complexes.
En 2024, plus de 31 000 migrants ont été expulsés d’Algérie vers le Niger. Début 2025, 770 Nigériens ont aussi été renvoyés de Libye.
L’armée nigérienne intervient régulièrement pour secourir des migrants bloqués dans le désert, comme en mars 2025, où 50 personnes ont été sauvées près de la frontière libyenne.
Ces tensions rendent difficile l’utilisation des ports libyens pour le commerce nigérien, poussant Niamey à chercher d’autres voies d’approvisionnement.
Le projet marocain d’accès à l’océan Atlantique : une solution à long terme ?
En novembre 2023, le roi Mohammed VI a proposé un accès à l’océan Atlantique pour les pays de l’AES. Ce projet, encore flou, pourrait prendre la forme d’un réseau routier traversant le Sahara occidental, territoire disputé entre le Maroc et le Front Polisario.
S’il se réalise, il permettrait de réduire la dépendance envers les ports ivoiriens, béninois ou togolais, et de renforcer les liens avec le Maroc, un partenaire économique et militaire croissant pour l’AES.
Lors d’une réunion à Rabat en 2025, les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont salué cette initiative, mais aucun calendrier concret n’a encore été annoncé.
Le roi du Maroc, Mohammed VI, reçoit les ministres des Affaires étrangères des États de l'AES au palais royal à Rabat, 28 avril 2025
Pour les pays de l’AES, l’accès à la mer est une question vitale, tant sur le plan économique que géopolitique.
Les tensions avec plusieurs voisins côtiers les obligent à diversifier leurs partenariats, en se rapprochant du Ghana et du Togo, voire en envisageant une adhésion de Lomé à l’Alliance.
Le projet marocain d’accès à l’Atlantique représente une option audacieuse, mais son succès dépendra des rapports de force régionaux.
La bataille pour la mer est donc loin d’être terminée, et elle pourrait bien déterminer l’avenir de cette alliance sahélienne en pleine composition.
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