Mali : des maux et des notes

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Lors de la dernière édition du Festival au Désert, près de Tombouctou, le 13 janvier 2012. © AFP

Mausolées détruits, musique interdite, manuscrits de Tombouctou menacés… Le danger islamiste n’a jamais tant pesé sur le Nord-Mali, obligeant certains artistes à s’exiler. Mais la scène musicale s’organise et entre en résistance.

Lorsqu’ils se sont emparés de Tombouctou, début avril, les islamistes d’Ansar Eddine n’ont pas caché leur objectif. « Nous ne sommes pas venus pour l’indépendance, affirmait leur chef, Iyad Ag Ghali. Nous sommes là pour l’application de la charia. » Quelques semaines plus tard, au nom du respect de la loi islamique, ses sbires se lançaient dans la destruction systématique des mausolées et mosquées centenaires de la « ville aux 333 saints ».

À une soixantaine de kilomètres plus au nord, dans l’oasis d’Essakane, un autre symbole du patrimoine culturel local a également subi le fanatisme des islamistes radicaux. Le site du Festival au désert, qui accueillait chaque année plusieurs milliers de spectateurs pour trois jours de concerts, a été saccagé sans retenue. Scènes, tentes, matériel, tout ou presque a été détruit par les « barbus » lors de leur descente vers Tombouctou.

Depuis qu’ils occupent le Nord-Mali, Ansar Eddine et leurs alliés d’Al-Qaïda au Maghreb ­islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (Mujao) imposent aux habitants du Nord les règles strictes de la charia. Pour les femmes et les filles, le voile est désormais obligatoire. L’alcool mais aussi la cigarette sont formellement interdits. Et gare à ceux qui sont accusés de sortir du droit chemin : une accusation de vol ou une relation hors mariage peuvent facilement valoir une amputation ou des coups de fouet sur la place publique.

Traumatisme

Autre cible de l’obscurantisme idéologique des nouveaux maîtres du Nord-Mali : la musique. La moindre note est dorénavant fermement proscrite dans toute la région. Au début, l’interdiction frappait seulement la musique occidentale, accusée d’être une perversion du « Grand Satan ». Puis ce fut au tour des musiciens locaux de la mettre en sourdine. « Ces gens-là [les islamistes, NDLR], ce ne sont pas des Maliens, s’insurge Oumou Sangaré, figure de la chanson malienne. La culture du Nord-Mali est extrêmement riche. On ne peut pas débarquer une journée et dire “stop, tout est fini”. Ce n’est pas possible. » Malgré les protestations, la censure musicale est appliquée à la lettre. Aujourd’hui, les radios ne diffusent plus un seul morceau et aucun concert n’a eu lieu depuis de longs mois à Kidal, Gao ou Tombouctou. Seule la récitation de versets du Coran est autorisée.

Au Mali plus qu’ailleurs, cette situation est un drame. La musique est ancrée depuis des siècles dans la culture populaire. Les grands artistes comme feu Ali Farka Touré, Salif Keita, Tinariwen, Toumani Diabaté ou encore Oumou Sangaré sont légion. Se produisant aux quatre coins du monde, ils ont, au fil des décennies, bâti une solide renommée internationale à la musique de leur pays. Certains ont même été récompensés aux prestigieux Grammy Awards, comme Ali Farka Touré en 1994 et en 2006, ou le groupe de blues touareg Tinariwen en 2012.

Aujourd’hui, la crise sans précédent que traverse leur pays est un traumatisme. Les artistes du Nord n’ont pas eu le choix : il leur a fallu tout quitter. C’est le cas de Fadimata Walett Oumar, chanteuse du célèbre groupe de femmes touarègues Tartit. Originaire de Tombouctou, elle a fui l’arrivée des groupes armés en janvier. Depuis, elle est exilée à Ouagadougou. Une moitié de son groupe est réfugiée en Mauritanie, l’autre est avec elle, au Burkina. Pas pratique pour répéter et continuer de faire des concerts. « C’est très difficile à gérer, confie Fadimata. On fait très peu de spectacles car on ne voyage plus facilement, notamment à cause des problèmes de visas. »

Mobilisation

Outre ces problèmes logistiques, les artistes doivent aussi faire face à des difficultés financières. La crise a eu un impact important sur les revenus de chacun, même pour les plus célèbres d’entre eux. Rokia Traoré avoue rencontrer des problèmes de trésorerie. « On fait nos répétitions en France plutôt qu’à Bamako, explique-t-elle. Chaque fois, cela fait dix personnes à héberger et à défrayer. Tout cela a un coût. »

Rokia Traoré et ses musiciens ne sont pas les seuls à délaisser provisoirement la capitale malienne. Depuis plusieurs mois, la scène bamakoise tourne au ralenti. Les expatriés et les habitants fortunés, qui faisaient en partie vivre le secteur culturel, ont quitté la ville après la crise institutionnelle du printemps dernier. Touchés par le marasme économique ambiant, ceux qui sont restés évitent les dépenses superflues. Résultat : la plupart des salles sont désespérément vides et les concerts se comptent sur les doigts d’une main.

À première vue, les artistes maliens semblent donc dans le creux de la vague. Pourtant, la plupart gardent espoir et refusent de baisser les bras. Beaucoup se mobilisent, à leur manière, pour le retour au calme. Lorsqu’on les interroge sur leur rôle dans ce contexte explosif, les mêmes mots reviennent, inlassablement. « Nous sommes la voix du peuple, son porte-parole, résume Oumou Sangaré. Nous sommes là pour exprimer le ras-le-bol des Maliens. Cette situation a trop duré ! » Tous affirment profiter de chaque concert, chaque tournée, chaque sortie médiatique pour alerter l’opinion publique.

Résistance

Les têtes d’affiche participent par exemple régulièrement à des spectacles de soutien aux populations du Nord : Salif Keita en juin à Bamako, Cheick Tidiane Seck en septembre à Paris, Oumou Sangaré début novembre dans les camps de réfugiés au Burkina… Quant aux artistes touaregs, la situation a pour eux une résonance particulière. « J’ai encore mon père et de la famille là-haut, souffle Fadimata Walett Oumar. J’ai peur de ce qui va leur arriver mais je continue de chanter, pour eux et pour tous mes frères du Nord. » Eyadou Ag Leche, bassiste du mythique groupe de blues Tinariwen, est un fervent défenseur de la cause touarègue. « Certains pointent les Touaregs du doigt, dénonce-t-il. Mais aujourd’hui, les vrais ennemis, ce sont les terroristes d’Aqmi et du Mujao. Ce sont eux qui font n’importe quoi ! Nous sommes face à une situation catastrophique qui touche tout le monde, Maliens comme Touaregs. »

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07/12/2012 à 15h:33 Par Benjamin Roger  / Jeuneafrique.com 

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5 COMMENTAIRES

  1. Les Maliens, qui ne sont pas plus belliqueux que d’autres, savent absolument TOUT de la négociation avec les dirigeants du MNLA et d’Ançardine pour l’avoir pratiquée jusqu’à L’INDIGESTION depuis des décennies : ni les accords, ni les concessions, ni la décentralisation, encore moins l’impunité tacite octroyée n’ont réussi à empêcher les mêmes protagonistes de tirer tout le profit possible des avantages concédés puis de reprendre les armes à la moindre occasion et de tuer pour imposer des vues de plus en plus maximalistes jusqu’à cette ultime fiction d’un Etat indépendant sur un territoire où ils sont ultra-minoritaires.

    L’armée malienne ne doit plus compter que sur ses propres forces pour récupérer à la sueur de son front, ce qu’elle aura perdu à la vitesse de ses jambes.C’est tout le Mali qui sera donc derrière son armée pour laver l’honneur souillé de la patrie. En déclenchant les hostilités face à ces illuminés jihadistes, le Mali ne sera jamais seul dans son combat. Des pays comme le Nigeria, le Niger et l’Afrique du Sud ne resteront pas insensibles à son combat.
    D’autres pays africains, conscients du mépris de la communauté internationale face au drame de tout un continent, sauront se mobiliser et nous aider. Mais on n’a plus le choix, il nous faut nous résigner à aller au combat. UN COMBAT POUR L’HONNEUR ET LA DIGNITE. UN COMBAT QUI FERA QUE LE MALI SERA CRAINT ET RESPECTE DE NOUVEAU.
    Ne pas agir c’est accepter de fait la partition du pays.
    Armée malienne, la balle est dans ton camp. A toi de donner tort à tous ces spécialistes te décrivant comme moribonde et inefficace.

  2. Très bonne analyse, Kassin. Lorsqu’on tient compte de l’état de déliquescence de notre armée au moment de la chute des trois régions du nord du Mali, on ne peut s’empêcher de nourrir un certain scepticisme.
    Seulement, en temps normal, on peut prendre le temps de mettre en place une armée efficace avec tout ce que cela comporte comme formation, équipement, et surtout de constitution d’économie de guerre.
    Mais le Mali se trouve déjà en guerre sans aucune perspective d’aide extérieure(il faut être réaliste), et de ce point de vue, nous n’avons aucunement le temps de nous lancer dans une opération de formation à long terme. La résistance Française à l’occupation Nazi et la guerre de libération du FLN Algérien peuvent nous servir de repères. Ce n’est pas seulement qu’une question militaire, c’est une question de dignité humaine qui doit commander à chaque Malienne et à chaque Malien de considérer ce pan de l’histoire du mali comme une affaire personnelle. Que chacun se prépare déjà, qui avec sa hache, qui avec son coutelas, qui avec son pistolet, etc… pour apporter, le moment venu, sa contribution à cette opération qui interpelle, autant que notre conscience, notre dignité de Malien.
    L’armée Malienne, qui fut la deuxième plus grande armée de l’ouest-Africain après celle du Nigéria jusqu’en 1992, a été systématiquement détruite par ALPHA OUMAR KONARÉ suivant un programme diabolique, bien orchestré et mis en oeuvre par des colonels poltrons comme SIRIMAN KÉITA, BIRAMA SIRE TRAORÉ, TIECOURA DOUMBIA et autres. Et au lieu de prendre le taureau par les cornes, ATT joua à la politique de l’autruche en organisant des parades dignes des BD de WALT DISNEY, avec du matériel militaire tenu dans l’oxydation pendant les dix années de pouvoir de son prédécesseur.
    Alpha Oumar Konaré qui se refuse à toute déclaration sur le sujet aura le poids de la cassure du Mali sur la conscience toute sa vie. Même ses arrières-arrières petits-fils entendront toujours les souffrances d’outre-tombe des martyrs du nord.
    Que tous les Maliens oublient les épisodes ALPHA et ATT et se concentrent sur ce que nous avons de mieux à faire : le sacrifice pour le Mali.

  3. Les 2000 hommes du tape à l’œil de l’armée malienne.

    Après le déblocage des armes achetées en dernière minute et dans la panique par ATT puis bloquée sur ordre de la Cedeao au port de Conakry après les événements du 22 mars 2012, l’armée malienne, huit mois après, lance aussi presque dans la panique et la précipitation comme lors de l’achat des armes bloquées, une opérations de recrutement de 2000 hommes dans l’armée, au moment où certains représentants de l’Onu parlent de septembre 2013 pour une intervention militaire au nord de notre pays.

    Et pourtant les trois régions du pays sont tombées sous occupations islamistes et alliés depuis le 1 avril 2012, et les autorités transitoires ne jurent que pour l’intégrité du territoire national y compris par la force:

    – “…Nous allons les traquer jusque dans leur dernier retranchement…” dixit le Capitaine Sanogo dans un communiqué Cnrdre mars 2012;

    -“…une guerre implacable…” Dixit Dioncounda Traoré, lors de son investiture le 12 avril 2012;

    -“…la guerre qui met fin à la guerre…”
    Dixit Cheick Modibo Diarra, revue de troupes à Ségou.

    La question qui nous vient à l’esprit est comment ces trois hommes, au sommet de l’état malien, peuvent affirmer avec force et sans ambiguïté le recours à la force pour récupérer nos terres et n’avoir pas lancé depuis huit mois aucune action de recrutement au sein de nos forces armées et de sécurité s’ils savaient qu’elles avaient un déficit réel en hommes sous le drapeau?

    Ou bien en mars, avril et mai 2012, nos autorités n’avaient ils aucune idée de la capacité opérationnelle de l’armée et de ses besoins en hommes?

    Qu’est ce qui se passe dans l’armée pour qu’on n’y ait aucune évaluation claire des besoins en termes d’équipements, d’hommes de toute grade, de formation, eu égard aux menaces qui nous guettent et ce, sous ATT comme sous la transition malgré une flopée d’officiers supérieurs?

    Une chose est claire, une formation en centre d’instruction, C.I, prend normalement 6 mois de durée et un processus de recrutement massif avec les différents tests physiques, médicaux, psychologiques, et toutes leurs gestions administratives et les sélections qui y suivent peuvent prendre jusqu’à deux mois.

    Donc recrutement et formation des 2000 jeunes dans l’armée, s’ils sont faits correctement prendront minimum 8 mois.

    C’est à dire que nous ne pourrions voir les 2000 jeunes recrues, opérationnels qu’en fin juillet 2013, au plus tôt, dans le cas d’une formation bien faite.

    Le temps d’intégrer leurs unités d’affectation et de s’accommoder d’un commandement unifié d’une éventuelle opération militaire étrangère pour une contre offensive contre les islamistes du nord, nous arriverons au mois de septembre 2013 de Romano Prodi, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu pour le Sahel.

    De deux choses l’une, soit l’armée malienne manque d’hommes et la réalité est cachée aux maliens (et nous devrons prendre le temps pour nous préparer comme le disent les américains et l’ONU), soit elle ne manque pas d’hommes, et la nouvelle campagne de recrutement des 2000 hommes est une opération de communication tape à l’œil sans réelle justification militaire pour une réelle reconquête immédiate des régions nord du pays.

    Dans tous les cas, le ministre de la défense nationale et le chef d’état major général des armées doivent nous dire pourquoi ils ont mis autant de temps pour exprimer leurs besoins en hommes depuis la débâcle de l’armée malienne en avril 2012.

    La dure réalité est que, que ce soit les commandes d’armes de dernière minute d’ATT, ou les recrutements de 2000 de dernière minute de Yamoussa Camara, l’armée malienne semble manquer cruellement de tout sens de planification et d’anticipation, et nos officiers supérieurs actuels comme les généraux du “repli tactique” d’ATT ont la même stratégie de gestion de crise, celle de la fuite en avant et du tape à l’œil.

    Malheureusement cela se paie cash quand l’ennemi frappe à la porte.

    Que Dieu sauve le Mali.

    • En tant qu’ancien militaire je trouve vos paroles très justes.Je pense que ces jeunes peuvent être recrutés pour sécuriser désormais toutes les frontières du Mali, car n’oubliez pas qu’une bonne partie des militaires du nord ont rejoint la rébellion.
      Donc à mon avis le défit le plus grand qui attend le Mali n’est pas la récupération des régions mais surtout la sécurisation de nos frontières si poreuses .
      Personnellement je me fais pas de soucis pour la reconquête des territoires occupés car je reviens du pays d’ou j’ai fais une petite tournée,ce que je peux vous affirmer c’est que le noyau dur de l’armée est là silencieux et impatiens.

      • Fakoly10 , moi aussi j’apprecie la justesse des mots de Kassin . Qu’il faille recruter 2000 soldats supplémentaires est nécéssaire , ne serait ce que parce que le Mali doit aligner au moins plus d’hommes que la CEDEAO ,etant le premier concerné par cette guerre .
        Concernant les frontières du Mali qui sont immenses ,la surveillance ne peut se faire efficacement que par des moyens techniques ,et en plus de l’efficacité çà permet d’eviter une corruption des hommes qui a toujours existé .
        tu dis que le noyau dur de l’armée est pressé de monter dans le Nord ,mais il ne faudra lancer les operations qu’à coup sur ,parce qu’un nouvel echec serait catastrophique pour le Mali ,avec le risque de voir les islamistes debarquer à Bamako .

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