Dr. Mohamed Emile Dembele, Neurologue, CHU P.G « La myasthénie peut être aussi oculaire, congénitale ou néonatale

La myasthénie, une maladie rare. Comment se manifeste-t-elle, comment se fait la prise en charge… Dr. Mohamed Emile Dembélé, neurologue au service de Neurologie du CHU de Point G donne les explications sur les signes, le plateau technique et les précautions à prendre par les patients. Entretien.

15 Octobre 2025 - 09:01
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Dr. Mohamed Emile Dembele, Neurologue, CHU P.G « La myasthénie peut être aussi oculaire, congénitale ou néonatale

Mali Tribune : Qu’est-ce que la myasthénie ?

Dr. Mohamed Emile Dembélé : La myasthénie, encore appelée myasthénie grave, est une pathologie assez complexe. C'est une maladie auto-immune qui touche la jonction neuromusculaire. C’est-à-dire que les constituants mêmes de l'organisme vont se rebeller les uns contre les autres. Elle se caractérise par une fatigabilité importante à l'effort et qui s'améliore au repos.

Mali Tribune : Comment se manifeste la myasthénie et quels en sont les symptômes ?

Dr. M. E. D. :  Avant de parler des symptômes, j’ai abordé dans la définition que c’est une pathologie grave. Elle est aussi très rare, de l'ordre de 0,01%, 0,02% dans le monde. Comme toutes les autres pathologies en Afrique, et plus précisément au Mali, les statistiques restent un peu méconnues. En Afrique, il est rapporté 15 à 20 nouveaux cas sur 100 000 habitants par an. Pour ce qui est de ses symptômes, comme je l'ai dit, il s’agit d’une maladie auto-immune. Cela sous-entend que les auto-anticorps de l’organisme attaquent les constituants mêmes de l'organisme, au niveau de la jonction neuromusculaire de la plaque motrice. Cela va entrainer une fatigabilité à l'effort. Le plus souvent, c'est l'un des premiers symptômes que le patient va remarquer.

Cette fatigabilité à l'effort peut être précédée par des signes oculaires, tels qu’un ptosis (la paupière qui tombe). Ce ptosis peut être suivi par d'autres symptômes. Le matin, le patient se réveille en pleine forme. Mais, durant la journée, il va présenter des difficultés à se mouvoir.

Elle peut se manifester également par la dysphagie qui est un trouble de la progression du bol alimentaire dans l'œsophage jusqu’à l'estomac ; ou encore des difficultés à la mastication. Il peut s’agir aussi des troubles de la déglutition, le bol alimentaire, au lieu d’aller dans l'œsophage, fait fausse route pour aller dans les poumons. En plus de tout cela, on peut retrouver des symptômes assez complexes au cours de l'évolution de cette maladie, notamment des difficultés respiratoires.

 

Mali Tribune : Qui consulter en premier ?

Dr. M. E. D. : La question se pose dans notre pays. Souvent les gens sont mal orientés dans les hôpitaux pour être dirigés vers le service indiqué. Même quand ils commencent au service d'accueil des urgences, il peut arriver souvent qu'il y ait des difficultés à l'orientation vers le service adéquat. Vous venez d’interroger un neurologue. Un seul spécialiste peut poser le diagnostic. Mais la prise en charge reste pluridisciplinaire : neurologues, parfois rhumatologues, ophtalmologues, internistes et des réanimateurs en cas de crises myasthéniques. Mais, des rhumatologues et des internistes aussi peuvent recevoir ces patients-là, puisqu’on partage une frontière que sont les maladies auto-immunes. Cette pathologie qui touche à la jonction neuromusculaire fait que la neurologie est plus impliquée.

Les ophtalmologues peuvent intervenir souvent au début de la maladie. La chute de la paupière et la diplopie (vision double) peuvent faire penser à un problème oculaire. Ces symptômes vont les amener à une consultation chez un ophtalmologue avant d’être dirigés vers un neurologue.

Mali Tribune : Y a-t-il différents types ou formes de myasthénie ?

Dr. M. E. D. : Oui. La forme la plus connue est la myasthénie grave, qui est acquise le plus souvent à l'âge adulte. Il y a aussi la myasthénie oculaire pure, qui va se limiter seulement aux yeux.

Elle aussi peut être congénitale. Et il y a également celle néonatale, c'est-à-dire une patiente enceinte et myasthénique, va transférer à sa progéniture à la naissance ses auto-anticorps pathologiques. L’enfant va développer la maladie, mais en guérira plus tard parce que ses anticorps à lui vont prendre le relais et éliminer ceux pathogènes. Le suivi ou la progression de ces femmes enceintes ne diffère pas des autres mais demande une attention particulière. Les patientes myasthéniques, on sait déjà qu’il y’a une fatigabilité à l’effort pouvant s’accentuer pendant le travail d’accouchement. Ce qui fait, qu’il faille prévenir le gynécologue car ce sont des grossesses programmées à haut risque de complications. Une des solutions est la césarienne prophylactique. C’est pourquoi le neurologue, le gynécologue et les autres spécialistes devant intervenir dans la prise en charge de cette parturiente doivent prendre des décisions collégiales pour ne pas mettre sa vie en danger.

Mali Tribune : Est-ce qu’il y’a une similitude entre les symptômes de la myasthénie et d’autres maladies neurologiques ?

Dr. M. E. D. : Bien sûr ! C'est ce qu'on appelle dans le jargon médical le diagnostic différentiel. Il y a certaines maladies qui vont poser un diagnostic différentiel avec la myasthénie telle que la sclérose latérale amyotrophique, qu'on appelle SLA.

Il y a aussi le syndrome de Lambert-Eaton qui est une pathologie cancéreuse à petites cellules qui touche les poumons. Cette pathologie est un peu différente de la myasthénie, même si les symptômes peuvent prêter souvent à confusion. Sauf que cette maladie va toucher les composantes présynaptiques et la myasthénie va concerner les composantes postsynaptiques.

Mali-Tribune : A votre avis, aux vues des similitudes entre les symptômes, le diagnostic de la myasthénie ne risque t-t-il pas de prendre du temps à être posé ?

Dr. M. E. D. : L'odyssée diagnostique de la myasthénie est de 1 à 3 ans le plus souvent. Ce qui sous-entend qu'il y a une errance diagnostique le plus souvent. Parce que ces patients-là peuvent consulter des médecins qui ne vont pas forcement penser directement à la myasthénie. Ça m'est déjà arrivé dans ma pratique.

Une patiente qui m'est venue avec une crise qui a été caractérisée comme fonctionnelle au début, mais c'est au cours de l'évolution que je vois un ptosis à bascule qui n'existait pas au début, la chute de la paupière et une fatigabilité importante qui a commencé à s'installer. Immédiatement, ça m'a fait penser à la myasthénie. Le médecin doit toujours composer avec le patient pour connaître les symptômes réels et s'orienter vers le diagnostic le plus probable.

Mali-Tribune : Comment se fait le traitement et la rémission ? Le plateau technique est-il disponible pour la prise en charge au Mali ? Comment évolue cliniquement la myasthénie ?

Dr. M. E. D. : Avant, je vais peut-être parler un peu des causes. On regroupe ses causes en trois. La cause auto-immune, ou on a des auto-anticorps qu’on retrouve dans le sang de ces patients-là. Le plus souvent on retrouve des anticorps anti-RAch, c'est-à-dire les anticorps dirigés contre les récepteurs de l'acétylcholine. L’acétylcholine qui est un neurotransmetteur, va assurer l’exécution de la motricité au niveau de la jonction neuromusculaire. Donc, l’organisme va produire les auto-anticorps qui vont s'attaquer à ces récepteurs-là. Ainsi, une fatigabilité importante va s'installer. Il y a aussi les anticorps anti-MuSK et les anticorps anti-LRP4.

Il y a aussi des prédispositions génétiques dans ces maladies-là, qui vont conditionner ces patients à faire ces maladies par le biais des mutations génétiques.

On note aussi des causes thymiques. Le thymus est l'organe qui nous confère à une tolérance immunologique. Et ce thymus-là va être le siège d'une tumeur ou bien d'une hyperplasie, c'est-à-dire un développement excessif de ces cellules. Donc, favorisant la production de ces anticorps qui vont s'attaquer à l'organisme.

Ou même, il va être le siège d'une tumeur, c'est-à-dire un thymome qui va se développer au niveau médiastinal dans la poitrine ; à l'origine de cette maladie. Maintenant, qu'on connaît la cause, le traitement va s'attaquer à différentes lignes.

En effet, il y a le traitement qui est dirigé contre les auto-anticorps ; notamment contre les récepteurs de l’acétylcholine. Je vais éviter de donner les molécules pour éviter l'automédication.

Les anticholinestérasiques vont bien marcher en cas de myasthénie à anti-RAch ou anti-LRP4 positifs ; qui sont retrouvés dans 70% des cas, mais ne vont pratiquement pas marcher, quand il s'agit des anti-MuSK.

Il y’a aussi le traitement radical, la chirurgie quand c’est un thymome qui est à l’origine.  Il est généralement dans 10 à 15% des cas chez les patients myasthéniques. Une exérèse complète de ce thymome permet une guérison totale dans 10% à 20% des cas. Chez d’autres, on peut avoir une rémission jusqu’à 70% mais pas de guérison complète.

Pour ce qui est du côté de la génétique, les recherches sont toujours en cours pour trouver une solution.

Ce qu’il faut savoir également, c’est que les personnes atteintes de myasthénie ne peuvent pas prendre tous les médicaments. Il y’a des médicaments dits contre-indiqués chez ces patients et dont beaucoup restent d’usage courant dans notre pays. Certains antipaludiques, tels que la chloroquine, doivent être évités chez ces patients-là ; y compris certains antibiotiques. La liste est disponible sur Internet.

Les patients souffrant de myasthénie ne doivent jamais s’en séparer. Quand ils vont à l'hôpital, c'est la première des choses à montrer aux médecins.

 Mali-Tribune : Toujours par rapport au traitement, est-ce que le coût du traitement est à la portée de tous ?

Dr. M. E. D. : Le médecin, a l'obligation de moyens, donc il doit mettre tout à la disposition de son patient, mais il doit aussi tenir compte de la poche de ce dernier. Mais face à ce genre de pathologie où le médecin lui-même a les mains liées parce qu'il y a moins d'arsenal thérapeutique ou moins de possibilités thérapeutiques.

Le médecin, pour le bien du patient est obligé de mettre le traitement qu'il faut, malgré que le coût souvent exorbitant. C'est l’occasion d’un plaidoyer auprès des autorités pour qu'ils puissent faciliter l'accès à ces médicaments.

Par exemple, il y a des techniques dans la prise en charge qui ne se font même pas au Mali. Il s’agit entre autres de la plasmaphérèse qui est un peu similaire à la dialyse. Il consiste à un nettoyage du sang de tous ces auto-anticorps. Cette prise en charge n’est pas possible au Mali alors que les compétences soient là.

C'est un peu le rôle de vous, journaliste de pouvoir attirer l'attention des décideurs vers ce côté-là. A côté de cette prise en charge, il y a d'autres, comme les immunoglobulines intraveineuses qui coûtent excessivement chères et qui sont vraiment recommandées en cas de crise myasthénique. Que l'on trouve difficilement au Mali. Les patients myasthéniques, le plus souvent, quand on leur donne leur diagnostic et les modalités de prise en charge, se voient dépouillés de tout, parce qu'ils se disent que c'est la fin déjà qui s'approche. Le médecin c'est aussi ça, rassurer son patient, mais être franc avec lui en termes de prise en charge.

Donc souvent, on est buté à un problème de moyens financiers, qu'il s’agisse de la myasthénie ou d'autres pathologies. Pour découvrir le thymome, il faut déjà aller soit au scanner ou à l'IRM qui coûte excessivement cher ; et il y a aussi l'EMG, qui nous permet de confirmer que c'est bien une myasthénie ou pas, cela aussi a un coût. ’N'en parlons pas du dosage des  auto-anticorps qu'on ne fait même pas au Mali, et dont le prélèvement est expédié dans les pays développés avec un délai d’attente de deux semaines au moins. Il y a certes, des efforts à faire dans la médecine en général, et dans la prise en charge de cette pathologie en particulier.

Mali-Tribune : y’a-t-il des cas de myasthénie au Mali ou du moins dans votre hôpital ou parmi vos patients ? Si oui, des chiffres ?

Dr. M. E. D. : À l'hôpital, c'est ce que j'ai dit, en Afrique, on souffre du problème des statistiques. Les registres ne sont pratiquement pas bien tenus, il n'y a pas de système informatisé dans tous les hôpitaux. Mais de ce que moi, j'ai pu constater et de ce que les collègues m'ont rapporté, c'est vraiment rare, de l'ordre de 10 patients sur 10 ans, à peu près.

Et de ma jeune pratique, j'ai à mon actif près de 3 cas de myasthénie, que j'ai pris en charge avec certains collègues.

Mali-Tribune : Est ce que les personnes atteintes de cette maladie sont-elles disposées à faire tout type de travail ? ont-ils besoin de plus de temps de pause ?

Dr. M. E. D. : Ça, ça va dépendre de l'employeur, mais on est unanime là-dessus, que ce soit la population lambda, nous médecins, personne ne doit être stigmatisé par sa pathologie. J'ai vu dans les pays développés des pathologies plus graves que la myasthénie en termes de handicap, mais on leur donne la possibilité de travailler.

J'ai même personnellement vu une patiente atteinte une maladie qui touche la moelle épinière, mais cette patiente travaille comme tous les autres, elle est dans son fauteuil roulant ; même plus intelligente que certains qui n'ont pas d'infirmité, ou qui ne souffrent pas des pathologies similaires. Donc, on ne peut pas stigmatiser quelqu'un par sa pathologie. On doit tout mettre en œuvre pour pouvoir leur faciliter une réinsertion socio-éducative ou socio-professionnelle, pour ne pas qu’ils aient à supporter plus de fardeaux qu'ils en ont déjà.

Le fardeau de la maladie est lourd déjà, mais avoir à supporter encore le regard des gens et la stigmatisation ; c’est beaucoup. Moi, je pense que c'est un appel à la conscience de tout un chacun, que ce soit l'employeur ou les collaborateurs, que ce soit sur le plan social, la communauté, que tout le monde arrive à soutenir ces patients. Et il faut aussi éviter d'aller dans la surprotection, pour ne pas leur donner l’impression qu'ils ne servent à rien.

Donc, il faut leur laisser cette marge de manœuvre et essayer d'adapter leur travail en fonction de leurs conditions physiques. En termes de facilités, on peut leur accorder plus de temps de pause pour éviter de les fatiguer ; ou encore les mettre dans des dispositions nécessitant moins d’efforts.

Mali-Tribune : Des conseils et gestes pratiques pour les patients myasthéniques ?

Dr. M. E. D. : Le premier réflexe, c'est d'aller à l'hôpital. Quand on sent quelque chose d'inhabituel ou même habituel, mais qui s'aggrave, le premier recours, c'est de s'orienter vers une structure de santé.

Si on souffre d'une myasthénie, il faut toujours viser les grandes structures de santé, les CHU. Parce que, je l'ai dit, en cas de crise myasthénique, l'hospitalisation, c'est en réanimation. Et on sait que beaucoup de nos structures ne sont pas dotées des services de réanimation.

Donc, ça, c'est un élément à prendre en compte. Et quand on est myasthénique, on doit se promener avec sa carte myasthénique, en quelque sorte. De la même manière qu'on se promène avec sa carte d'identité, c'est de cette même manière qu'on doit se promener avec la fiche des médicaments contre-indiqués.

Parce qu'on peut tomber sur un médecin qui n'a pas forcément de connaissances sur cette pathologie. Qui, par mégarde, peut mettre un traitement qui est contre-indiqué chez ces patients-là. Donc, c'est de l'imprimer et de l'avoir tout le temps sur elle, voilà.

 

Propos recueillis par

Aminata Agaly Yattara

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