Pr. Mamadou Lamine Traoré ( Paix à son âme !) : ‘’L’Occident est un accident qui s'est saisi du monde et l'a remodelé à sa guise’’

Depuis des siècles, l'Afrique a été visitée et parcourue par des habitants venus d'autres continents sous des manteaux divers: curieux voyageurs, explorateurs, négriers, missionnaires, commerçants, colonisateurs, coopérants, chercheurs, experts, «développeurs», «Fmistes» «bancomondialistes» et d'autres encore...

Les premiers regards portés sur l'Afrique ont vite forgé les mythes d'un continent calciné, peuplé d'êtres « bizarres ». Peu importait l'infime portion que l'un ou l'autre avait pu parcourir de l'immense continent africain qui vaut cinquante-quatre fois la France! Avoir vu Gorée, Saint Louis, un seul village malinké, yorouba, bantou, ou zoulou, c'est avoir vu toute l'Afrique. Généralisation abusive et conclusions hâtives font alors vogue. Le tout est dans la partie.

Hier, perçue comme brûlée et ravagée par le soleil, l'insalubrité et les maladies dont elle serait le berceau naturel, l'Afrique est aujourd'hui imaginée, comme en feu et en cendres par les guerres tribales et les échecs congénitaux de toutes ses politiques et stratégies de développement. Un continent à problèmes dont la carte même aux yeux de certains, ressemble à un gigantesque point d'interrogation précisé par Madagascar. D'autres, poussant davantage l'imagination, n'y voient que la forme d'un revolver prêt à tirer... dans le vide. Stéréotypes, caricatures ou mépris? Peu importe quand il s'agit de l'Histoire. L'Histoire est une sorcière qui, au banquet des sorcières, n'amène jamais les siens. Dans le grand chaudron du monde ne cuisent et mijotent que les enfants des autres, la raison en est simple: cette sorcière qu'est l'Histoire, n'a ni amis, ni parents, ni enfants. Elle est affreusement impitoyable. Du grand chaudron est sorti un bouillon qu'on nommera occident, par commodité. En fait, l'Occident est un accident qui s'est saisi du monde et l'a remodelé à sa guise. Il s'est fait Gorgone, puissance pétrifiante. De peuples entiers, il fera la pierre de ses empires. Les peuples noirs, sous ce « regard fatidique », deviennent des peuples, sans âmes, ni Dieu, que l'esclavage et la colonisation devaient améliorer. Certaines de leurs élites produiront alors des identités doublement illusoires, et sur le Noir et sur le Blanc. Identités doublement illusoires parce que doubles fractures de l'Homme.

Heureusement, d'autres élites produiront un autre regard, «un regard rebelle» que Sartre saura rendre admirablement: « Voici des hommes noirs debout qui nous regardent, et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d'être vu...». Nous sommes enfin «debout» pour porter haut et loin nos «regards» sur ceux qui nous regardaient avec tant de préjugés et de mépris. Et c'est tout à fait louable de voir se poser la question de l'altérité en termes de« Regards croisé~ France- Mali ». Approche nouvelle autour d'une des plus vieilles questions philosophiques: qui et que sommes-nous les uns aux yeux des autres ? Rencontre de civilisations, choc de sens et de repères, de réalités et de vérités, le projet « Regards croisés France -Mali» est donc une initiative historique. Réflexion commune de chercheurs de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales autour des liens entre ces deux nations aux rapports séculaires multiples, « regards croisés» est un face à face qui loin de la conception d'une « histoire officielle », ne camoufle pas les conflits ou les malentendus qui ont jalonné leur longue marche commune.

Libre dans sa pensée, dans sa vision, sans colère, sans émoi ni ressentiment, chacun parlera de sa rencontre, de la dynamique de ses rapports avec l'autre et cela en considérant la périodisation du long parcours.

Ce programme doit nécessairement nous extirper de l'engrenage des stéréotypes ouvrant perpétuellement le cercle vicieux des procès, bilans, justifications et récriminations qui ne déboucheront jamais sur la grandeur de l'Homme.

Il s'agit de réussir un croisement fécond de regards divers sur tous les sujets sociaux, culturels, économiques, politiques et tant d'autres. Il s'agit surtout d'intégrer le regard africain sur l'Afrique, les rapports entre les élites africaines et leurs peuples qui depuis interrogent: « A quand la fin des indépendances? »

La France et le Mali n'ont certainement pas conjugué le verbe « croiser» à tous les temps et à tous les modes mais sans nul doute sous les formes les plus diverses:
- « Croiser le fer» quand il s'agissait de la résistance à la domination coloniale
- « Croiser les efforts» quand il s'agissait des guerres mondiales
- « Croiser les mots» pour l'accès à l'indépendance
- « Croiser les regards» pour bâtir l'Homme.

Que toutes ces femmes et tous ces hommes, d'Afrique, de France et d'ailleurs, aient décidé de croiser leurs regards sans verser de sang mais en produisant des étincelles d'intelligence, l'intelligence de situations complexes, n'est-ce pas merveilleux ?!

Il s'agit de réussir un croisement fécond de regards divers sur tous les sujets pour bâtir un monde de justice sur le terrain de la vérité faite des vérités.
Il s'agit de regarder et de voir les choses en face plutôt que de nous asseoir sur nos satisfactions faciles. Il s'agit enfin de condamner face à la dérive et aux souffrances des peuples, l'attitude trop tranquille des « Bras Croisés ».