Familles mixtes : Vivre la foi à deux voix
Dans un pays à majorité musulmane mais riche de diversité religieuse, certains couples osent briser les lignes en bâtissant une vie commune malgré des appartenances différentes. Mariages entre musulmans et chrétiens : réalités, défis et espoirs d’une coexistence quotidienne.

Au-delà des différences religieuses, certaines familles maliennes incarnent une réalité aussi belle que complexe : celle du vivre-ensemble entre musulmans et chrétiens. Dans plusieurs quartiers de Bamako comme à l’intérieur du pays, ces unions interreligieuses ne sont pas rares. Rachel Tessougué, chrétienne catholique, et Youssouf Traoré, musulman pratiquant, sont mariés depuis plus de dix ans.
Ensemble, ils ont construit une vie de famille fondée sur le respect mutuel. "On ne cherche pas à convaincre l’autre. On vit chacun sa foi, et on apprend l’un de l’autre", confie Rachel. Leurs trois enfants participent aussi bien aux prières du ramadan qu’aux chants de Noël.
Dans ces foyers, le quotidien devient un exercice d’équilibre. Les fêtes religieuses Tabaski, ramadan, Pâques, Noël sont toutes célébrées, dans un esprit de partage. Les enfants grandissent entre deux traditions, découvrent les rituels de chacune, parfois avec fierté, parfois avec questionnements.
L’éducation spirituelle reste l’un des plus grands défis : faut-il choisir une seule foi ou laisser l’enfant tracer sa propre voie ? Roseline, issue d’une famille mixte, témoigne : "Chez nous, on ne nous a jamais imposé une religion. On a toujours eu le choix. Mais l’éducation spirituelle était bien là. Notre maman nous a transmis les bases chrétiennes, et en même temps, on apprenait aussi le Coran". La discussion reste ouverte.
L’essentiel, pour ces familles, c’est de maintenir une cohérence, un socle de valeurs partagées.
Mais au-delà de l’harmonie familiale, grandir dans une famille mixte implique aussi un certain décalage vis-à-vis de la société. Beaucoup d’enfants élevés dans ces milieux entre islam et christianisme développent une grande ouverture d’esprit. Ils comprennent les deux univers religieux, les deux langages, les deux sensibilités. Ils ont parfois l’impression de faire partie de deux mondes à la fois. Une richesse intérieure, mais qui peut créer des incompréhensions à l’extérieur.
Une fois adultes, certains font un choix religieux clair, mais ce choix ne les empêche pas de garder une sensibilité pour l’autre foi. C’est justement ce que reproche parfois leur entourage. Zasso, jeune musulmane issue d’une famille mixte, en a fait l’expérience : "On a remis en cause le fait que je sois musulmane, simplement parce que j’ai souhaité ‘Joyeux Noël’ et que j’ai dit que j’étais allée à l’église. On m’a reproché que je n’étais pas une vraie musulmane".
Ce type de réaction révèle le poids des normes sociales, parfois rigides, qui peinent à reconnaître des parcours plus hybrides, plus nuancés. Pourtant, ces jeunes incarnent une vision du vivre-ensemble bien plus ouverte, enracinée dans leur propre histoire.
Mais cette richesse ne suffit pas toujours à effacer les difficultés. Car si grandir dans une famille mixte peut être une chance, cela ne signifie pas que tout est simple. Derrière ces foyers ouverts se cachent aussi des parcours semés d’embûches, surtout pour les couples eux-mêmes. Parce que non, ce n’est pas toujours tout beau tout rose.
C’est le cas de Mariam, 29 ans, musulmane, qui a choisi d’épouser un chrétien malgré l’opposition de sa famille. "J’ai dû affronter beaucoup de pression. Certains proches ne sont pas venus au mariage. Il a fallu du temps pour qu’ils acceptent". Ce genre de rejet est fréquent. Les couples interreligieux doivent souvent faire face à une double incompréhension : d’un côté, les reproches religieux, de l’autre, les tensions culturelles. Dans certaines communautés, une chrétienne qui épouse un musulman est mal perçue si elle refuse de se convertir. Idem pour un musulman qui accepte que sa femme chrétienne garde sa religion.
Au-delà des défis familiaux ou sociaux, vivre dans une famille mixte peut parfois entraîner des incompréhensions avec certaines traditions religieuses ou communautaires. Par exemple, dans certaines communautés musulmanes ou chrétiennes, un mariage entre un musulman et un chrétien peut être vu comme moins légitime. Cela peut poser des difficultés, notamment lors de certaines cérémonies religieuses, où l’un des conjoints pourrait se voir refuser la bénédiction ou la reconnaissance du mariage selon les règles de la religion.
Pourtant, dans certaines situations, il n'y a pas de refus mais plutôt un respect mutuel qui prévaut, même dans les contextes les plus complexes. "On n’a jamais essayé de convertir l’autre. On a juste appris à se comprendre", confie Youssouf, mari de Rachel, avec simplicité.
Dans une société encore traversée par des tensions religieuses et identitaires, leur témoignage rappelle que l’harmonie est possible, même dans la différence. Ces familles musulman-chrétien nous montrent que l’amour, quand il est sincère, peut dépasser les cadres rigides. Et que vivre ensemble ne signifie pas forcément penser pareil.
Malgré tout, ces familles bâtissent leur propre modèle, loin des normes classiques. Elles deviennent des actrices du dialogue interreligieux, non pas par des discours, mais par leur façon d’être, de vivre et d’aimer. Pour certains, elles représentent une voie d’avenir : celle d’un Mali qui apprend à conjuguer diversité et unité
Nènè Mah Zasso Théra
(stagiaire)
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