Goonga Tan : CÉDÉAO-AÉS : rupture consommée, réconciliation en sursis ?

La décision du Mali, du Burkina Faso et du Niger de quitter la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CÉDÉAO), officialisée en janvier 2024, prend de l'épaisseur au fil des semaines.

3 Mai 2025 - 02:02
2 Mai 2025 - 12:45
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Goonga  Tan :  CÉDÉAO-AÉS : rupture consommée, réconciliation en sursis ?

Cette rupture marque un tournant historique dans la dynamique régionale ouest-africaine. Réunis au sein de l'Alliance des États du Sahel (AÉS), ces trois pays justifient leur retrait par la volonté de défendre leur souveraineté nationale, leur sécurité et un modèle de gouvernance alternatif. Pour autant, un retour dans le giron de la CÉDÉAO est-il définitivement exclu ?

algré cette prise de distance inédite, l'hypothèse d'un retour n'est pas totalement à écarter. Elle reste conditionnée par de nombreux facteurs politiques, économiques et stratégiques, dans un contexte régional en pleine recomposition. Le divorce est né de frustrations profondes, alimentées par les sanctions jugées injustes et contre-productives infligées à la suite des changements de régime opérés par la force. Les autorités de transition ont perçu dans l'attitude de la CÉDÉAO une ingérence dans leurs affaires internes, en décalage avec la priorité accordée à la lutte contre l'insécurité. Au-delà des différends politiques, le clivage s'est accentué autour des visions stratégiques. Tandis que la CÉDÉAO défend la primauté de l'ordre constitutionnel, les États de l'AÉS revendiquent un modèle axé sur la stabilité sécuritaire et la reconstruction politique, plus adapté aux réalités du Sahel.

Mais j'ai la faiblesse de croire que l'interdépendance économique entre les deux ensembles reste un facteur de rapprochement possible. Malgré la rupture institutionnelle, les échanges commerciaux, la mobilité des populations, les infrastructures transfrontalières et les corridors logistiques continuent de lier étroitement l'AÉS au reste de l'Afrique de l'Ouest, notamment par le cordon ombilical de l'UÉMOA. La monnaie commune à la majorité des États membres constitue, en effet, un lien tenu et non négligeable, ouvrant diverses perspectives pour l'AÉS.

À moyen terme, l'isolement économique ou l'affaiblissement des flux commerciaux pourrait nuire tant aux États de l'AÉS, en quête de nouveaux partenaires, qu'aux membres de la CÉDÉAO, qui dépendent de leurs voisins sahéliens pour des raisons stratégiques et commerciales. Cette réalité objective pousse de nombreux observateurs à anticiper, tôt ou tard, un dialogue renouvelé. Certes, la perspective d'accords commerciaux ou monétaires alternatifs a été évoquée pour l'AÉS, mais leur concrétisation semble difficile à court terme, en raison des ressources limitées et de fortes pressions géopolitiques. Quant à un éventuel retour dans le giron de la CÉDÉAO, il supposerait plusieurs évolutions majeures. Une réforme interne de l'organisation ouest-africaine paraît indispensable : assouplissement des mécanismes de sanction, reconnaissance de la diversité des trajectoires politiques, et renforcement du principe de non-ingérence.

De leur côté, les autorités de transition du Mali, du Burkina Faso et du Niger devraient percevoir en la CÉDÉAO un cadre compatible avec leurs priorités sécuritaires et respectueux de leur souveraineté. Un autre facteur déterminant sera la pression des réalités économiques : si les initiatives de coopération portées par l'AÉS n'arrivent pas à compenser les avantages économiques et logistiques perdus, l'envie de renouer les liens se fera plus pressante. Enfin, le climat international et les relations avec d'autres partenaires comme la Russie, la Chine ou les pays du Golfe pourraient influencer la trajectoire de ces pays : un rééquilibrage des alliances pourrait rendre le retour à la CÉDÉAO moins urgent… ou au contraire, plus nécessaire. Ainsi, entre indépendance affirmée et quête d'un nouvel équilibre régional, le départ des États de l'AÉS traduit une volonté profonde de redéfinir les termes de la coopération en Afrique de l'Ouest. Il n'est pas exclu que des ponts soient reconstruits à l'avenir. Cela dépendra autant de l'évolution des contextes politiques internes que de la capacité de la CÉDÉAO à se réinventer. La dynamique actuelle révèle avant tout une aspiration commune des peuples ouest-africains à un espace politique et économique plus équitable, plus respectueux des réalités locales. Dans cette perspective, un rapprochement futur, sous de nouvelles formes, n'est pas seulement envisageable : il est peut-être inévitable.

Seidina Oumar  DICKO

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