Report de l'échéance électorale au Mali : Une analyse juridique face à l'impératif de stabilité et de refondation

La situation actuelle au Mali, caractérisée par une prolongation de la Transition, la dissolution des partis politiques et un contexte sécuritaire et géopolitique complexe, soulève la question fondamentale de l'opportunité d'un report de l'échéance électorale.

23 Juin 2025 - 01:47
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Report de l'échéance électorale au Mali : Une analyse juridique face à l'impératif de stabilité et de refondation

 Une analyse juridique rigoureuse, prenant en compte la Constitution du 22 juillet 2023 et la Charte révisée de la Transition, permet de dégager les motifs justifiant un tel report sans entorse aux lois, tout en conférant une autorité juridique à la décision nouvelle.

Le Mali se trouve dans un état de crise multidimensionnelle, où la sécurité et la refondation de l'État sont des priorités absolues. La Constitution de 2023, en son Préambule, affirme la détermination du peuple malien "à défendre l'intégrité du territoire national et la souveraineté de l'État" et à "œuvrer à la refondation de l'État malien". Dans ce contexte, l'organisation d'élections "inopportunes" risquerait de compromettre ces objectifs fondamentaux, en créant de nouvelles instabilités.

L'article 26 de la Constitution de 2023 énonce que : "En cas de calamité constatée, tous les citoyens ont le devoir d'apporter leur concours dans les conditions définies par la loi." Si la situation actuelle n'est pas une "calamité" au sens strict d'une catastrophe naturelle, la crise sécuritaire et institutionnelle peut être interprétée comme une situation exceptionnelle nécessitant une réponse collective et une adaptation du calendrier politique.

Le rôle de la Charte de la Transition et son interaction avec la Constitution

La Charte révisée de la Transition, bien que d'un rang inférieur à la Constitution, est le cadre juridique qui régit la période actuelle. Le Décret n°2023-0401/PT-RM du 22 juillet 2023, portant promulgation de la Constitution, fait expressément référence à la Charte de la Transition et à sa révision par la Loi n°2022-001 du 25 février 2022. Cette interaction, bien que source de "discussions et de polémiques, confère à la Charte une légitimité à encadrer la durée et les modalités de la Transition.

L'article 22 de la Charte initiale de la Transition fixait une durée de dix-huit (18) mois, mais il est important de noter que cette durée a été "prolongée à plusieurs reprises, désormais pour 5 ans à partir de 2025". Cette prolongation, issue de "Consultations Nationales" bien que controversées, s'inscrit dans un cadre juridique transitoire. L'article 21 de la Charte prévoit également que "L'initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au Président de la Transition et au tiers (1/3) des membres du Conseil national de Transition." Cette disposition donne une base juridique aux ajustements de la durée de la Transition.

Obstacles techniques et logistiques à la tenue d'élections crédibles

La tenue d'élections crédibles, transparentes et inclusives est une exigence démocratique fondamentale. Cependant, des défis techniques et logistiques majeurs existent et sont à relever pour faire de la tenue des élections dans les conditions adéquates requises, un pari réussi.

La loi électorale n°2023-001 modifiant la Loi n°2022-019, stipule que la CNIBS est l'unique document d'identification. Or la rumeur publique faite d'humeur véhicule l'information selon laquelle les pièces d'identité et carte d'électeur (CNIBS) ne sont pas disponibles, ou que des "retards persistent dans la délivrance des CNIBS et des cartes NINA", ou encore que les citoyens manifestent "peu d'engouement" à aller retirer leurs pièces qui s'accumulent en stocks dans les différents lieux indiqués pour leur délivrance-retrait. La révision des listes électorales reste aussi une activité pré-électorale à mener. En l'absence d'une couverture complète des citoyens en âge de voter, avec les déplacements massifs de populations inquiétées, et tel que stipulé par la loi électorale, rendrait toute élection contestable. Pour la "fiabilité du fichier électoral", il est donc crucial qu'il soit révisé et disponible pour la crédibilité des élections. L'absence d'acteurs politiques reconnus - provisoirement - empêche de "surveiller et contrôler le processus de révision du fichier". Ce qui pourrait "compromettre la perception de son impartialité et de sa fiabilité".

Un Code électoral fiable est nécessaire à rediscuter après l'établissement du nouveau cadre légal de l'existence des partis. Leur dissolution par le Décret n°2025-0339/PT-RM du 13 mai 2025, et l'abrogation de la Loi n°05-047 du 18 août 2005 portant Charte des partis politiques, rendent le code électoral existant "obsolète dans de nombreuses de ses dispositions". La Constitution de 2023, en son Article 85, garantit la participation des citoyens aux compétitions électorales, mais sans un cadre légal pour les partis ou de nouvelles entités politiques, la question de "qui pourra se présenter ?" et de la "légitimité des candidatures" demeure entière. Un nouveau code électoral "perçu comme fiable, juste et consensuel" est une condition préalable indispensable. L'indépendance et la crédibilité de l'Agence indépendante de gestion des élections (AIGE) sont primordiales. Car sans "partis politiques ni société civile organisée pour exercer un contre-pouvoir et une surveillance", la perception de l'indépendance de l'AIGE pourrait être "compromise", affectant la légitimité des scrutins.

Impératif de la refondation et absence de consensus politique

La prolongation de la Transition est justifiée par la nécessité de "refonder l'État". Cette refondation ne se limite pas à la tenue d'élections, mais englobe une transformation profonde des structures de gouvernance, de sécurité et sociales. Organiser des élections dans un climat de forte division politique et sans consensus sur les règles du jeu risquerait de précipiter le pays dans une nouvelle crise.

L'Article 1er de la Constitution de 2023 affirme que "Le Mali est une République souveraine, indépendante, démocratique, laïque et sociale." Cependant, la nature démocratique du Mali, dans la période de transition, est actuellement en cours de redéfinition. Le fait que les "consultations nationales" aient été "largement boycottées par la plupart des formations politiques du pays" souligne le manque de consensus nécessaire à la tenue d'élections largement acceptées.

Autorité juridique pour le report

Bien qu'aucun article spécifique de la Constitution ou de la Charte ne stipule explicitement un report d'élections pour des raisons de "déchéance électorale inopportune", le pouvoir de l'exécutif de transition, sous la supervision du Président de la Transition, est habilité à prendre les mesures nécessaires pour assurer la stabilité et la bonne marche de l'État.

En effet, l'article 66 de la Constitution de 2023 confère au Président de la République (et par analogie au Président de la Transition dans le cadre de ses attributions) le pouvoir de "signer les ordonnances et les décrets pris en Conseil des Ministres". Les décrets de dissolution des partis et d'abrogation de la Charte des partis, ainsi que la prolongation de la transition, relèvent de ce pouvoir, justifié par la nécessité de préparer un environnement propice à des élections crédibles.

De plus, l'esprit de la Charte de la Transition, comme document cadre de la période exceptionnelle, vise à permettre aux autorités de transition de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le retour à un ordre constitutionnel stable et démocratique, même si cela implique un ajustement du calendrier initial. La "prééminence de facto de la Charte révisée sur certaines dispositions ou l'esprit de la nouvelle Constitution, du moins pendant la période de transition prolongée", comme le texte le suggère, fournit une base pour ces décisions.

En définitive, le report de l'échéance électorale au Mali, dans les conditions actuelles, est justifié par une confluence de facteurs juridiques, techniques et contextuels. La nécessité impérieuse de garantir la stabilité nationale, de poursuivre la refondation de l'État, et de surmonter les obstacles logistiques et légaux majeurs à la tenue d'élections crédibles, rend ce report pertinent. Bien que la dissolution des partis politiques soit une mesure radicale et controversée, elle s'inscrit dans la volonté des autorités de transition de réorganiser le paysage politique avant d'engager le processus électoral.

L'autorité juridique de ce report découle de l'interaction entre la Constitution de 2023 et la Charte révisée de la Transition, conférant au Président de la Transition les prérogatives nécessaires pour gérer cette période exceptionnelle. Pour que ce report ne soit pas perçu comme une entorse aux principes démocratiques, il est crucial que les autorités de transition œuvrent à la mise en place rapide d'un nouveau cadre juridique clair et consensuel pour la vie politique, à l'établissement d'un calendrier électoral réaliste, et à la consolidation de la sécurité sur l'ensemble du territoire. Seule une approche globale, priorisant la stabilité et la refondation sur un calendrier électoral précipité, permettra au Mali de jeter les bases d'une démocratie durable et acceptée par tous.

M LEYE

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