Guerre au Sahel: la communauté internationale «plus prompte à donner des conseils qu’à mettre la main à la poche»?

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Après la rencontre le 30 juin à Nouakchott entre Emmanuel Macron et les chefs d’État du G5 Sahel, faut-il s’attendre à un sursaut militaire? Invité de Sputnik France, l’avocat Jemal Taleb approuve le renforcement de la lutte antiterroriste, mais regrette le manque d’aide financière. Entretien.

Fort des récents succès sur le terrain, dont notamment l’élimination du leader d’AQMI* l’Algérien Abdelmalek Droukdel, Emmanuel Macron a fait le déplacement à Nouakchott, mardi 30 juin. À l’invitation de son homologue mauritanien Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, dont le pays prend la présidence du G5 Sahel, il a rencontré les chefs d’État burkinabé, malien, mauritanien, nigérien et tchadien, qu’il n’avait pas revus depuis le sommet de Pau, en janvier dernier.

Déclaration du Président @EmmanuelMacron à son arrivée en Mauritanie pour le Sommet de Nouakchott. https://t.co/wEIM0Z5IVx

— Élysée (@Elysee) June 30, 2020

Les entretiens ont eu lieu à huis clos mais d’ores et déjà, la présidence mauritanienne a annoncé que la lutte antiterroriste dans la zone dite «des trois frontières» entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger serait renforcée, conformément aux recommandations du sommet de Pau en janvier dernier.

Jugeant «positif» le bilan depuis ce sommet qui s’est tenu en France dans un contexte tendu, le Président Ghazouani a notamment insisté sur la mise en place d’un mécanisme de commandement conjoint à Niamey (Niger) qui permettrait, selon lui, «le bon déroulement des opérations d’envergure en cours».

«En janvier dernier, nous avions annoncé la mise en place de la Coalition pour le Sahel, articulée autour de quatre axes: la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité, l’appui au retour de l’État dans les zones de crise et l’aide au développement. Aujourd’hui, nous sommes rassurés de constater que ce cadre a permis de réaliser des progrès significatifs», s’est réjoui le chef de l’État mauritanien.

Avocat inscrit au barreau de Paris, Jemal Taleb est considéré comme un proche de l’ancien Président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz (2008-2019). Pour ce conseiller de l’ombre, la venue d’Emmanuel Macron à Nouakchott est un bon signe: «Cela montre que, contrairement à François Hollande, il s’intéresse au front commun que les États du G5 Sahel –une initiative mauritanienne– tentent d’opposer aux djihadistes. Aujourd’hui, toutefois, il devrait davantage investir sur le développement économique de cette région», a estimé l’avocat mauritanien lors de son passage dans les studios de Sputnik France.

La Mauritanie partage plus de 2.300 kilomètres de frontières communes avec le Mali, à l’est. Aussi, la dégradation constante de la situation chez son voisin le désole. À ses yeux, les autorités de Bamako sont confrontées à «une guerre civile qui ne dit pas son nom».

Ce qui n’est pas le cas de la Mauritanie, qui semble mieux s’en sortir jusqu’à présent face au terrorisme. Jemal Taleb l’explique par l’histoire et la volonté politique de ses dirigeants actuels qui ont réussi à «bouter» les djihadistes hors du territoire.

L’exception sécuritaire mauritanienne?

«Beaucoup oublient qu’en 2007-2008, la Mauritanie était l’une des principales bases arrière d’Al-Qaïda*, avec des cellules dites dormantes mais en fait très réveillées et, souvent, droguées […] Les officiers qui ont pris le pouvoir à l’époque ont fait le choix de développer le pays en renforçant l’armée», rappelle Jemal Taleb.

L’autre ingrédient, selon cet avocat, est à chercher dans le soutien de la population aux forces armées et de sécurité mauritaniennes. Les djihadistes auraient donc échoué à prendre véritablement racine dans le pays: «Contrairement au Mali, les forces armées mauritaniennes trouvent leur meilleur soutien parmi les petits bergers et les paysans. La culture militaire existe en Mauritanie, sans doute aussi parce que le Président actuel a su redonner confiance à l’armée en créant les Groupements spéciaux d’intervention (GSI), très mobiles, et une surveillance aérienne renforcée», ajoute-t-il.

Par conséquent, il réfute, les qualifiant d’«ubuesques», les allégations –répétées au fil des années– selon lesquelles le Président Aziz aurait passé un marché avec Al-Qaïda* pour que cessent les attaques terroristes sur le territoire mauritanien.

«Il y a une nette différence entre “je ne vous cours pas après” [au-delà des frontières] et “je passe un accord avec vous”», argue Jemal Taleb.

Reste à savoir comment venir à bout des djihadistes dans la région entière. À compter de 2014 (date de sa création), le G5 Sahel a tenté d’apporter une «réponse globale à des problèmes sécuritaires communs aux cinq États de la ligne de front».

Or, au lieu d’aider, l’encombrement actuel des forces déployées sur le terrain (G5 Sahel, Barkhane, Minusma, etc.) crée, selon lui, une «cacophonie sécuritaire». Alors qu’un renforcement des armées nationales des États concernés pourrait résoudre le problème du terrorisme dans cette région avec plus d’efficacité, fait-il valoir.

La France, trop peu généreuse?

Il suffit de comparer les sommes actuellement dépensées avec les besoins exprimés par le G5 Sahel pour mettre en place une «véritable coalition», dit-il. Ceux-ci, rappelle-t-il, ont été estimés à «60 millions de dollars pour s’équiper, puis 225 millions de dollars pendant dix ans pour faire le job!».

L’avocat regrette de surcroît que la communauté internationale soit «plus prompte à donner des conseils qu’à mettre la main à la poche». Et notamment l’Union européenne, qui a «été totalement absente jusqu’à présent», dénonce-t-il.

«L’Arabie saoudite a donné environ 150 millions de dollars, les Émirats arabes unis 100 millions, mais la France seulement huit millions et la Turquie cinq millions. La générosité de ceux qui donnent des leçons tous les jours –comme d’aller organiser des élections (au Mali) dans des conditions chaotiques– n’est pas là!», s’insurge Jemal Taleb

Faut-il, dans ces conditions, envisager un élargissement du G5 Sahel? Hors de question, pour Jemal Taleb, car si on laisse entrer le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, pourquoi pas dans ce cas le Maroc ou l’Algérie? Sans qui, en ce qui concerne cette dernière, «aucune solution sécuritaire durable au Sahel n’est envisageable», argue-t-il.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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