Pour répondre plus efficacement aux multiples défis auxquels doivent faire face les populations civiles du Sahel en guerre, des représentants de la société civile de la région demandent un changement d’approche dans la réponse à la crise et la mise en place d’une « Coalition citoyenne pour le Sahel ».
Ce message, «
la lutte contre le terrorisme ne peut être l’unique horizon de la Coalition internationale pour le Sahel », a tout d’abord été exprimé à l’occasion de la première réunion ministérielle de la
« Coalition internationale pour le Sahel » organisée le 12 juin dernier, suite à une initiative prise par les pays du G5 Sahel et la France lors du sommet des chefs d’État à Pau (France) en janvier 2020. Un appel pour une prise en compte de la société civile qu’ils souhaitent faire entendre au niveau international et au niveau national au moment où la diplomatie française notamment réalise un véritable marathon sahélien, avec en plus de la Coalition pour le Sahel, la présidence du Conseil de sécurité, le renouvellement du mandat de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et le sommet du G5 Sahel à Nouakchott début juillet.
Une situation sécuritaire qui se dégrade
Acteur de cette coalition citoyenne, Victor Ouedraogo, prêtre catholique à Ouahigouya, au nord du Burkina Faso, directeur du Centre diocésain de communication, dresse le constat suivant : «
Il ne se passe pas une semaine sans que nous apprenions des nouvelles macabres, des tueries et des attaques liées aux groupes terroristes et autres forces armées. Cette situation a entraîné le déplacement massif de 800 000 personnes. Les femmes sont privées de liberté, même dans les camps où elles pensaient être en sécurité. Plus de 2 000 écoles sont fermées et 300 000 élèves privés de leur droit à l’éducation ».
D’après les Nations unies, le nombre de victimes d’attaques terroristes a été multiplié par cinq en trois ans au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Il y a eu plus de 1 500 morts chez les civils en 2019 au Mali et au Burkina. Or, les populations prises entre plusieurs feux sont également victimes de ceux qui font la guerre aux terroristes, et d’une manière générale de toutes les organisations armées de la région. De nombreuses exactions sont commises sur des populations sans défense qui se sont organisées pour assurer parfois elles-mêmes leur sécurité. Livrées à l’oppression des combattants de tous bords, les populations sont particulièrement vulnérables dans de nombreuses zones où l’État est absent et où seules des associations sont sur le terrain à leurs côtés.
Faire respecter les droits de l’homme et les droits des citoyens
Pour une meilleure protection des populations, les acteurs de la « Coalition citoyenne pour le Sahel », qui se sont fédérés pour que la question des civils soit mieux prise en compte, partagent le même constat qu’exprime le juriste Abas Mallam, secrétaire général du Réseau nigérien pour la gestion non violente des conflits (RE-GENOVICO). «
La lutte antiterroriste n’a pas créé les résultats escomptés. Nous nous demandons parfois si les interventions au Sahel n’ont pas en fait aggravé la situation. On n’a pas vaincu les terroristes et on a créé des problèmes avec le soupçon et la perte de confiance entre les communautés et l’État. Il est nécessaire de réorienter la réponse en mettant l’accent sur la protection des civils. On ne peut pas se limiter à l’apparence, il faut travailler sur les causes profondes. »
Avant la crise existaient déjà une défiance et une inquiétude face aux autorités qui pouvaient les opprimer. Aujourd’hui, l’insécurité des civils est grande, constate Abas Mallam. Ils sont pris entre plusieurs feux et sont victimes de violations des droits de l’homme. Pour Drissa Traoré, le coordinateur national du projet conjoint Association malienne des droits de l’homme (AMDH) et Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), des exactions sont commises par différents groupes armés. Pour lui, les enquêtes qui sont ouvertes sur ces exactions, quand elles le sont, n’aboutissent pas et restent sans suite. Tant qu’il n’y aura pas de justice, il y aura impunité. C’est non seulement un véritable recul pour les droits de l’homme, mais cela entraîne en plus une augmentation des exactions sur les civils. De plus, explique-t-il, l’accès à la justice est difficile et face à l’impunité, les civils ont peur des représailles s’ils dénoncent ce qui se passe.
Pour illustrer ces situations dramatiques d’exactions et d’impunité, on peut citer pour exemple l’histoire de ce chef touareg qui apprend par téléphone qu’à plus de 500 km de l’endroit où il se trouve, dans un campement, une exaction est en cours sur des populations civiles de sa communauté par un gradé d’un détachement militaire. Étant trop loin et ne pouvant agir, désespéré, il en informe un journaliste. Le téléphone du journaliste étant sur écoute, un hélicoptère de l’armée française se rend immédiatement sur place et empêche le massacre. L’affaire n’aura pas de suite et le militaire en question, qui n’en serait pas à son premier crime de guerre, ne sera jamais inquiété et connaîtra plus tard des honneurs prestigieux.
La prise en compte des civils