Gouvernance : Le CNT face aux exigences constitutionnelles

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 Après de vaines tentatives de mobiliser leurs membres pour un atterrissage forcé de la transition, certaines organisations politiques ont vu en la cour constitutionnelle une alternative pour obtenir devant la juridiction présidée par Amadou Ousmane Touré, ce que le pouvoir de transition leur réfute. Au demeurant, la cour constitutionnelle s’est vue devoir évacuer entre le 20 mars 2024 au 25 avril 2024, la cour a statué sur trois requêtes concernant la gestion des affaires publiques en cette période de transition. La première requête en date du 20 mars 2024 émane du Président de la transition aux fins de contrôle de conformité à la constitution de la loi organique N°2023-058/CNT-RM fixant les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de transition (CNT), institution législative. Les deux autres émanent d’organisations opposées au pouvoir de transition. Il s’agit de la rrequête du 28 mars 2024 aux fins de constater la fin de la transition et de celle du 15 avril 2024 visant à invalider le décret portant suspension des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations, en le déclarant inconstitutionnel. Le juge constitutionnel s’est prononcé sur les trois requêtes en rendant trois arrêts respectivement le 18 avril et le 25 avril 2024.

Le Président du CNT Assimi Goïta en saisissant la cour constitutionnelle, à travers la requête en date du 20 mars 2024 n’a fait que se conformer à la constitution, qui exige qu’une loi organique passe d’abord devant la cour constitutionnelle, qui juge de sa conformité à la loi suprême, avant sa promulgation. Il s’agit de la loi organique N°2023-058/CNT-RM du 16 novembre 2023 fixant les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de transition (CNT), institution législative de la transition (loi adoptée à l’unanimité des membres du CNT).

La Cour constitutionnelle du Mali (institution présidée par Amadou Ousmane Touré depuis le 7 août 2020), a rendu public, le 18 avril 2024, un arrêt relatif à l’affaire CNT.

Les problèmes que pose la proposition de loi avortée :

Sur les neuf articles de la loi, le juge constitutionnel en a épinglé six, ne déclarant constitutionnelles que les dispositions des trois restants. Ainsi il « déclare non conformes à la Constitution et à la Charte de la Transition le titre de la loi ainsi que les dispositions des articles 1, 4, 5, 6, 7 et 8 ». Ainsi, les articles épinglés déclarés non conformes à la Constitution, signifient un rejet par la cour constitutionnelle de la proposition de loi, sous réserve des corrections proposées.

Parmi les dispositions querellées, celles édictés à l’article premier indiquant l’objet de la loi organique, puis répétées à l’article 7, semblent particulièrement malicieuses et voulant user de la ruse. Ainsi l’article 7 dispose : « La présente loi régit les avantages, indemnités et autres traitements des membres du Conseil national de Transition depuis sa mise en place ». En effet, le membre de phrase : « depuis sa mise en place » recèle une rétroactivité de la loi, contraire à un principe sacro-saint du droit. Selon ce principe connu de tous les hommes de droits, « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

La proposition de loi avortée à la cour constitutionnelle se proposait-elle en catimini de réparer par rétroactivité le vide juridique et l’opacité qui ont marqué la gestion des deniers publics à l’hémicycle, les rémunérations des membres du CNT depuis sa mise en place ? L’exégèse de ces dispositions semblent indiquer que depuis la mise en place du CNT (institution législative présidée par le colonel Malick Diaw), ses membres perçoivent des indemnités sur une base illégale, aucune loi n’ayant au préalable fixé les avantages, les indemnités et autres traitements. Une situation que le bureau de l’institution veut réparer en commettant d’autres violations de la loi et de la constitution. Car une loi organique n’est pas une loi d’amnistie qui est expressément rétroactive.

D’autres dispositions malencontreuses concernent « le fonds de souveraineté » octroyés au président du CNT, alors qu’il lui faut des « fonds spéciaux ». Seul le chef de l’Etat est titulaire du «fonds de souveraineté », selon la constitution. Le salaire des 147 membres du CNT sont octroyés sur la base de décision du président du CNT, alors que ces avantages doivent être accordés sur la base d’une loi. Ce qui laisse croire qu’on est en présence d’une usurpation des pouvoirs de l’institution législative par son premier responsable, en l’occurrence le président du CNT.

En outre, la proposition de loi attribue des avantages inappropriés : un salaire aux membres du CNT (le président du CNT perçoit un salaire calculé sur la base de l’indice hors échelle ; les membres du CNT perçoivent salaire sur la base de l’indice le plus élevé de la fonction publique) alors qu’il leur faut des indemnités parlementaires, selon le juge constitutionnel.

On est presque essoufflé en énumérant en plus du salaire « les avantages, indemnités et autres traitements » des membres du Conseil national de transition (CNT), au nombre desquels l’article 4 dispose : « il est accordé en sus aux membres du Conseil national de Transition des indemnités ci-après : une indemnité de représentation par mois ; une indemnité spéciale pour les membres du bureau ; une indemnité chauffeur pour les membres du bureau ; une indemnité de session par jour de session ; une indemnité de restitution par session ordinaire ; une indemnité de logement par mois ; une indemnité spéciale ; une indemnité de monture ; une indemnité de téléphone ; une indemnité de responsabilité ; une indemnité de sujétion ; une dotation de carburant ». Les présidents des commissions bénéficient en sus une indemnité de responsabilité. Les présidents et vice-présidents des commissions du Conseil national de Transition perçoivent en sus une indemnité de sujétion. Le problème est que le montant de ces « avantages, indemnités et autres traitements » n’apparait pas retenant l’attention du juge et sa réaction sur l’exigence constitutionnelle de fixer les indemnités et autres avantages, d’indiquer le montant correspondant à chacune des indemnités énumérées en tenant compte de la division technique du travail parlementaire. Ces dispositions non complètes ont conduit à leur inconstitutionnalité sous réserve de la fixation du montant correspondant à chaque indemnité et avantage énumérés. L’exégèse de ces dispositions laisse sous-entendre une volonté du président de l’institution de disposer dans ses mains, à la place de la loi des moyens de fixer à sa guise les montants concernés, concentrant dans ses mains des pouvoirs indus, frisant l’excès de pouvoir.

 Les Maliens estomaqués

Les montants perçus par les membres du CNT sont jugés excessifs par la majorité des Maliens qui ont consenti le sacrifice de la résilience, d’être dans le noir avec des coupures d’électricité sans limitation, la hausse des prix, l’insécurité, l’incertitude du lendemain. Dans un tel environnement les émoluments, « les avantages, indemnités et autres traitements » des membres du Conseil national de transition (CNT) sont jugés énormes, même si les missions sont importantes ; le pays qui fait face à des défis sécuritaires ne peut pas supporter de tels frais au moment où le gouvernement malien a renoncé à percevoir en cette période de vache maigre, certains avantages, le trésor tournant presque à vide.

Cependant les homologues des membres du CNT dans l’espace de l’AES (les conseillers du Burkina Faso et du Niger) se sont parfaitement adaptés à la période de soudure, en réduisant comme peau de chagrin, leurs émoluments. Dame Raki Talla le sait très bien pour avoir conduit une délégation de conseillers nationaux de la transition au pays des hommes intègres, aux fins de s’imprégner des réalités pour échanges fructueux.

Dans ses recommandations cette mission aurait mieux fait de proposer une harmonisation des indemnités parlementaires dans l’espace AES ou au moins une réduction des avantages perçus au Mali par les membres du Conseil de Transition, même si l’institution est dirigée par un puissant colonel (un des cinq colonels) en l’occurrence Malick Diaw, qui s’en mêle les pinceaux en s’octroyant un fonds de souveraineté empiétant dans un domaine réservé au chef de l’Etat, qui seul a droit à un fonds de souveraineté.

 Fin ou pas fin de la transition ?

La requête du 27 mars 2024 ou du 28 mars 2024, selon la date d’enregistrement à la Cour constitutionnelle le 28 mars  sous le n°00126 de Cheick Mohamed Chérif Koné agissant au nom et pour le compte de la Référence syndicale des magistrats (Refsyma) et de l’Association malienne des procureurs et poursuivants (AMPP) avait pour but de constater un vide institutionnel résultant de la vacance de la présidence de la Transition ainsi que la déchéance de tous ses organes.

La cour a rendu l’Arrêt n°2024-02/CC du 25 avril 2024, soulignat l’article 7 nouveau de la Charte de la transition qui indique : “En cas de vacance de la présidence de la Transition pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu ou définitif du président de la Transition pour quelque cause que ce soit, constaté par la Cour constitutionnelle saisie par le président du Conseil national de transition et le Premier ministre, les fonctions du président de la Transition sont exercées par le président du Conseil national de transition jusqu’à la fin de la Transition”. Les requérants ont -ils ignoré ces dispositions de la charte ?

Selon l’arrêt de la Cour, Cheick Mohamed Chérif Koné, a agi en qualité de magistrat-président de la Référence syndicale des magistrats (Refsyma) qui est un regroupement syndical de professionnels, en particulier de magistrats où son adhésion suppose que le candidat puisse justifier de sa qualité de magistrat. Alors que l’article 1er du décret n°2023-0578/PTRM du 3 octobre 2023 dit : “Monsieur Cheick Mohamed Chérif Koné, n° Mlle 797-85 G, magistrat de grade exceptionnel, est révoqué de la magistrature sans suppression de droit à pension” et qu’en matière d’excès de pouvoir une décision administrative produit ses effets tant qu’une décision d’annulation n’a été prononcée sur la base d’une saisine du juge de l’excès de pouvoir.

Selon la Cour les effets de ladite décision peuvent être suspendus par une décision de sursis à exécution prononcée par le juge compétent sur la base d’une requête en sursis à exécution accompagnée d’une copie de la requête en annulation. Dans l’instruction de ce dossier, la Cour de céans a saisi la Cour suprême qui, par lettre n°0985/PSA-CS du 23 avril 2024, précise qu’il n’existe aucun recours aux fins de sursis à exécution contre ledit décret mais bien un recours en annulation non encore vidé. Donc, en l’absence d’une décision de sursis à exécution ce décret produit ses pleins et entiers effets qui suppose que Cheick Mohamed Chérif Koné n’étant plus magistrat, il n’a pas qualité pour être, même, membre de la Refsyma, à fortiori en être le président et agir en cette qualité en son nom.

Toutefois, ce défaut de qualité de Cheick Mohamed Chérif Koné, n’affecte en rien l’existence et le fonctionnement de la Référence syndicale des magistrats (Refsyma). La Cour estime qu’à la différence de la Refsyma, les statuts de l’AMPP disposent, en son article 1er, qu’elle est une association professionnelle à caractère non lucratif, une organisation non gouvernementale, apolitique et l’article 1er prévoit que son adhésion est ouverte “à toute personne physique, notamment à tout magistrat ou praticien de droit dont l’activité professionnelle, passée ou présente, est en relation avec l’objet de l’association”, une disposition qui permet à Cheick Mohamed Chérif Koné d’être membre et président de cette association.

Pour la Cour, considérant que le Mouvement reconstruire-Baara Ni Yiriwa, association politique, représenté par son président Dr. Mahamadou Konaté, demande la constatation de la vacance de la présidence de la Transition, à l’instar de Cheick Mohamed Chérif Koné, il y a lieu de considérer ses deux requêtes distinctes tendant aux mêmes fins, les associations requérantes aux termes de l’article 7 nouveau de la Charte, n’ont pas qualité à saisir la Cour pour faire constater la vacance de la présidence de la Transition et en conséquence, elle estime qu’il y a lieu de les déclarer irrecevables. Ces requérants n’ont pas « qualité à saisir la Cour constitutionnelle pour faire constater la vacance de la présidence de la transition », cette demande ne pouvant venir que du président du Conseil national de transition (CNT) ou du Premier ministre.

 Les activités des partis politiques

Par une requête du 15 avril 2024 Abdoulaye Idrissa Maïga agissant au nom et pour le compte du Parti convention pour la République (Cre) a saisi la cour constitutionnelle aux fins de déclarer inconstitutionnel le décret n°2024-0230/PT-RM en date du 10 avril 2024 portant suspension des activités des partis politiques et des activités à caractère politique des associations.

A travers l’Arrêt n°2024-03/CC du 25 avril 2024, la Cour indique que la Constitution et la loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle ont strictement limité ses compétences tant en matière de contrôle de constitutionnalité qu’en matière de contentieux relatif aux élections présidentielles, législatives et aux opérations référendaires.

En effet, conformément à une jurisprudence constamment établie de 1997 à 2023 par les arrêts CC-EP97-047 du 8 mai 1997, 2020-02/CC-EL du 6 mars 2020 et 2023-05/CC du 14 juin 2023, la Cour constitutionnelle est, exceptionnellement, compétente pour connaître la régularité du décret de convocation du collège électoral, sur le fondement des articles 149 et 150 de la Constitution du 22 juillet 2023, complétés par l’article 31 l’alinéa 1 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle : “Tout le contentieux relatif à l’élection du président de la République et des députés à l’Assemblée nationale relève de la compétence de la Cour constitutionnelle”. A cette exception près, tout le contentieux des actes réglementaires, tels les décrets, relève de la compétence attributive de la Section Administrative de la Cour suprême. En plus, l’article 111 de la loi n°2016-046 du 23 septembre 2016 portant loi organique fixant l’organisation, les règles de fonctionnement de la Cour suprême et la procédure suivie devant elle dispose : “La Section administrative est compétente pour connaître en premier et dernier ressorts : des recours pour excès de pouvoir dirigés contre les décrets ; arrêtés ministériels ou interministériels et les actes des autorités administratives nationales ou indépendantes ; des recours dirigés contre les décisions rendues par les organismes administratifs à caractère juridictionnel”.

 Le juge constitutionnel a considéré qu’il y a lieu de se déclarer incompétent et a renvoyé le requérant en l’occurrence Abdoulaye Idrissa Maïga agissant au nom et pour le compte du Parti convention pour la République (Cre), à mieux se pouvoir: devant la cour supreme.

 B Daou

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