Moussa Alassane Diallo, président de l’APBEF : « Il n’y a pas de risque par rapport à la gestion des dépôts des clients. » «Les clients peuvent se sentir en sécurité

1

Président Directeur Général de la Banque Nationale de Développement Agricole (BNDA), Moussa Alassane Diallo est le président en exercice de l’Association professionnelle des Banques et Etablissements Financiers du Mali (APBEF). Présent à Sélingué lors de la 3ème édition de la rencontre Banque/presse privée, Moussa A. Diallo a bien voulu répondre à nos question. Dans cet entretien exclusif, le banquier revient sur l’impact de la crise politico- sécuritaire sur les activités des banques et aussi sur le financement des entreprises. Mais, aussi, sur les perspectives qui s’ouvrent aux Banques au Mali.

Moussa Alassane Diallo Président de l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers du Mali (APBEF)
Moussa Alassane Diallo Président de l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers du Mali (APBEF)

Le Pouce : Quel a été l’impact de la crise politico- sécuritaire sur les activités des banques et aussi sur le financement des entreprises ?

Moussa Alassane Diallo : En 2012, le Mali a  connu une crise politico sécuritaire sans précédent marquée par un coup d’Etat militaire le 22 mars 2012 mais aussi par la rébellion dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou. N’oublions pas la partition du pays avec l’occupation de 2/3 du territoire national par la rébellion. Cette crise a eu des impacts sur les activités bancaires, à travers les dégâts causés aux banques dans les régions de Gao, Kidal et Tombouctou. Des encaisses ont été emportées pour environ quatre milliards de FCFA, des dégâts causés sur les équipements et bâtiments, évalués à environ à deux milliards de FCFA. Sur le plan physique, il y a eues des pertes. Nous rendons grâce à dieux parce qu’il n’y a eu aucune perte en vie humaine au niveau de nos agences installées à Kidal, Tombouctou et Gao. Cette situation de crise politique et sécuritaire a eu un effet sur l’économie du Mali, à travers la suspension de la coopération financière internationale et bilatérale. Tous les bailleurs de fonds du Mali, ont tourné dos au Mali à commencer par la Banque mondiale et le Fonds Mondial International (FMI), la Banque Africaine de Développement et la Banque Islamique de Développement. Tous ces financiers internationaux qui apportent des concours très importants au budget de l’Etat, ont suspendu leur coopération financière avec le Mali. Le budget du Mali s’est finalement résumé à un budget de collecte sur la  fiscalité, les impôts douaniers. Cela n’était pas de nature à assurer le fonctionnement normal de l’Etat. Avec la suspension de la coopération bilatérale et internationale, tous les investissements productifs dans le portefeuille de l’Etat, ont été suspendus. On ne peut pas assurer une croissance économique sans investissement, sans consommation, sans exportation. Le Mali, à ce niveau là, est tombé en récession en 2012. Les banques ont subi les effets de ces crises à travers la dégradation de leur portefeuille parce que l’Etat n’ayant pas les ressources nécessaires pour payer les mandats émis. Les opérateurs économiques qui ont réalisé des marchés de l’Etat, n’ont pas été payés. Il se trouve que ces opérateurs ont fait des prêts bancaires pour réaliser ces marchés. Il fallait constituer des provisions importantes à la date du 31-12-12. Cette situation va peser sur la situation financière des banques en 2012.  Aujourd’hui, avec les perspectives, les banques sont en mesure de supporter ces difficultés financières. La perspective d’assurer un taux de croissance de 5% en 2013, est une bonne nouvelle. Cela augure une perspective heureuse pour les banques. En ce qui concerne le financement des entreprises, c’est surtout la baisse des activités de l’Etat qui a fortement pesé sur la baisse des activités des entreprises. Le premier agent économique du Mali est l’Etat, à travers son  budget qui fait plus de mille milliards en temps normal. La relance économique doit concerner, à la fois, les activités régaliennes de l’Etat mais, aussi, des activités des entreprises. Les banques ont proposé qu’il y ait un cadre de concertation avec l’Etat, les acteurs économiques, pour faire des propositions qui seront de nature à assurer la relance économique en 2013.

Le Pouce : Face à cette dégradation du portefeuille des banques, qu’est-ce que l’Etat compte faire pour vous de l’APBEF ?

Moussa Alassane Diallo : Pour le moment, aucune mesure n’est proposée par l’Etat. Les provisions vont être constituées par les banques conformément à la réglementation bancaire. En décembre 2012, une mission de la commission bancaire de l’UEMOA a visité 7 banques maliennes sur 13. Les autres seront visitées début 2013. Les banques qui se trouvaient au nord, ont été inspectées par la commission bancaire. Les décisions de cette structure s’imposent aux banques. Conformément à ces décisions, les banques sont dans l’obligation de constituer des provisions nécessaires sur la dégradation du portefeuille, les créances en  souffrance. L’Etat n’intervient pas pour couvrir çà. Nous avons demandé à l’Etat, la création d’un fonds d’indemnisation qui sera de nature à couvrir les pertes que les banques ont connues à Tombouctou, Gao et Kidal, mais, aussi, indemniser les entreprises et aider à la relance des entreprises du nord qui ont tout perdu suite à la  rébellion.

Le Pouce : Qu’est-ce qui explique l’exclusion  des Banques et Entreprises financières des mesures d’indemnisation de l’Etat ?

Moussa Alassane Diallo : Il avait été proposé au gouvernement d’adopter une loi d’indemnisation qui devrait être de nature à couvrir les pertes subies par les personnes civiles, militaires mais, également, par les entreprises, les banques. Cette proposition d’indemnisation de l’ensemble des agents économiques qui ont subi des pertes, suite à la rébellion et le coup d’Etat du 22 mars, voudrait que tous soient indemnisés. Cette indemnisation devrait s’inscrire dans le cadre de  la relance économique. Mais, la proposition n’a pas été retenue. La loi qui a été adoptée par l’Assemblée nationale, porte strictement sur l’indemnisation des personnes civiles et militaires.  L’adoption de cette loi, en incluant les entreprises, y compris les banques, devrait être de nature à favoriser le rétablissement des activités économiques au nord du Mali. Elle devrait aussi permettre aux entreprises qui ont connu des dommages au nord, de redémarrer leurs activités. Cette loi d’indemnisation devrait aider les banques à retourner dans les régions qui étaient sous occupation, quand la situation sécuritaire va le permettre. Il s’agit pour nous, d’un instrument important, économique, proposé au gouvernement, de façon à assurer le retour des banques et la reprise des activités économiques. Cette proposition n’ayant pas été retenue, je pense que d’autres outils seront développés par les gouvernants. Il y aura au mois de mars, une table ronde des bailleurs de fonds à Bruxelles en Belgique par rapport à la reconstruction du nord. Certainement que d’autres dispositions seront prises pour assurer la relance des activités économiques au nord du Mali. Quoi qu’il arrive, il est indispensable de mener une réflexion très approfondie pour envisager des mesures qui seront de nature à assurer la relance des activités économiques. C’est une dimension importante à laquelle le gouvernement doit apporter des réponses structurelles majeures.

Le Pouce : Comment comptez- vous accompagner les régions du nord ?

Moussa Alassane Diallo : Il faut souhaiter que les banques reviennent vite dans les régions nord du Mali. Le retour des banques va être conditionné à la situation sécuritaire d’une part mais, d’autre part, aux mesures qui seront prises par les banques elles-mêmes, pour reconstruire les agences. L’accompagnement des entreprises au niveau de ces trois régions, doit se faire sur trois piliers. Le premier pilier, c’est de réfléchir avec les entreprises qui doivent de l’argent aux banques à renégocier le remboursement des en-cours. La deuxième mesure est de discuter avec ces entreprises de façon à mettre en place des prêts de sauvetage. Ces prêts doivent intégrer le remboursement des en-cours antérieurs, de façon à leur permettre de redémarrer les activités ou de les relancer. La troisième mesure porte sur quelle mesure incitative, l’Etat peut amener à apporter à ces entreprises. A ce niveau, l’APBEF doit être une interface qui a une capacité d’analyse et de proposition à faire au gouvernement afin d’assurer la relance des activités de ces entreprises installées au nord.

Le Pouce : Depuis trois années, banques et presses privées se concertent. Que retenir en terme de bilan ?

Moussa Alassane Diallo : Trois ans, c’est déjà très peu pour faire un bilan. Mais, on peut faire ce qu’on appelle un bilan d’étape. Ce que je tire de ces trois années de collaboration avec la presse, se résume en trois points. Le premier point, c’est que les banques et la presse ont appris à se connaître et surtout à se parler. Il y a trois ans, chacun était dans son coin. Ces rencontres de concertations, ont permis de nouer l’optique du dialogue entre la presse et les Banques et Etablissements financiers. Je pense que cela est extrêmement important. Le fait de s’asseoir et de se parler, me semble être utile dans l’exercice dans nos différentes missions.

La deuxième chose, c’est que nous avons appris à travailler ensemble. Aujourd’hui, il y a pratiquement beaucoup d’organes de presse qui ont des comptes dans les banques, qui arrivent à avoir des prêts à court terme pour assurer les financements de leurs besoins courants et de la couverture de leur besoin en fonds de déroulement. Mais, il y a aussi des organes de presse qui arrivent à bénéficier des prêts à moyen terme pour assurer le financement de leur équipement. Je crois qu’il y a des organes de presse qui sont arrivés à se doter de leur propre imprimerie, de leur propre siège, à renouveler leur équipement avec les concours bancaires. Conformément à la première édition, tout cela se fait dans ce cadre à des conditions exceptionnelles qui sont accordées aujourd’hui à la presse. Le taux à un chiffre 1 à 9%.  Ce taux ne doit pas dépasser 10%. C’est-à-dire qu’on ne doit pas atteindre 10% de taux d’intérêt d’un prêt accordé à un organe de presse.

La troisième chose que je vais dire, c’est que honnêtement, j’ai été fortement impressionné par la capacité de réflexion que le cadre de concertation a offert. Je pense que cette rencontre a été à la fois utile pour les Banques mais aussi pour les organes de presse. Je souhaite de tous les vœux, que ce cadre de concertation se renforce davantage, qu’on puisse arriver à le pérenniser dans l’intérêt de la presse, des Banques, des établissements financiers mais aussi dans l’intérêt de notre pays. Par ce que ce sont des réflexions très intenses, des analyses très approfondies. J’ai bien apprécié  les débats au cours de cette rencontre.

Le Pouce : En ces temps de crise, avez-vous des rapports particuliers avec les services des assiettes et du recouvrement ?

Moussa Alassane Diallo : Nous avons des rapports très particuliers avec le service des impôts qui est au service du développement. A ce titre les Banques doivent contribuer à l’impôt pour accompagner et assister l’Etat du Mali dans ses programmes de développement et dans ses réformes. Tous les impôts qui doivent être payés par les Banques et qui sont dus doivent être payés. Sur ce point il n’y a pas d’ambiguïté. Il peut y avoir aussi des cas où les banques ne seraient pas d’accord avec des impôts qui ne sont pas dus. Dans ce cas, nous avons des négociations avec la Direction générale des impôts, avec le ministre de l’Economie et des finances qui est le ministre en charge des Impôts et des banques. C’est lui le chef de famille et les enfants sont les banques et la direction générale des impôts. Si les enfants n’arrivent pas à s’entendre sur quelque chose dans la famille, il incombe au père de trancher en dernier ressort. Je pense très honnêtement et en toute responsabilité qu’il n’y a pas de raison que les banques et les impôts n’arrivent pas à s’entendre. Je salue le degré de relation et de coopération avec la direction générale des impôts qui est à notre écoute.

Le Pouce : Un message particulier à l’endroit de votre clientèle, aux plus hautes autorités et la presse ?

Moussa Alassane Diallo : C’est de rassurer la clientèle pour dire qu’il y a la crise, mais que nous sommes en train de la remonter. Cette crise, malgré ses effets sur les banques, n’aura aucun impact, aucune incidence sur le dépôt des clients. Toutes les banques maliennes sont à mesure de faire face au paiement des retraits dans ses guichets. C’est de dire aux clients qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur. Les banques se portent très bien. Il n’y a pas de risque par rapport à la gestion des dépôts des clients. Les clients peuvent se sentir en sécurité.

Par rapport aux pouvoirs publics, ce qui  a été fait jusqu’ici est très appréciable dans le dialogue et dans la concertation. On a pu apporter des réponses appropriées à toutes les questions qui se posent à nous. Il faut continuer à se parler, à échanger.

Par rapport à la presse du Mali, elle est responsable et joue trois rôles essentiels. Le 1er rôle est celui d’information, de sensibilisation, de formation et d’éducation des populations. Tous les journalistes sont des éducateurs. Le deuxième rôle, est un instrument de renforcement et de développement de l’Etat de droit et de la démocratie. Le troisième rôle, est que la presse est un instrument d’aide à la banque. C’est à ce titre que les banques et établissements financiers ont besoin de la presse pour les aider à donner la bonne information sur la crise mais aussi les aider à assurer la commercialisation des différents produits de services financiers de façon à ce qu’il y ait une vulgarisation en grande échelle de ces produits là. Ce travail va favoriser la bancarisation, autrement dit  l’accès du plus grand nombre des maliens à un compte bancaire. Depuis que je suis à la tête de l’APBEF, j’ai cru à la presse malienne. Cette presse malienne ne m’a pas déçu. La presse est l’instrument pour ajuster les banques, pour avancer. Quoi qu’il arrive les banques retourneront au nord. Ce que je peux dire, c’est que la reconstruction du nord et  la relance des activités des entreprises du nord se feront avec les banques ainsi. Nous serons à leur côté pour toujours.

Entretien réalisé par

Tiémoko TRAORE 

Commentaires via Facebook :

Comments are closed.