D’ATT à Assimi Goita en passant par IBK : Y a-t-il une désacralisation de la fonction présidentielle au Mali ?
La présidence de la République est sans nul doute la plus haute et la plus honorable fonction dans un pays, mais elle est en passe d’être désacralisée au Mali, tant les actes et les propos tenus par les Présidents frisent le ridicule voire la théâtralisation.

De feu Amadou Toumani Touré, à Assimi Goita en passant par feu Ibrahim Boubacar Keita, tous ces trois ont contribué à désacraliser la fonction présidentielle par leurs propos et actes. Seul le Président Alpha Oumar Konaré n’a pas vidé cette haute fonction de sa substance. Il a, à tout point de vue, donné à ce poste la prestance, l’honneur et le privilège qui y sied. Ses sorties loin d’être du folklore, étaient toujours à la hauteur des événements. Ses propos loin d’agacer l’auditoire, étaient plutôt empreints de sagesse, de morale, de courtoisie, d’humilité et de sens de la responsabilité. Ils étaient la thérapie aux maux et souffrances de la population. AOK maîtrisait les mots qu’il utilisait et ses discours à l’image de celui qu’il a tenu en Côte d’ivoire lors d’une rencontre de haut niveau sur la crise politique dans ce pays était de haute facture. Celui tenu en Côte d’Ivoire est à la fois historique et légendaire et fera date dans les annales de l’histoire de la résolution des crises en Afrique.
Le successeur d’Alpha Oumar Konaré, à savoir Amadou Toumani Touré, ATT, ou encore le soldat de la démocratie a été incontestablement celui qui a écrit l’une des glorieuses pages de l’histoire contemporaine du Mali en libérant le peuple malien de 23 ans de dictature militaire du Général Moussa Traoré. Il a conduit l’une des transitions les plus réussies en Afrique, au terme de laquelle il a remis le témoin sans anicroche à un civil après des élections inclusives, crédibles et transparentes. Dix ans après cette belle prouesse il a signé son retour au pouvoir cette fois-ci par la voie des urnes. Si sous son magistère beaucoup d’œuvres utiles ont été réalisées, il n’en demeure pas moins qu’il passe pour être ce président qui a contribué à désacraliser la fonction présidentielle d’abord pour être mêlé à des affaires sulfureuses et indécentes, ensuite pour ses sorties en l’emporte-pièce et surtout ses propos qui frisaient la comédie. A titre illustratif, qui ne se rappelle pas de ses propos sur la corruption ? Il a affirmé sans ambages qu’il ne pourra pas humilier un chef de famille pour avoir détourné les deniers publics. Comme si cela ne suffisait pas, dans un ton ironique empreint de cousinage il a banalisé ce fléau en avouant n’être pas à mesure de lutter contre la corruption car quand « un Coulibaly vole il va construire des étages, quand un Keita vole il va se marier à plusieurs femmes » Ces propos ont sonné comme un chèque en blanc donné aux délinquants financiers. La suite est connue. La dernière grande sortie ratée du Président ATT a été faite lors d’un meeting des femmes, fidèle à sa tradition du SANA GUYA ou cousinage à plaisanterie, en pleine crise socio-sécuritaire il a lâché l’un des vieux proverbes maliens « Bè Bi Babolo » en traduction approximative, chacun pour soi Dieu pour tous. Un aveu d’impuissance et d’incompétence. C’est certainement ces erreurs cumulées tout au long de sa gouvernance qui lui ont été fatales, car à quelques encablures de la fin de son deuxième et dernier mandat il a été balayé par des mutins venus du camp de Kati. Sa chute a été l’une des plus stupides et les plus faciles de l’histoire des coups d’Etat en Afrique, comme pour dire que le pouvoir d’ATT ne tenait que d’un petit fil.
Après une transition de quelques mois, IBK a été élu Président de la République avec un score qui frise le plébiscite. Le peuple malien avait pensé trouver en IBK le messie, le sauveur comme en atteste d’ailleurs la grande mobilisation pour son élection. Le peuple ne s’est pour autant pas trompé car il semblait se référer à son parcours politique d’une rare richesse, Conseiller diplomatique à la Présidence de la République, Ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire, Ministre des Affaires étrangères, Premier ministre, Président de l’Assemblée Nationale, bref il damait le pion à tous ses concurrents à l’élection présidentielle de 2013. Le parcours qui était celui d’IBK le faisait passer pour l’homme politique le plus expérimenté, celui qui était à même de trouver des réponses aux questions cruciales du pays, mais c’était mal le connaitre. Dès les premiers mois de sa gouvernance il avait commencé à dérouter, à faire le contraire de ce qu’il avait promis, à savoir une gouvernance vertueuse ou le denier public allait être sacré. Ses premières frasques avaient commencé avec l’achat de l’avion présidentiel. En effet, il a ordonné cet achat au moment où le pays traversait une crise multidimensionnelle gravissime. Pire encore l’achat de l’avion présidentiel a été l’affaire qui a le plus défrayé la chronique au Mali tant il y aurait eu des manquements à l’orthodoxie financière. S’en est suivi la corruption à ciel ouvert, le népotisme, l’affairisme, la culture de la médiocrité et surtout l’implication de la famille dans la gestion des affaires publiques. Jamais le pays n’a connu autant de déboires en si peu de temps que sous IBK. Au point qu’il passait plus de temps à répondre à ses opposants qu’à faire face aux préoccupations existentielles du peuple.
En effet, comme ATT, IBK aussi par ses sorties n’hésitaient pas à tenir des propos qui frisent la comédie, l’arrogance, le mépris et la suffisance. Qui ne se rappelle du terme « Petit Monsieur » pour qualifier Tiébilé Dramé, son farouche opposant de l’époque. Et cette autre phrase « Et pourtant il a été bien élu en commune 2, il a même battu un grand leader de l’opposition » En faisant allusion à son fils Karim Keita et pour répondre aux détracteurs de son fils. Au lieu de mesurer l’impact négatif de l’implication de sa famille dans la gestion des affaires publiques il s’est plutôt réjoui de cette prouesse. La suite est connue. L’appétit venant en mangeant, Karim a pensé que la République était familiale, il a cherché et obtenu le très stratégique poste de Président de la commission défense de l’Assemblée Nationale, pas pour son expertise poussée dans le domaine militaire, mais parce qu’il sera question d’achat d’équipements militaires. Par ces pratiques odieuses et comportements aux antipodes de la bonne gouvernance la République a porté un coup et la présidence s’est affaissée. C’est pourquoi lors de la campagne pour son second mandat les maliens n’ont pas hésité à demander à IBK de « Laisser le pouvoir » « BOUA KA BLA » En réponse à cette demande le Président IBK a été le plus catégorique « BOUA TA BLA MACHI FA KA TA » Autrement dit le vieux père ne va pas laisser pour qu’un autre père se mette à sa place. En somme la chute d’IBK comme celle d’ATT est la conséquence d’une banalisation de la fonction présidentielle et de la boulimie du pouvoir.
Quid d’Assimi Goita ? Le Président de la transition ne fait plus exception à la règle. Toutes ses sorties, ces derniers temps suscitent indignation, colère et incompréhension. N’est-il pas en train de glisser vers ces mêmes pratiques qui ont sonné le glas de deux régimes, celui d’ATT et le régime IBK ? Ses sorties deviennent de plus en plus polémiques pour ne pas dire comiques. Ce qui faisait sa force, à savoir son silence semble être rompu pour laisser place à une posture beaucoup plus offensante et plus déplaisante. Qui ne se rappelle pas de ses propos décrivant une scène relative à un grand drone qui aurait appartenu à un pays ennemi du Mali et qui avait franchi les limites de nos frontières. Sans avoir la prétention de démentir cette allégation, le ton avec lequel cette scène a été décrite ne doit pas être celui d’un président. Qui ne se souvient pas de son discours avec les forces vives de la nation dans lequel discours il a fustigé les Maires qui auraient vendu les terrains réservés pour la réalisation du projet de la plaque solaire de Diago. Cette autre sortie a fait l’objet d’une polémique au point que certains en ont ri à gorge déployée, Beaucoup disent ne pas comprendre comment sous un régime militaire des Maires civils pourraient pousser l’outrecuidance jusqu’à défier un Président de transition de surcroit un Général d’armée. Que dire des différents engagements pris solennellement et souverainement, mais qui n’ont jamais été respectés. L’on pourrait citer le non-respect des délais devant mettre fin à la transition : 18 mois, 24 mois, enfin une transition indéfinie sans le quitus du peuple. Que dire de la violation répétée de la Constitution et de toutes les chartes qui régissent la transition. Comme si tout cela ne suffisait pas lors de la cérémonie de remise du projet de la Charte pour la paix et la réconciliation, le Président de la transition dans son discours en Bamanakan a laissé entendre que le pouvoir est comme du délice et que lorsqu’on prive quelqu’un de ce délice il fait du bruit. En voulant répondre à l’ancien PM Choguel K Maiga qui fait feu de tout bois après son éviction de la primature, le Président de la transition a prêté le flanc à ses détracteurs. Qui ont fini par tirer la conclusion qu’au sommet de l’Etat on y va pour jouir des délices et autres avantages, mais pas pour servir. Voilà un bel exemple de désacralisation de la Fonction présidentielle !
Youssouf Sissoko
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