Tout au long de l'histoire, notre pays a connu des malheurs. Il y eut les criquets pèlerins, les sécheresses, les inondations. Mais de 1992 à nos jours, le seul vrai malheur du Mali, c'est l'absence de vrai chef. Je m'explique.
Quand les redoutables généraux soviétiques, soucieux de maintenir en vie un système communiste moribond, décident de renverser le président fédéral Gorbatchev, jugé trop libéral, on a vu le président de Russie, Boris Eltsine, juché sur les épaules de la foule, appeler à faire barrage aux galonnés. Eltsine lève peut-être le coude plus que de raison mais son acte de bravoure en fait un leader.Il sauve son pays. Il sauve les démocrates au nez et à la barbe des canons. Les Russes lui en seront reconnaissants au point de garder, jusqu'à nos jours, le système politique et le successeur - Vladimir Poutine- qu'il leur proposa après son départ volontaire du Kremlin.
Quand les troupes hitlériennes brisent la fameuse ligne Maginot et envahissent la France, un officier inconnu refuse la reddition formalisée par l'immense maréchal Pétain. Cet officier, De Gaulle, s'exile en Grande Bretagne, lance son célèbre appel du 18 juin 1940, sort du néant une armée de nationalistes expatriés et de tirailleurs sénégalais pour entamer, aux côtés des forces anglo-américaines, dans la reconquête de la terre natale. De Gaulle devient ainsi un leader. Et lorsque la patrie se retrouve en danger du fait du délicat dossier algérien, elle préfère encore recourir au
"plus illustre des Français". En dix ans de pouvoir, De Gaulle entame une réforme constitutionnelle qui met l'Etat au-dessus des querelles partisanes, restaure la grandeur du pays et insuffle une nouvelle dynamique à l'indépendance nationale. Le vaillant soldat jugera bon de démissionner, comme il l'avait annoncé, lorsqu'une réforme politique qu'il propose est rejetée, lors d'un référendum, par le peuple.
Quand la France décide de mettre ses anciennes colonies dans un même sac pour en faire une communauté de bric et de broc, un grand Africain lui dit non: Ahmed Sékou Touré, qui martèle devant l'éminent général De Gaulle que la Guinée préfère la liberté dans la pauvreté à l'opulence dans l'esclavage. Malgré ses dérives ultérieures, Sékou Touré meurt au pouvoir; s'il n'a pu exploiter les ressources naturelles de la Guinée, du moins les laisse-t-il intactes, loin des comptes bancaires suisses ou luxembourgeois.
Quand les Afrikaners d'Afrique du sud instituent sur le sol national l'odieux système de l'appartheid, un homme se dresse devant eux du haut de ses deux mètres: Nelson Mandela. Ce grand gaillard au coeur d'airain renonce à une brillante carrière d'avocat et à 27 ans de liberté pour redonner à la majorité noire de son pays la dignité et le pouvoir.
Madiba dirige ensuite l'Etat mais, pour donner l'exemple, il se limite à un unique mandat et n'admettra jamais qu'on touche aux cheveux d'un seul de ses ex-geôliers.v A 92 ans, il reste l'incône universelle de la lutte pour la démocratie et la tolérance.
Lorsque la grande Amérique, contre ses propres valeurs, décide de s'opposer à la réunification du Vietnam, elle trouve sur son chemin un vieil homme au corps fluet mais au coeur de lion: Ho Chi Minh.
Ses talents de stratège et le bras de son général, Giap, lui suffisent pour infliger une mémoire déculottée à la première puissance du monde dotée, de surcroît, de la bombe atomique...
Boris Eltsine, Charles De Gaulle, Ahmed Sékou Touré, Nelson Mandela et Ho Chi Minh ont en commun d'avoir renoncé à la facilité pour affronter plus fort qu'eux. Ils ont risqué ce qu'ils ont de plus cher - leur vie, leur famille, leur liberté et leur fortune- pour le salut de la patrie. Ils ont sacrifié les béatitudes du présent à un idéal. Bref, ils ont été des leaders, des chefs, des meneurs, des sauveurs. Si le Mali avait un leader de leur trempe, il n'aurait pas vu sa partie septentrionale tomber sous le joug de bandits armés. Si nous avions un leader, un vrai, le putsch du 22 mars n'aurait pas eu lieu. Si nous avions un chef, un vrai, nous n'aurions pas eu besoin de mendier l'aide militaire de nos voisins et de l'ex-puissance coloniale. Hélas! Nous n'avons que des politiciens qui gardent l'oeil constamment rivé sur les prochaines élections et le pouce appuyé sur la veine jugulaire de la nation. Nous n'avons que des politicards dont les militants tiendraient dans une boutique et qui n'ont, pour tout programme, que le tube digestif et la meilleure manière de le remplir. Pauvres de nous !
Tiékorobani