Coonga Tan : Affaire des fonctionnaires fictifs : ne sacrifions pas nos meilleurs enfants !
Il y a des injustices qui blessent plus que les balles. Il y a des coups portés qui font vaciller la foi des citoyens les plus dévoués. L'affaire des "fonctionnaires fictifs" au Mali en est une illustration cruelle.

Depuis plusieurs mois, les autorités mènent une opération de "nettoyage" dans la fonction publique. Objectif annoncé : débusquer les milliers de fictifs qui saignent nos finances publiques, avec un coût évalué à plusieurs milliards de francs CFA par an. Sur le principe, personne ne peut s'opposer à cette volonté de mettre fin à une hémorragie entretenue par la fraude, le clientélisme et la corruption. Mais dans l'exécution, la machine administrative peut déraper, car de véritables serviteurs de l'État peuvent se retrouver broyés, humiliés, privés de leur dû.
e cas du Dr Moussa Malick Traoré est emblématique. Lu sur sa page Facebook, son récit révèle un médecin recruté en 2017, qui n'a pas choisi le confort d'un bureau climatisé à Bamako. Non. "Il a volontairement rejoint la zone des trois frontières, pour épauler nos FAMa." Pendant cinq ans, il a affronté la peur, la poussière et la mort. Cinq braquages, une fusillade, une tentative d'enlèvement et pourtant il a tenu bon. "Il a donné son sang plus de trente fois pour sauver nos soldats. Il a traversé les zones rouges d'Ansongo. Il a affronté le COVID en 2020, le choléra en 2021." Dans le vacarme des armes comme dans le silence des hôpitaux, il a servi.
Et aujourd'hui ? On lui dit qu'il est "fictif". On le prive de salaire. On l'humilie. On le condamne à voir ses enfants privés d'école, ses projets universitaires brisés, ses responsabilités familiales écrasées. Voilà comment l'on récompense l'un de ses meilleurs fils, peut-être parce qu'un incompétent n'a pas fait son boulot de vérification correctement. Je le dis avec colère : ce n'est pas seulement une injustice, c'est une faute politique et morale. On ne peut pas, d'un côté, exiger de nos médecins, de nos enseignants, nos ingénieurs... des sacrifices inouïs et, de l'autre, les traiter comme des fraudeurs. C'est briser la confiance entre l'État et ses serviteurs. C'est miner le socle même de la Transition.
Car le Dr Traoré n'est pas seul. Dans les académies, des enseignants crient leur désespoir. D'autres fonctionnaires stoïques ont décidé de s'insérer dans la rectification et de s'engager dans un nouveau contrôle physique.
Ils ont été légalement recrutés et pourtant leurs noms apparaissent dans les listes des "fictifs". Ce sont des visages réels, des familles réelles, des sacrifices réels. Mais la machine administrative, dans sa brutalité bureaucratique, les a rayés d'un trait de plume, la faute à un opérateur mal formé et recruté lui même à la légère.
Oui, il faut lutter contre la fraude. Oui, il faut débarrasser la fonction publique des fantômes qui engloutissent nos ressources. Cependant, cette lutte ne peut pas devenir une chasse aveugle qui vise les meilleurs plutôt que les pires.
L'on joue notre crédibilité dans cette affaire. Si nous n'arrivons pas à différencier les fraudeurs des héros, nous sacrifierons sur l'autel de l'incompétence nos meilleurs enfants, au risque de nous trahir nous-mêmes. Car la vraie force d'un État ne réside pas seulement dans ses discours ou ses chiffres, mais dans la façon dont il traite ceux qui se battent pour lui.
Le cri du cœur du Dr Moussa Malick Traoré devrait résonner jusqu'aux plus hautes sphères : "Je ne suis pas un fictif, mais l'un des meilleurs que l'État ait recrutés."
Décideurs ! Entendez-le. Il est important de ne pas laisser les imperfections de l'administration compromettre l'honneur de ceux qui vous soutiennent. Corrigez, rétablissez, respectez. Car un pays qui humilie ses héros creuse leurs tombes.
DICKO Seidina Oumar
Journaliste- Historien- Écrivain
Quelle est votre réaction ?






