Collaboration medias et société civile au Mali : Comment renforcer la vigilance collective contre la désinformation

La désinformation est devenue un défi majeur au Mali, où les réseaux sociaux et certaines plateformes numériques se transforment souvent en caisses de résonance pour les rumeurs, les manipulations et les discours de haine.

1 Octobre 2025 - 02:05
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Collaboration medias et société civile au Mali : Comment renforcer la vigilance collective contre la désinformation

Dans un pays traversé par des tensions sécuritaires et politiques, les infox ne sont pas seulement une nuisance : elles alimentent la peur, la défiance, exacerbent les divisions et fragilisent la cohésion nationale. Face à ce fléau, une piste se dessine : renforcer la collaboration entre les médias et la société civile pour construire une vigilance collective.

 

Les médias traditionnels (presse écrite, radios, télévisions) se trouvent dans une situation paradoxale. D’un côté, ils subissent la concurrence des réseaux sociaux où l’information circule instantanément. De l’autre, ils sont appelés à jouer le rôle de rempart contre les infox, en rétablissant les faits, en offrant une information fiable.

Cependant, nombre de rédactions de presse manquent de moyens techniques et financiers pour développer des cellules de fact-checking ou pour former leurs journalistes aux nouvelles méthodes de vérification.

Abdoul Kader Ky, Ingénieur en développement et administration des réseaux informatiques. Directeur de l’Économie numérique pense « qu’il y a beaucoup d'exemples aujourd'hui qui mériteraient d’être connus et démultiplier. L’État a tout intérêt à réussir cette collaboration, non seulement pour augmenter ses recettes, mais également élargir l'assiette fiscale, amener la transparence dans la gestion et diligenter les procédures ».

De nombreuses organisations de la société civile malienne (associations de jeunes, ONG de défense des droits humains, mouvements citoyens) se mobilisent pour sensibiliser la population aux dangers de la désinformation. Des campagnes de formation aux « gestes barrières numériques » émergent, notamment auprès des scolaires et des leaders communautaires. Mais l’impact de ces initiatives reste limité si elles ne trouvent pas une synergie avec les médias, capables de donner une visibilité nationale aux actions menées sur le terrain.

Ramata Dia, Présidente de la commission éthique et déontologie à la Haute Autorité de la Communication (HAC), aujourd’hui, tout citoyen peut être émetteur d'une information par rapport au réseau social qui lui donne le moyen de faire passer des messages. Il n'a pas besoin d'aller ouvrir une radio, de faire un journal ou d'avoir une télé. Les enjeux, c'est que ces informations sont très difficiles à vérifier, à recouper. Donc, pour un pays, les enjeux sur la stratégie nationale de communication sont immenses. N’importe qui peut véhiculer des informations qui peuvent déstabiliser le pays, discréditer, diffamer des citoyens dans leur honneur et leur dignité, ruiner des vies.

Pour Moussa Lin Diallo, Président de Doniblog, la communauté des blogueurs du Mali, il faut améliorer la formation dans le domaine journalistique qui, « de façon générale reste très timide au Mali, surtout en ce qui concerne la déontologie numérique ». C'est très simple, dit-il, les jeunes sont les premiers consommateurs de l'information sur la toile et ils jouent un rôle clé sur les réseaux sociaux. A cet effet, ils doivent être au cœur de l’éducation aux médias. C'est pourquoi, chez nous à Doniblog, nous organisons régulièrement des ateliers sur l'éducation aux médias (prebunking) et des blog camps dans les écoles et universités, souvent à l'intérieur du pays afin de sensibiliser efficacement ».

Par manque de coordination, chaque acteur agit souvent de manière isolée, réduisant la portée des efforts. L’absence d’outils numériques communs pour détecter et contrer rapidement les rumeurs virales est également une faiblesse, de même que le manque de confiance qui fait qu’une partie du public soupçonne les médias d’être partisans et la société civile d’être instrumentalisée par des bailleurs.

Massiré Diop, Rédacteur en chef de Journal Du Mali  trouve également qu’il faut « renforcer les capacités des journalistes pour améliorer la qualité des contenus liés aux plaidoyers de la société civile. Les sujets comme la lutte contre la corruption, la gouvernance locale ou le suivi budgétaire exigent des compétences spécifiques que tous les journalistes ne possèdent pas encore ».

Créer des plateformes conjointes de vérification des faits où journalistes, ONG et experts croisent leurs informations avant diffusion, former des réseaux de « vigiles numériques » pour impliquer les jeunes, très présents sur les réseaux, dans la détection précoce des infox et institutionnaliser le dialogue médias et société civile par l’organisation régulièrement des forums conjoints pour partager des expériences et outils de lutte contre la désinformation.

Il faut en sus, valoriser les langues locales par la production des contenus de fact-checking en bambara, peulh, songhaï et tamasheq pour toucher le plus grand nombre et communiquer sur comment les médias vérifient les faits.

Pour Massiré Diop, Rédacteur en chef de Journal Du Mali, « il est nécessaire de repenser les mécanismes de financement et de partenariat. Des fonds conjoints entre médias et organisations de la société civile, gérés par des structures indépendantes, pourraient soutenir des productions d’intérêt public et garantir l’indépendance éditoriale. Je vois aussi un potentiel important dans les partenariats tripartites entre médias, OSC et institutions publiques pour la production régulière de contenus sur la gouvernance locale. Par ailleurs, impliquer les universités et les écoles de journalisme permettrait de créer des laboratoires de production ou des stages spécialisés autour des enjeux citoyens. Enfin, des partenariats avec les bailleurs pourraient financer des enquêtes journalistiques sur des thématiques clés, tout en favorisant la formation continue et la professionnalisation du secteur. Je suis persuadé que c’est en combinant financement, expertise et coopération que nous pourrons renforcer l’impact de cette alliance entre médias et société civile ».

Le rôle de l’État reste délicat. Trop d’ingérence dans la lutte contre la désinformation risquerait d’être perçue comme une tentative de censure. En revanche, il peut jouer un rôle positif en soutenant l’accès aux outils technologiques, en facilitant l’éducation aux médias dans les écoles et en appuyant les initiatives multipartites sans les instrumentaliser.

La lutte contre la désinformation ne peut réussir que par une vigilance collective, où les médias apportent leur savoir-faire en matière de vérification, et où la société civile agit comme relais citoyen auprès des communautés. Ensemble, ils peuvent redonner confiance à l’opinion publique et protéger la cohésion sociale.

Ramata Dia, Présidente de la commission éthique et déontologie à la HAC, sa structure « n’a pas autorité sur les réseaux sociaux, mais, quand un média reprend, ça devient du domaine de la compétence de la HAC. Cependant, avant, pour diffuser une nouvelle, c’était la radio, la presse écrite ou la télévision. Maintenant, le téléphone remplace tous ces trois. Malheureusement, on n’a plus le temps de recouper, recouper et recouper. On veut le buzz, être le premier, avoir plus de clics. Du coup, on peut diffuser quelque chose qui n'est pas vérifiée. Il faut donc trouver une ligne médiane qui serait des contacts dans tous les secteurs clés : armée, ministères… Le journaliste, c'est d’abord son réseau, son carnet d'adresses ».

Au Mali, ce partenariat reste encore embryonnaire, mais il constitue l’une des clés pour transformer l’espace numérique en un terrain de citoyenneté éclairée plutôt qu’en un champ de manipulations.

« Intelligence artificielle, robotique, monnaie électronique, crypto-monnaie, sont des changements majeurs qui vont bouleverser la façon de vivre, la civilisation humaine. On y va ou on disparaît », conclut Kader Ky.

 

Aminata Agaly Yattara

Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.

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