Tribunal numérique : Quand les jeunes jugent et condamnent en ligne
Le monde virtuel est devenu un autel de châtiments. La justice populaire en ligne prend de l’ampleur, avec des jeunes qui jugent, vilipendent et condamnent. Ils se sont transformés en juges, distribuant des sentences

Ce lynchage numérique a pourtant des conséquences sur la vie des victimes et incite à la haine.
Les jeunes ne se contentent plus de « liker » c’est-à-dire aimer ou de commenter en ligne. Ils se transforment en juges de circonstance ; ils jugent et condamnent. Une justice populaire qui n’offre aucune circonstance atténuante à la victime. A coup de hashtags, ils mettent au pilori de pauvres innocents.
Le cyber harcèlement est devenu la norme. Les likes et les partages deviennent des armes qui ont le pouvoir de construire ou de détruire une réputation, l’honneur ou la dignité en quelques heures. Selon Abdoulaye Sadou Yattara, Spécialiste des questions d’éducation aux médias, « cette justice se manifeste par le harcèlement en ligne, des campagnes de dénonciations sur les réseaux sociaux et la diffusion d’informations à caractère personnel et sans oublier les fake news ».
L’engagement émotionnel est l’un des défis majeurs pour les fact-checkeurs dans le cadre de la vérification des informations dans les contextes de lynchages numériques. Fatouma Harber, fact-checkeuseuse, non moins Directrice de SankoréLabs, explique : « nous nous retrouvons parfois face à un duel vitesse contre vérité. Le lynchage se propage à la vitesse de l’éclair avec un effet viral. Ce n’est pas du tout facile car le vérificateur atteint un public moins large que la fausse nouvelle, l’exemple de Jessica et du dauphin en est la preuve. Une histoire créée de toute pièce qui s’est pourtant propagée et certains ont atteint des millions de vue sur YouTube. Le problème de la contamination des sources nous empêche de remonter à la source parfois car plusieurs comptes peuvent s’associer à la viralité ».
« Les journalistes professionnels ont un rôle crucial contre la justice populaire en ligne, ils doivent et peuvent couvrir les lynchages numériques à cause de leur mission d’information et d’alerte. La couverture de ces lynchages est une sorte d’éducation aux médias, à l’information et aussi une manière de lutter contre la désinformation. Un journaliste professionnel ne doit pas systématiquement ignorer ou couvrir les lynchages numériques. Il doit adopter une approche réfléchie et éthique, sa mission est de dénoncer le mécanisme de haine et non de relayer la haine » ajoute pour sa part Sadou Yattara.
Fatouma Harber a rappelé que l’espace numérique n’est pas un espace de non droit même si c’est un défi de le faire comprendre aux jeunes. Il est important que les jeunes sachent que faire du lynchage numérique qui impactera la vie d’une personne ne s’arrête pas après la disparition de la publication. Le droit réel s’applique aussi bien dans le monde virtuel que dans le monde réel.
La viralité du lynchage numérique, malheureusement, façonne l’opinion et polarise l’attention sur un fait, une situation. Le spécialiste de l’éducation aux médias qualifie cette viralité comme un amplificateur qui a but « d’influencer l’opinion sur une cible sur laquelle on impose un débat à l’orientation préalablement définie. Et en faisant un point de convergence de l’ attention des internautes des usagers sur les réseaux sociaux. Les contenus viraux reposent toujours sur une charge émotionnelle qui donne peu de temps à la réflexion critique pourtant nécessaire comme l’enseigne l’EMI ».
Les plateformes sociales disposent d’algorithmes capables de dicter un comportement aux utilisateurs, pouvant faire passer un faux contenu comme de la vérité. Selon M. Yattara l’écosystème des faux contenus est dense et comprend de nombreux types. Le lynchage numérique a des conséquences dévastatrices tant pour les individus que pour la société, et mêmes les Etats. Une personne peut perdre sa réputation de manière irréversible suite à des accusations non fondées mais relayées massivement sur la toile.
La Citoyenneté numérique est très importante dans la mesure où elle permet aux jeunes d’utiliser l’internet de manière responsable.
Pour Halassane Koné, Enseignant chercheur, « il est important de comprendre les mécanismes, l’émotion, l’indignation, le besoin de justice avant de juger. Ce serait un moyen efficace d’aborder la notion de justice populaire numérique sans stigmatiser les élèves. L’objectif n’est pas de faire la morale mais d’amener les jeunes à réfléchir à la responsabilité individuelle dans un espace collectif. Savoir trier et vérifier une information est un défi actuel. L’éducation aux médias et à l’information est un moyen efficace pour développer l’esprit critique face aux contenus viraux ».
Enseigner la citoyenneté numérique est devenu une nécessité. Et il permettra aux jeunes à être des citoyens en ligne, à connaître leurs droits et devoirs. Sur les réseaux sociaux la liberté d’expression ne supprime pas la responsabilité, poursuit M. Koné « cette citoyenneté numérique peut être enseignée de manière transversale. Il faut retenir que l’éducation et la vie numérique sont indissociable. Aujourd’hui, la citoyenneté s’exerce aussi sur Facebook, Tik Tok ou WhatsApp, et former un bon citoyen c’est aussi former un internaute conscient, critique et respectueux », conclu-t-il.
Les jugent improvisés, et les exécuteurs de sentences rendent le monde numérique malsain, les réseaux sociaux des lieux d’inquisition.
Oumou Fofana
Ce reportage est publié avec le soutien de Journalistes pour les Droits Humains (JDH) au Mali et NED.
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