Dr Aly Tounkara : «La lutte contre le terrorisme se fait dans la durée»
Ces dernières semaines ont été marquées par des incursions des terroristes contre des positions des Forces de défense et de sécurité dans plusieurs localités du pays.

Dr Aly Tounkara, expert sur les questions de défense et de sécurité au Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), livre ici son analyse sur ces derniers développements sur le plan sécuritaire. Il se prononce aussi sur les comportements à adopter par les populations et sur les actions à mettre en œuvre parallèlement à l’action militaire pour venir progressivement à bout de la nébuleuse terroriste
L’objectif étant d’amener les populations à délégitimer les actions militaires en cours et dans le même temps, obtenir un changement de pouvoir. Car, ces actions opportunistes ont pour finalité de créer la psychose auprès des populations, de créer un sentiment de délégitimation vis-à-vis de l’élite militaire au pouvoir et par ricochet, amener les populations à rejeter l’existant.
Pour Dr Aly Tounkara, la recrudescence des attaques terroristes ces dernières semaines prouve qu’en dépit des efforts que consentent les éléments des Forces de défense et de sécurité dans la destruction des quartiers généraux des groupes radicaux violents, ceux-ci continuent à se métastaser à partir des poches qu’on ne pouvait pas imaginer. Pour lui, ces groupes ont adopté une attitude expansionniste dont la particularité est son caractère opportuniste. «On se rend compte que ce sont des axes ou postes stratégiques qui sont de plus en plus attaqués par les groupes radicaux violents à travers le pays», souligne l’expert, pour qui, il y a une volonté d’étendre la menace sur l’ensemble du territoire.
Pour le chercheur, ces attaques multiples dirigées contre les positions des Forces de défense et de sécurité dans le Centre, dans les régions dites Nord du Mali et même au Sud du pays poussent aussi à s’interroger sur le nombre d’hommes et de matériels déployés dans ces différents camps et unités mixtes.
Mieux, les quartiers généraux de ces groupes ont été défaits, la vitesse avec laquelle l’action violente était perpétrée par ceux-ci a été réduite de même que la manière ou la banalité avec laquelle, ils s’attaquaient aux symboles de l’État a été défaite. L’expert sur les questions de défense et de sécurité au CE3S soutient que tous ces éléments font dire au ministre de la Défense et des Anciens combattants que les groupes radicaux tendent à assister à leurs propres funérailles. D’après lui, c’est cet élément factuel qui sous-tendrait ce point de vue exprimé ou le constat dressé par le Général de corps d’armée Sadio Camara.
Dr Aly Tounkara soutient que la déclaration du ministre de la Défense et des Anciens combattants sur le fait que les groupes radicaux violents tendent à assister leurs funérailles n’est aucunement remise en cause avec la recrudescence des attaques auxquelles on assiste çà et là. Selon lui, cela est le fruit d’un constat factuel. Il dira que la manière dont ces groupes étaient structurés, il y a deux, voire trois ans dans des quartiers généraux, le nombre à partir duquel, ils s’attaquaient aux symboles de l’État, la vivacité avec laquelle ils avaient le contrôle d’une partie importante du territoire est différente de la réalité d’aujourd’hui.
ÉVITER LES PIÈGES- Parlant de la lutte contre le terrorisme, Dr Aly Tounkara explique qu’il est important que les populations comprennent que cela s’appelle le long temps et que les actions certes violentes qui sont en cours sont aussi un témoignage poignant que les groupes radicaux violents sont dispersés. Mieux, il soutient qu’il suffit de regarder les postes qui sont attaqués par ceux-ci et les distances qui séparent les uns des autres pour s’en rendre compte.
D’après le spécialiste, leur modus operandi prouve qu’ils veulent juste créer de la psychose et délégitimer l’État. Et à partir de cette déligitimation, amener les populations à rejeter les autorités et à penser à des solutions de rechange. Or, analyse-t-il, que ce soient ces militaires au pouvoir ou un autre acteur, personne ne peut garantir, en dépit de l’acquisition d’équipements de pointe par l’Armée, de la formation de qualité dont bénéficieraient les éléments des Forces de défense de sécurité, de mettre un terme irrévocable dans un avenir proche aux actions des groupes radicaux violents. «Vouloir épouser les commentaires tendancieux ou simplistes à la fois de la part de certains concitoyens et d’autres acteurs hostiles à l’État du Mali, sont des pièges que les populations doivent éviter», souligne Dr Tounkara.
Pour étayer ses propos, il conseille de regarder de manière équidistante et sereine partout où le terrorisme sévit pour comprendre que ces localités ont pu mettre un terme ou réduire l’intensité de la menace dans la durée. Avant de préciser qu’aucune élite au pouvoir miliaire ou civile soit-elle ne peut promettre la fin irrévocable de la nébuleuse terroriste dans un court avenir.
«Il est important que les populations comprennent cela et se disent que si des attaques d’une telle envergure sont dirigées contre les symboles de l’État ou les populations civiles elles-mêmes, elles doivent adopter des comportements nationalistes, souverainistes, de cohésion et de solidarité», conseille le spécialiste du CE3S, qui cite en exemple les États-Unis, la France ou même l’Allemagne où lorsqu’il y a attaque terroriste, les différences sont réduites au silence, les considérations personnelles et les quêtes de positionnement personnel sont remises en cause.
Selon lui, il est extrêmement important que les populations maliennes s’inscrivent dans cet élan de compréhension et se disent qu’on a beau être équipé, on ne peut mettre fin à la nébuleuse terroriste dans un avenir proche. «Il est important de se dire aussi que le changement de l’existant n’a jamais été un synonyme de la fin du terrorisme. Donc, il faut de la patience chez les populations, la solidarité et surtout éviter de succomber au discours simpliste sur le phénomène», ajouté Dr Tounkara.
ACCOMPAGNER L’ACTION MILITAIRE- Concernant la coopération militaire au sein de la Confédération des États du Sahel (AES), le chercheur signale que les Forces armées maliennes de concert avec leurs consœurs du Burkina Faso et du Niger font déjà des efforts. Toutefois, il pense que celles-ci doivent continuer dans ce sens et mutualiser les efforts et même les moyens. À l’analyse des évolutions, il estime qu’il est urgent dans le contexte malien d’aller rapidement à une cartographie de la menace. De façon simplifiée, Aly Tounkara dira que les actions militaires sont indispensables pour circonscrire la menace et extraire la violence. Toutefois, il est extrêmement important que des études ou d’autres options soient proposées concomitamment aux actions militaires.
Lesquelles méritent des réponses contextualisées et circonstanciées car chaque foyer de tension contient en son sein, des dynamiques plurielles et complexes, analyse le chercheur.
D’après notre interlocuteur, il faut accompagner l’action militaire par une cartographie sérieuse des zones de conflits, qu’on sache lorsqu’on est à Niono ou Boulkessi, quel type de réponse il faut proposer au-delà de celle de l’Armée. Et si on est à Tessit ou Ménaka, en fonction de la dynamique locale, quel type de réponse il faut parallèlement à l’action militaire. «Une fois que tout cela est mis ensemble, naturellement, on va assister à une baisse de l’intensité des conflits et surtout on assistera à une rupture radicale avec les différents réservoirs de recrutements», indique Aly Tounkara. D’après lui, ce qui paraît difficile dans le contexte malien, c’est comment stopper les différents réservoirs de recrutements, parce que ceux-ci sont nourris à partir des dynamiques locales.
Dr Tounkara pense aussi que les ministères en charge de la Réconciliation, des Finances, de la Jeunesse, des Affaires religieuses doivent s’inviter dans la réponse afin que les Maliens comprennent que la lutte contre le terrorisme se fait dans la durée. Et aucun mirage ne doit les amener à s’inscrire dans des raccourcis et des simplicités qui pourraient conduire le pays à des situations beaucoup plus fatales.
Dieudonné DIAMA
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