Moussa Traoré, la pérennité d’une œuvre…

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Moussa Traoré a présidé aux destinées du Mali du 19 novembre 1968 au 26 mars 1991. Il a passé vingt-deux ans quatre mois et sept jours au pouvoir. La période est ramenée par ses détracteurs à « vingt-trois ans de mensonge », « vingt-trois ans de descente aux enfers », « vingt-trois ans de dictature »… Les autorités de la Transition viennent d’honorer la mémoire de feu le général d’armée Moussa Traoré. Elles ont choisi de s’élever au-dessus de certaines appréhensions pour donner son nom aux quarante cinquième promotion  de l’Ecole Militaire Interarmes (EMIA).

L’acte donne l’occasion de revisiter l’œuvre du premier Président, deuxième Chef de l’Etat de la République du Mali car, sa contribution au développement de notre pays reste indéniable. Ce texte se propose de faire découvrir cette contribution dans un domaine particulier : celui de l’Enseignement.

La contribution de Moussa Traoré au développement de l’école malienne se traduit par : la consolidation d’acquis, la diversification de l’offre de formations et la régionalisation, la création de l’enseignement supérieur, les innovations pédagogiques pour faire face aux défis de l’évolution.

  1. La consolidation d’acquis dans l’enseignement fondamental

Moussa Traoré a compris que l’Etat est une continuité. S’il a renversé Modibo Keïta, il se garde de faire table rase sur les réalisations de ce dernier. Convaincu qu’aucune œuvre humaine appelée à être pérenne ne s’édifie sur la table rase, il procède à une évaluation de l’héritage pour en corriger les insuffisances et consolider les acquis. Il se trouve qu’en 1962, Modibo Keïta avait fait procéder à une réforme de l’enseignement en République du Mali. A l’école primaire de six ans et au collège de quatre ans du système français, il substitue l’école fondamentale d’une durée de neuf ans répartis entre un premier cycle de cinq ans et un second cycle de quatre ans, le passage d’un cycle à l’autre s’effectuant sans examen de passage. Un nouveau diplôme est institué pour sanctionner les études au bout de neuf ans de formation : le Diplôme d’Etudes Fondamentales (DEF).

Cette innovation s’est traduite par un gain de temps et, surtout, d’argent. Les élèves restent plus longtemps à la charge de leurs parents et les collectivités sont chargées de la construction des infrastructures. Avec elle, l’école s’est rapprochée des populations et le taux de scolarité s’en est trouvé amélioré.

Mais la réforme, mise en œuvre adaptée des recommandations de deux congrès internationaux,  sur l’éducation s’est faite dans la précipitation ; d’où des insuffisances dont certaines seront corrigées dès 1964. Elles sont relatives à la disponibilité des infrastructures et surtout à celle des enseignants. Pour réussir la scolarisation universelle au bout d’une décennie deux décisions ont été prises allant dans le sens de la dévalorisation de la fonction enseignante.

La première est le concours organisé le 6 août 1962, resté célèbre dans les annales sous le nom de concours des « sixoûtards » : il suffisait d’avoir le niveau du CE2 (quatrième année de l’école fondamentale) pour s’y présenter. La seconde a porté sur la suppression des cours normaux qui formaient des instituteurs adjoints stagiaires en trois ans après l’obtention du Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires (CEPE) et leur remplacement par les Centres Pédagogiques Régionaux (CPR) qui recrutaient les élèves des huitième ou neuvième années pour en faire des Maîtres du Premier Cycle (MPC) au terme d’une formation à la fois théorique et pratique de neuf mois.

L’école normale de Katibougou, une ancienne école fédérale de l’AOF est retenue pour former, au bout de trois ans après le DEF, les Maîtres du Second Cycle (MSC).

L’objectivité recommande de reconnaître que « sixoûtards » comme MPC issus des CPR n’ont pas démérité. Ils ont contribué à faire rayonner l’école dans le Mali profond, en zones rurales comme en milieux nomades. Mais, force est de reconnaître que les modes selon lesquels ils étaient recrutés ne pouvaient constituer que des palliatifs. Aussi, dès l’avènement du Comité Militaire de Libération Nationale, la nécessité de réformer la réforme de 1962 s’est-elle imposée. Pas pour lui enlever son fondement socialiste ; du reste, elle n’en possédait pas ; mais pour corriger deux insuffisances.

La première correction a porté sur la structure de l’enseignement fondamental. Au 5+4 hérité du régime précédent, le CMLN substitue le 6+3 : désormais, les élèves passent six ans au Premier Cycle et trois ans au Second Cycle, la durée des études étant maintenue toutefois à neuf. En outre, sous une nouvelle dénomination, le Certificat de Fin d’Etudes du Premier Cycle de l’Enseignement Fondamental (CFEPCEF), le CEPE est restauré. Il s’agit là de deux innovations destinées à mieux asseoir les bases des connaissances à faire acquérir par les élèves.

La deuxième correction a porté sur la formation des formateurs. Les CPR sont supprimés. Ils sont remplacés par les Instituts Pédagogique d’Enseignement Général (IPEG). La durée de la formation, théorique et pratique, est portée à deux ans. Le DEF est retenu comme diplôme pour y accéder. Ce diplôme est également retenu pour accéder à l’école normale. Cependant, dans cet établissement, transféré par la suite à Bamako, la durée des études est portée à quatre ans. Pour plus de performance, il est délocalisé une seconde fois avec son éclatement en deux pôles : un pôle littéraire à San et un pôle scientifique à Koutiala. Dans le même temps, les OPEG sont regroupés sur deux sites : Kangaba et Niono.

  1. La diversification de l’offre de formation et la régionalisation dans l’enseignement secondaire général, technique et professionnel

Avec la réforme de 1962, l’enseignement secondaire général, technique et professionnel était dispensé dans les établissements suivants : quatre lycées publics, deux lycées relevant de l’enseignement privé catholique, un centre de formation professionnelle. Les diplômes délivrés étaient le baccalauréat et le certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Le CAP était obtenu deux ans après le DEF. Le baccalauréat comprenait quatre séries : Sciences Exactes Terminales (SET), Sciences Biologiques Terminales (SET), Philosophie-Lettres (PLE), Philosophie-Langues (PLA). A côté de ces établissements fonctionnaient l’Ecole Nationale d’Ingénieure (ENI) et l’Institut Polytechnique Rural (IPR), tous deux créés sur les cendres de deux écoles fédérales : l’Ecole des Travaux Publics (ETP) et le Centre Technique Agricole de Katibougou (CTA).

Avec l’avènement du CMLN, les formations au lycée technique sont valorisées avec la différentiation entre trois nouvelles filières : Mathématiques, Techniques, Génie Civil (MTGC), Mathématiques, Techniques, Industrie (MTI), Mathématiques, Techniques, Economie (MTE). Ainsi, aux quatre séries de baccalauréat que délivraient le lycée Askia Mohamed, le lycée de Filles, le lycée Prosper Kamara et le lycée Notre-Dame du Niger, sont venus s’ajouter trois nouvelles séries : désormais, le baccalauréat malien comporte sept série dont cinq à dominante scientifique et deux à dominante littéraire.

La diversification de l’offre de formations se traduit également par la création d’un nouvel établissement : l’Ecole Centrale pour l’Industrie, le Commerce et l’Administration (ECICA). Le diplôme délivré est le Brevet de Technicien (BT). Il s’obtient au terme de quatre années d’études après le DEF. L’ENI et l’IPR formaient des techniciens. Ils connaîtront une évolution qui fera d’eux des établissements d’enseignement supérieur.

L’autre aspect des innovations introduite dans l’enseignement secondaire est la régionalisation. Elle débute avec l’ouverture des lycées de Tombouctou, Sévaré, Markala, Banankoro. Elle se poursuit avec la création des lycées dans les capitales régionales (Gao, Ségou, Sikasso, Kayes), mais également dans certains chefs-lieux de cercle (Dioïla, Kita, Nioro, Banamba).

Enfin, au nom de la gestion rationnelle des flux, une dernière innovation est opérée dans l’enseignement secondaire général : la disparition des séries 10è LM, 10è SE et 10è SB. Un tronc commun est institué à leur place et se justifie ; le pouvoir a vite cerné le risque d’une explosion des effectifs de littéraires au détriment des scientifiques alors que le pays a plus besoin de médecins, d’agronomes, d’ingénieurs…

III. La création de l’enseignement supérieur

Dès 1960, il a été retenu : l’enseignement supérieur est dispensé dans les Grandes Ecoles, les Facultés et les Instituts. Avec le souci de former les cadres avec le maximum d’économie sur une durée réduite, le régime de l’Union Soudanaise a privilégié les formations dispensées dans les Grandes Ecoles. Il y en aura trois : l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), avatar de l’Ecole Nationale du Soudan, l’Ecole Normale Supérieure (ENSUP) et l’Ecole des Assistants Médicaux qui, toutefois, sera inaugurée après les événements du 19 novembre 1968.

Le CMLN va conférer à l’enseignement supérieur la configuration restera la sienne jusqu’en 1983. L’ENA et l’ENSUP recrutaient des bacheliers et formaient des cadres supérieurs au terme de deux ans d’études. La durée des études y est portée à quatre ans.

Les élèves de l’Ecole des Assistants Médicaux profitent de leur parrainage avec la faculté de médecine de l’université de Marseille pour solliciter que le diplôme qui leur est délivré soit l’équivalent d’un bac+5. Ils obtiennent satisfaction : l’établissement est rebaptisé Ecole Nationale de Médecine, de Pharmacie et d’Odontostomatologie (ENMPOS) ; il forme, non plus des assistants, mais des docteurs.

L’IPR et l’ENI sont érigés en établissements d’enseignement supérieur. L’IPR est réorganisé et comporte deux cycles : un cycle « Techniciens » (DEF +4) et un cycle « Ingénieurs » (Bas+4). L’ENI formes des ingénieurs des sciences appliquées au terme de quatre années d’études après le baccalauréat.

A côté de ses cinq établissements d’enseignement supérieur de cycle long, deux établissements d’enseignement supérieur court (bac+2) sont créés : l’Ecole des Hautes Etudes Pratiques (EHEP) et l’Ecole Nationale des Postes et Télécommunications (ENPT).

Enfin, l’œuvre de création de l’enseignement supérieur se clôt avec la création de trois structures de formation post-universitaire : le Centre Pédagogique Supérieur de Bamako (CPS) rattaché à l’ENSUP, l’Institut de Prévision et de Gestion Prévisionnelle (IPGP)  rattaché à l’ENA et l’Institut pour la Formation et la Recherche Appliquée (IFRA) rattaché à l’IPR pour donner l’IPR-IFRA.

Le 8 janvier 1973 est une date mémorable dans les annales de l’enseignement supérieur. Ce jour, quatre jeunes Maliens, Bakary Traoré, Amadou Karabinta, Ousmane Dembélé et Tiémoko Mallet soutiennent leur thèse de doctorat de spécialité en mathématiques et en géométrie. Pour la circonstance, le Directeur Général de l’UNESCO, de surcroît, enseignant de formation, Amadou Makhtar Mbow a fait le déplacement de Bamako.

Une fois la thèse de spécialité soutenue, la possibilité a été donnée à ses détenteurs de poursuivre la formation dans une université française de leur choix. Cela a permis la soutenance de deux thèses de doctorat d’Etat, une en Sciences (Physique) et une en Lettres (Etudes Africaines).

Il est à noter que tout ce qui se précède se situe entre 1968 et 1975, donc, durant la période la plus décriée du magistère de Moussa Traoré, celle du CMLN. L’on ne saurait l’évoquer en occultant les crises scolaires et estudiantines qui ont secoué le monde de l’enseignement durant cette période. Certes, il y a eu des moments très difficiles entre le pouvoir de Moussa Traoré et les étudiants. Mais les contestations n’étaient nullement pour l’instauration de la démocratie, comme certains n’ont pas manqué de le soutenir, c’était plutôt pour des questions strictement scolaires et universitaires.

Ainsi, quatre années consécutives ont été marquées par des mouvements de protestation de la part des élèves et des étudiants regroupés au sein de l’UNEEM. Ce sont les années 1977-1978, 1978-1979, 1979-1980, 1980-1981. La plateforme de revendications élaborée à la veille de la rentrée 1979-1980 par l’UNEEM, renseigne suffisamment sur la nature de celles-ci : elles ne sont pas d’ordre politique, mais d’ordre corporatiste. Les affrontements durant cette période sont rudes. Ils seront, en particulier, marqués par un événement des plus déplorables, voire condamnables : la mort d’un étudiant. Toutefois, en la circonstance, les responsabilités sont à situer. Ce qu’une enquête indépendante aurait permis de faire.

  1. Les innovations pédagogiques pour faire face aux défis de l’évolution

La décennie 1980 est marquée par une série d’événements qui ont un impact négatif sur le développement du pays. Cela l’oblige à revoir l’ensemble de son programme de développement économique et social. Dans le domaine de l’Education, tous les ordres d’enseignement sont intéressés par des actions s’inscrivant dans le sens du renouveau.

Dans les secteurs de l’Enseignement fondamental et de l’Enseignement secondaire général, l’accent est mis sur la mise en œuvre des recommandations du Deuxième Séminaire avec l’introduction et l’intensification de la ruralisation et celle de la pédagogie convergente pour prendre en compte la nécessité d’une introduction des langues nationales dans le système.

Concernant le cas particulier de l’Enseignement secondaire général, une décision importante est prise : la création des lycées techniques agricoles. Elle s’explique par le souci d’éviter que l’Ecole ne devienne une fabrique de chômeurs. Dès leur orientation vers ces établissements après l’obtention du DEF, les élèves sont informés qu’au terme de leurs trois ans de formation, ils ne peuvent prétendre ni se présenter au concours d’entrée dans la Fonction Publique, ni poursuivre leurs études à l’IPR. Trois lycées techniques agricoles sont créés : ceux de Bougouni, de Koutiala et de Niafunké.

Dans le secteur de l’Enseignement normal, une série de décisions sont prises. Le mode d’accès change : l’IPEG comme l’ENS ne recrute plus à partir d’orientations effectuées par le ministère, mais sur la base d’un concours d’entrée. Enfin, le niveau du recrutement est relevé : pour se présenter aux concours d’entrée, le DEF cesse d’être requis, il faut être titulaire du baccalauréat.

Enfin, dans le secteur de l’Enseignement supérieur, l’innovation majeure porte sur sa restructuration avec la création de l’Université. La forme retenue est celle d’une université nationale décentralisée et professionnalisée, chacune de ces trois épithètes étant porteuse de significations fortes.

L’Université est créée par la loi n° 86-12/AN-RM du 8 Mars 1986. Elle comporte trois facultés et cinq instituts. Les facultés sont celles des : Sciences à Sikasso, Lettres et Sciences Humaines à Tombouctou, Sciences Economiques et Juridiques à Kayes. Les instituts sont : institut supérieur de Médecine vétérinaire (Mopti), Institut supérieur d’enseignement technique (Ségou), Institut supérieur d’Architecture et d’Urbanisme à Gao, Institut des Techniques Rurales et de l’Alimentation à Sikasso, Institut des Techniques, Industries et de l’Aménagement à Kayes.

Les différentes décisions et actions dans les différents ordres d’enseignement sont évaluées et avalisées en 1989 lors de la tenue des Etats Généraux sur l’Education. Les assises sont convoquées par le Bureau Exécutif Central de l’Union Démocratique du Peuple Malien (BEC-UDPM) sur instruction de son Secrétaire Général, le Président Moussa Traoré. Deux ans après la tenue des Etats-Généraux de l’Education, le régime de l’UDPM est renversé. Toutes les innovations sont abandonnées d’où, en partie, la situation de crise que l’enseignement en République du Mali connaît ces trois dernières décennies.

Un bilan peut-il être établi de ce qui a été fait entre octobre 1962 et mars 1991. Il s’énonce en deux temps. Entre 1962 et 1968, une Réforme de l’Enseignement au Mali est lancée. Elle connaît des insuffisances dans son application. Mais ce qu’elle a apporté de positif compense de loin les lacunes qu’elle a comportées. En 1968, un changement de régime s’opère. Les nouvelles autorités choisissent de se situer dans la continuité. La Réforme de 1962 n’est pas abandonnée, elle est constamment revisitée pour être adaptée aux évolutions que connaît la société.

Moussa Traoré, en accédant au pouvoir n’a pas rompu le fil de l’histoire. Il a choisi de se situer dans la continuité. Aussi peut-il être considéré comme celui qui, partant de la Réforme entamée par Modibo Keïta, a fait acquérir à l’Ecole malienne ses lettres de noblesse. Une convocation des Etats Généraux de l’Education, recommandée par les Assises Nationales de la Refondations (ANR), est décidée par les autorités de la Transition. Elle éviterait d’être un forum de plus, ne débouchant sur aucune solution de sortie de crise véritable, en capitalisant les acquis antérieurs, les résultats engrangés dans le domaine de 1962 à 1990.

 

Issiaka Ahmadou Singaré

Docteur d’Etat-ès-Lettres

Professeur émérite de l’Université de Bamako

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