Une remise en question de l’islam comme civilisation du droit et de la dignité Réponse à la tribune du Dr. Mahamadou Konaté

Cher Dr. Konaté, Votre tribune, l’Islam comme une civilisation du droit et de la dignité, s’appuyant sur des textes fondateurs comme la Constitution de Médine et le verset coranique « Nous avons honoré les fils d’Adam » (Sourate 17:70).

8 Octobre 2025 - 07:41
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Une remise en question de l’islam comme civilisation du droit et de la dignité Réponse à la tribune du Dr. Mahamadou Konaté

Vous affirmez que l’Islam, dès ses origines, a promu la justice, l’égalité et les droits humains, bien avant la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948.

En tant que Kemite, je reconnais les contributions historiques de la civilisation islamique, notamment à travers les maqāṣid al-sharī‘a (les finalités de la Loi) ou la charte de Médine. Néanmoins, je conteste l’idée d’une compatibilité intrinsèque et naturelle avec les droits humains modernes. Une analyse critique des textes coraniques et des hadiths révèle des passages qui, par leur contenu ou leur interprétation, posent des défis éthiques majeurs aux idéaux contemporains, notamment en matière de liberté de conscience, d’égalité et de rejet des châtiments cruels. Ma réponse se veut une analyse détaillée et fondée sur une confrontation directe avec les sources primaires.

1. Textes coraniques en tension avec les droits humains

Vous citez des versets comme Sourate 17:70 pour souligner la dignité universelle dans l’Islam. Cependant, plusieurs autres passages du Coran semblent justifier des pratiques clairement incompatibles avec les normes modernes des droits humains : Sourate 5:33 (Al-Mā’ida) : « La récompense de ceux qui font la guerre contre Allah et Son messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que leurs mains et leurs pieds soient coupés de côtés opposés, ou qu’ils soient exilés de la terre. »

Ce verset, bien que lié au contexte des brigands à Médine, prescrit des châtiments corporels (crucifixion, amputation) qui contreviennent à l’article 5 de la DUDH, interdisant les traitements cruels et inhumains. Même en tenant compte du contexte, de telles sanctions sont irréconciliables avec une éthique moderne de la dignité.

Sourate 9:5 (At-Tawba, dit « verset de l’épée ») : « Une fois passés les mois sacrés, tuez les polythéistes où que vous les trouviez ; capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. »

Vous pourriez arguer que ce verset visait les polythéistes mecquois ayant rompu des traités. Toutefois, une lecture littérale du texte peut être perçue comme une incitation pérenne à la violence contre les non-croyants, en tension flagrante avec la liberté de croyance garantie par l’article 18 de la DUDH.

Sourate 4:89 (An-Nisā’) : « S’ils se détournent, saisissez-les et tuez-les où que vous les trouviez. ». Ce passage, dirigé contre les hypocrites dans un contexte de guerre, peut être lu comme suggérant une intolérance envers ceux qui rejettent l’Islam, remettant en question l’idée même d’une liberté de conscience universelle.

2. Hadiths et prescriptions problématiques

Les hadiths, en tant que sources complémentaires du Coran, contiennent des récits qui posent des défis éthiques similaires :

Peine pour apostasie :  Sahih al-Bukhari (9.84.57) rapporte : « Quiconque change sa religion, tuez-le. » Cette injonction, attribuée au Prophète, est utilisée dans certaines interprétations pour justifier la peine de mort pour apostasie, en contradiction directe avec la liberté de changer de religion (article 18 de la DUDH). Bien que des savants modernes relativisent ce hadith, son inclusion dans un recueil authentique alimente légitimement les critiques quant à la compatibilité de l’Islam avec les droits humains.

Lapidation pour adultère : Sahih Muslim (17.4206) décrit des cas où le Prophète aurait ordonné la lapidation pour adultère. Ce châtiment, même soumis à des conditions strictes, est jugé cruel, inhumain et disproportionné selon les normes modernes de justice pénale, qui privilégient la réhabilitation.

Exécution de prisonniers : Sahih al-Bukhari (5.59.362) relate l’exécution de prisonniers après la bataille de Badr. Bien que compréhensible dans le contexte guerrier du VIIe siècle, cet acte heurte les principes des Conventions de Genève modernes (article 3 commun), qui protègent les prisonniers de guerre

3. Limites de la contextualisation

Vous invoquez le contexte historique et les maqāṣid al-sharī‘a (protection de la vie, de la religion, etc.) pour défendre la compatibilité de l’Islam avec les droits humains. Cependant, ma perspective, dégagée de tout cadre théologique, soulève plusieurs objections de taille : La sacralité absolue des textes limite leur réinterprétation dans certains courants, favorisant des lectures littérales et violentes par des groupes extrémistes, comme ceux qui justifient leur action au nom de versets tels que Sourate 9:5.

La Constitution de Médine, bien que pluraliste pour son époque, a rapidement évolué vers des pratiques inégales, comme le statut de dhimmi, qui imposait des taxes et des restrictions aux non-musulmans, ce qui est aux antipodes de l’égalité universelle prônée par la DUDH.

La « dignité humaine » du Coran (Sourate 17:70) est souvent interprétée comme conditionnée par la soumission à Dieu, marginalisant implicitement les non-croyants ou les athées.

4. Preuves contemporaines et statistiques

Vous citez une statistique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), indiquant que 91,2 % des victimes du terrorisme islamiste entre 1979 et 2019 étaient musulmanes, pour souligner que les musulmans sont les premières victimes de l’extrémisme. Cependant, cette donnée peut également être lue comme révélant l’impact des interprétations violentes des textes sacrés, même si elles sont minoritaires. Un rapport du Pew Research Center (2013) montre que des lois shariaques rigoristes, comme la lapidation ou la peine pour apostasie, bénéficient d’un soutien significatif dans certains pays musulmans (86 % en Afghanistan, 76 % au Pakistan). Ceci suggère que des interprétations problématiques des textes restent largement influentes, en contradiction avec votre vision d’un Islam universellement aligné sur les droits humains.

5. Conclusion

Cher Dr. Konaté, votre tribune offre une lecture humaniste et fort louable de l’Islam, mais elle minimise les tensions irréductibles entre certains textes fondateurs et les normes modernes des droits humains. Les versets coraniques et hadiths cités, même contextualisés par les spécialistes, posent des défis éthiques majeurs : châtiments corporels, peine pour apostasie, et injonctions violentes dans des contextes de guerre. Leur statut sacré dans la pensée majoritaire complique considérablement les réformes nécessaires pour aligner l’Islam sur les principes de dignité, d’égalité et de liberté définis par la DUDH.

En tant que Kemite, je privilégie une éthique laïque et universelle basée sur la raison, qui se veut indépendante des contradictions inhérentes aux textes religieux. Je reconnais néanmoins les efforts courageux de nombreux musulmans pour réinterpréter leur tradition dans un sens humaniste, mais ces efforts exigent une confrontation sans concession avec les textes problématiques.

 

Tonkè Koniba Fané

 

 

 

 

L’ISLAM, UNE CIVILISATION DU DROIT ET DE LA DIGNITE

Réplique à la réponse du Sémite Tonkè Koniba Fané

Cher frère Fané,

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier, sincèrement, pour la lecture attentive que vous avez accordée à ma tribune, et pour votre réponse érudite publiée sur la page de Kassim Traoré, que je salue également pour son initiative.

Votre contribution est riche, nourrie de références scripturaires solides et d’une volonté manifeste de dialogue. Cependant, il apparaît que nous divergeons sur l’interprétation de plusieurs passages et concepts.

Je vous demande donc, fraternellement, de bien vouloir accepter ma méthode, qui privilégie une approche réaliste et contextualisée des textes, en me concentrant exclusivement sur les versets coraniques.

J’ai choisi de ne pas m’engager ici sur le terrain des hadiths, en raison du débat récurrent entre ulémas sur leur authenticité, et des limites inhérentes à un tel échange dans un cadre aussi restreint (l’espace d’une page et le temps d’un commentaire). Ce choix n’a rien d’un désaveu de l’islam : toutes les religions scripturaires connaissent ce type de débat exégétique.

Permettez-moi maintenant d’aborder quelques points précis de votre argumentation, à commencer par celui par lequel vous avez conclu.

1. Sur les statistiques relatives aux victimes musulmanes du terrorisme

Dans ma tribune, j’ai cité un chiffre bien documenté : 91,2 % des victimes du terrorisme, entre 1979 et 2019, sont des musulmans. Vous opposez à cela une autre donnée issue d’un rapport du Pew Research Center (2013), qui met en lumière un soutien significatif aux lois rigoristes (comme la peine de mort pour apostasie ou la lapidation) dans certains pays musulmans (ex. : 86 % en Afghanistan, 76 % au Pakistan).

À partir de cette donnée, vous semblez en conclure que des interprétations problématiques des textes restent largement influentes dans le monde musulman, contrairement aux miennes que vous qualifiez d’humanistes.

Cher aîné, permettez-moi de vous faire observer, respectueusement, que cette généralisation me paraît injustifiée. Peut-on vraiment extrapoler la tendance observée dans deux ou trois pays à l’ensemble du monde musulman, qui compte près de 60 États et plus d’un milliard et demi de fidèles ? Cela reviendrait à réduire la diversité islamique à ses expressions les plus radicales.

Et surtout, en quoi le fait que certains musulmans expriment un attachement à des lois rigoristes disqualifie-t-il l’idée qu’ils puissent être les premières victimes des dérives violentes de l’extrémisme ? Faut-il en déduire, de manière implicite, qu’ils "mériteraient" leur sort, du fait d’une certaine proximité idéologique avec les bourreaux ? J’ose croire, à la lecture de votre ton modéré, que ce n’était nullement votre intention. Il me semblait important de clarifier ce premier malentendu.

Mon objectif était simplement de déconstruire une idée reçue : les musulmans sont en majorité victimes, et non complices, du terrorisme. Et cette réalité mérite d’être mieux comprise et reconnue.

2. Sur la compatibilité de l’Islam avec les droits humains modernes

Vous rejetez ce que vous appelez la "compatibilité intrinsèque et naturelle" de l’islam avec les droits humains modernes. Soit. Mais ces termes sont les vôtres, pas les miens. Pour ma part, j’ai simplement affirmé que l’islam, en tant que civilisation juridique et spirituelle, est compatible avec les droits humains modernes.

Par compatibilité, il ne s’agit pas d’une adhésion automatique à chaque article de la Déclaration universelle des droits de l’homme ou des pactes internationaux. Aucun pays ne peut d’ailleurs revendiquer une telle conformité intégrale. Les États-Unis, par exemple, appliquent toujours la peine capitale, parfois même à des mineurs, ce qui viole plusieurs instruments internationaux qu’ils ont signés.

Les pays musulmans ne sont pas en reste : nombre d’entre eux, du Mali à l’Indonésie en passant par l’Égypte, le Pakistan ou l’Iran, ont participé à l’élaboration de ces textes, parfois en émettant des réserves pour des raisons culturelles ou religieuses. Ce droit à la réserve est d’ailleurs universel. L’Afrique elle-même, en 1981, a adopté sa propre Charte des droits de l’homme et des peuples, en affirmant sa spécificité.

Malgré ces divergences, il existe une convergence profonde sur les valeurs fondamentales : protection de la vie, respect de la dignité, justice, liberté, propriété. J’aimerais en rappeler ici quelques-unes brièvement.

- La protection de la vie

L’islam reconnaît la sacralité de la vie humaine. Nul ne peut y porter atteinte sans justification, pas même au nom de la foi. Toute vie a une valeur égale : qu’elle soit musulmane, chrétienne ou athée. Cette reconnaissance de la vie comme principe sacré précède de plusieurs siècles l’émergence des constitutions modernes.

Le Coran permet la violence uniquement dans un contexte de légitime défense ou de guerre déclarée, et même dans ces cas, il commande de s’arrêter si l’ennemi incline vers la paix : "Et s’ils inclinent vers la paix, incline vers elle toi aussi, et place ta confiance en Allah." (Sourate 8, verset 61)

Ainsi, la paix est le principe, la guerre l’exception. Et cette règle vaut également ailleurs : aux États-Unis par exemple, la peine capitale reste une exception qui subsiste malgré les idéaux universels.

Quant à la lapidation, elle ne figure pas comme injonction dans le Coran, et son application, même là où elle est prévue, obéit à des conditions si strictes qu’elle est presque inexistante. Elle est appelée à évoluer, j’en suis convaincu. La France et les États-Unis ont mis plus d’un siècle à accorder aux femmes et aux Noirs les mêmes droits qu’aux autres citoyens. L’évolution des sociétés est un processus long, l’islam n’échappe pas à cette dynamique.

- La dignité humaine

Contrairement à ce que vous soutenez, le Coran n’érige pas la dignité en valeur réservée aux seuls musulmans. De nombreux versets soulignent la noblesse inhérente à toute personne humaine, y compris l’ennemi, l’étranger, l’incroyant.

Le Coran commande même d’accorder refuge à un mécréant persécuté, sans obligation de conversion : « Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le-lui afin qu’il entende la parole d’Allah, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. » (Sourate 9, verset 6)

Ce sont des gens qui ignorent encore que vous êtes bien guidés vers la vérité. Ne les condamnez pas pour cette ignorance, ne les livrez pas à la persécution. Soyez justes, soyez cléments : ce sont, malgré tout, des êtres humains. S’ils vous demandent secours, apportez-leur assistance. Quant à leur éventuelle conversion — qui vous tient à cœur —, sachez que c’est par votre geste de bonté, votre protection, et l’exemple de votre foi qu’ils entendront vos prières, vos récitations. Peut-être croiront-ils un jour. Peut-être pas. Mais, en tout état de cause, vous avez le devoir impératif de les conduire en sécurité, là où ils seront libres et à l’abri.

En somme, voilà ce que condense pédagogiquement ce verset en deux phrases d’une clarté remarquable, que le Prophète lui-même a illustré dans sa conduite et rappelé à maintes reprises : la foi véritable ne se prouve pas dans la domination, mais dans la miséricorde.

- La liberté, la justice, le droit à la propriété

Je pourrais développer davantage sur ces points, mais votre érudition vous permet de saisir le fond sans que j’aie à m’y étendre. Je me contenterai de souligner que ces principes font partie intégrante des fondements islamiques.

Conclusion

Cher frère, il me semble que les divergences entre nous relèvent moins de contradictions fondamentales que de malentendus.

Mon intention n’a jamais été de nier l’existence de tensions entre certains textes fondateurs et certaines normes modernes. Mais tel n’était pas le propos de ma tribune. Mon objectif était de mettre en lumière les principes universels que l’islam partage avec les droits humains modernes, non de m’attarder sur les exceptions — d’autant que ces exceptions existent dans toutes les civilisations.

Je crois fermement que l’islam, en tant que tradition vivante et civilisation millénaire, est non seulement compatible avec les droits humains, mais qu’il a été pionnier dans la reconnaissance de la vie, de la dignité, de la justice, de la liberté, bien avant l’avènement de l’ère moderne.

Loin des caricatures, des lectures partiales ou intéressées, il est temps de rappeler que l’islam peut et doit continuer de contribuer à la promotion de la dignité humaine, du droit et de la justice.

Dans cette quête commune, je suis heureux de pouvoir échanger avec des interlocuteurs de votre qualité.

Paix et salut !

Par Dr. Mahamadou Konaté

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