Une exclusivité historique sur Fily Dabo Sissoko

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Son destin, c’était Kidal, dans le désert brûlant, loin de la falaise du Tambaoura et du site sacré de Dambao où l’eau glisse sur les laves pétrifiées aux vives couleurs, loin des marigots des karités de Benderi, de Galéma et de Horokoto. Poète, philosophe, écrivain beaucoup plus qu’homme politique. André Gide, dit de lui dans la page de son journal datée de Bafoulabé en janvier 1938 " L’étonnant ce n’est pas que Sissoko soit fétichiste, l’étonnant c’est qu’il n’ait pas cessé de l’être et convaincu, malgré la lecture de Descartes, de Spinoza, de Platon etc. Il parle de Frazer, de Levy Bruhl. Son grand maître est Fustel de Coulanges, c’est vers la cité antique qu’il se retourne, c’est là qu’il trouve son point d’appui. "
Fily Dabo Sissoko naquit le 15 mai 1900 à Horokoto, dans le cercle de Bafoulabé en pays malinké au sein d’une vieille famille de chefs. Le père de Fily Dabo avait décidé de faire de lui un marabout mais au moment où l’enfant allait commencer ses premières études coraniques survint la mort de son frère aîné, Djiné-Moussa qui lu était entré à l’école primaire de Bafoulabé. C’est alors que le petit Fily devrait aller prendre la place que son frère laissé vide. C’est le père de Mamadou Konaté Tiébléba Konaté qui a envoyé Fily accompagné Mamadou Konaté chez le commandant de cercle pour l’inscrire à l’école. Mamadou Konaté étant plus âgé que Fily de 3 ans car Mamadou est né en 1897 et Fily en 1900.
Chaque matin Mamadou Konaté prenait son petit frère Fily par la main et l’amenait avec soin à l’école puis le ramenait à la maison à la descente. Rappelons que la grand mère de Fily Dabo Sissoko, Budiane Diallo, n’est autre que la soeur de la grand-mère de Mamadou Konaté qui s’appelait Kamafin Diako, donc ces deux hommes sont liés par des liens parentaux très profonds. Après Baloufabé, Fily poursuivit ses études à l’école Normale d’Instituteur, puis il commença sa carrière d’enseignant. Parmi ses élèves : Gabriel d’Arboussier. Instituteur hors cadre. Fily Dabo Sissoko quitte l’enseignement pour devenir chef de canton de Namba.
Fily Dabo Sissoko écrit beaucoup. Ses études publiées dans diverses revues et ses ouvrages témoignent de l’étendue de ses lectures et de la finesse de ses pensées.
Fily Dabo ne s’instruit pas pour sa seule satisfaction, il veut mettre la culture reçue au service de la masse. Il est certain que les portraits débordant d’humour et de malice qu’il brosse de certains de ses compatriotes faux évolués, qui ne songent qu’à imiter les blancs et les imitent mal contribuent à revaloriser la personnalité africaine. Les répercussions de ce mouvement allant à contre courant dans ses débuts, sont peut être plus profondes qu’on ne le suppose à première vue entre 1930 et 1940.
C’est en effet un texte de Fily Dabo Sissoko critiquant l’assimilation culturelle qui fut reçu par la conférence de Brazzaville en février 1944 en tant que témoignage des aspirations de l’Afrique occidentale française. Fily Dabo entend démontrer que l’apport de l’âme nègre dans le courant évolutif de l’humanité n’est pas négligeable et qu’il est même essentiel à l’évolution actuelle de l’humanité. Pour cela, affirme-t-il, il conviendrait que primo le "Noir" reste noir de vie et d’évolution et que secundo le "blanc" essaye par tous les moyens appropriés de faire évoluer le Noir selon sa ligne d’évolution propre ou noire…
En octobre 1945, Fily Dabo est élu député du Soudan-Niger à la première Assemblée constituante française puis à la seconde en juin 1946.
 
Comment s’étaient déroulées les élections d’octobre 1945 au Soudan ?
A l’annonce des élections à l’Assemblée constituante, Fily Dabo Sissoko quitta Bafoulabé où il résidait pour venir Mamadou Konaté à Bamako chez lequel il logeait durant ses séjours bamakois, les deux jeunes gens ayant fréquenté, à l’époque les blancs ensemble avec la main dans la main. Ainsi Mamadou Konaté remercia Fily de l’honneur qu’il venait de lui témoigner mais demanda à Fily Dabo de se présenter à ces élections et qu’il bénéficiera de tout son soutien. C’est Mamadou Konaté qui présenta Fily aux notabilités de Bamako dont Maridjé Niaré pour leur demander de soutenir la candidature de Fily à ces élections. Lorsque les deux jeunes gens Mamadou Konaté et Fily Dabo sont partis voir Kassoum Touré chez lui, ce dernier demanda clairement sans ambages à Mamadou Konaté de se présenter à ces élections car pour lui cette chose était trop importante pour Fily à cause de son jeune âge par rapport à Mamadou Konaté. Cependant cela n’a pas fait changer d’avis Mamadou Konaté.
Quelques instants après le lancement de la campagne électorale de Fily, Mamadou Konaté sous une forte pression de son entourage présenta à son tour sa candidature aux dites élections. C’est ainsi qu’aux élections d’octobre 1945, le Soudan avait aligné les candidats suivants : Fily Dabo Sissoko, Mamadou Konaté, Modibo Kéïta et Tidiane Sidibé. A la suite du vote Fily obtint 17 voix et fut le premier député du Soudan -Niger à la première Assemblée constituante française.
 Le 2 juin 1946 avec l’adoption de la constitution, les élections ont été reprises cette fois-ci avec le scrutin proportionnel pour les indigènes. Par conséquent à la suite du vote, quatre députés furent élus au Soudan, ce sont : Fily Dabo Sissoko, Mamadou Konaté, Jean Sylvandre et Hammadoun Dicko.
Arrivés à Paris, il met tout de suite en pratique les théories qu’il élaborait depuis plusieurs dizaines d’années.
En 1946, il présente avec Felix Houphouet Boigny une proposition de loi demandant le développement de l’enseignement en Afrique occidentale française. En 1946, Fily Dabo crééa à Bamako le Parti Progressiste Soudanais (PSP) qu’il affilia à la SFIO le 2 juin 1946. Peu de temps après, il signe le manifeste des élus africains lancé par Houphouet Boigny en vue de la convocation du Congrès de Bamako au mois d’octobre 1946. Malheureusement le jeu des influences politiques métropolitaines devait aboutir à désunir les signataires de l’appel et, au lendemain du congrès un fossé infranchissable va désormais séparer l’Union Soudanaise RDA et le PSP de Fily Dabo Sissoko. Membre du Conseil général du Soudan, il sera appelé à présider cette assemblée à partir de 1953, tandis qu’il siège au Grand Conseil au Commerce et à l’Industrie au second ministères de Robert Shuman qui n’allait durer que du 5 au 9 septembre 1948. Par contre il appartiendra pendant plusieurs années à la délégation française auprès de l’ONU. Il est réélu député du Soudan en 1951 et 1956.
En janvier 1957 à Conakry, Fily Dabo Sissoko préside le Congrès constitutif du Mouvement socialiste Africain dont il sera l’un des vice-présidents aux côtés du leader du mouvement : le président Lamine Gueye. Un manifeste adopté par le MSA fixant les buts de la nouvelle formation dont le premier est d’oeuvrer pour une "politique démocratique assurant la personne humaine de la libération de toutes ses servitudes et le libre exercice de ses droits humaine et de citoyen".
Cependant les élections locales soudanaises de mars 1957 ne laissant plus que 6 nègres sur 70 au PSP de telle sorte que les activités politiques de Fily Dabo Sissoko dans son pays vont en s’amenuisant. Par ailleurs, lorsque le MSA s’intègre dans le "Parti du Regroupement Africain" au début de 1958, Fily Dabo est vice-président du groupe parlementaire de cette formation à l’Assemblée Nationale française jusqu’au moment où les députés africains quittent définitivement le palais Bourbon tandis que s’achève la quatrième République française et que naissent les Républiques africaines.
 Aux élections législatives soudanaises de 1959, le RDA obtient 24% des voix mais aucun siège. Fily Dabo et Hammadoun Dicko avaient à l’occasion de cette consultation exprimé leur opposition à la formation d’une fédération du Mali entre le Sénégal et le Soudan qui à leur avis distendrait les liens naturels et   indispensables existant entre le Soudan et la Côte d’Ivoire. Le PRA fut dissout par le gouvernement soudanais le 31 juillet 1959 et la fédération du Mali éclatait en août 1960.
 
 L’arrestation et l’exécution de Fily Dabo Sissoko et de ses camarades en 1964
En effet la tempête qui emportera Fily Dabo Sissoko commencera à partir du 1er juillet 1962 lorsque le président Modibo Kéïta fit connaître la décision prise par son gouvernement de procéder à une reforme monétaire. Les Maliens avaient jusqu’au 15 juillet pour échanger leur CFA en franc malien. Les commerçants déboussolés par les événements tinrent le mercredi 18 juillet 1962 une assemblée générale dans la salle de réunion de la Maison des Anciens combattants de Bamako, en présence des représentants des plus hautes autorités administratives et politique du pays. Les intervenants exprimèrent leur inquiétude par rapport à la création de la nouvelle monnaie. En pleine réunion lorsque El Hadj Kassoum Touré fit son entrée dans la salle de réunion, il fut accueilli par un tonnerre d’applaudissements des commerçants présents dans la salle. Lorsque le calme revint dans la salle, Kassoum Touré demanda aux commerçants d’ajourner la dite réunion au dimanche 22 juillet 1962 pour permettre aux délégués des autres régions d’y participer.

A suivre

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