Docteur Naffet Kéita, philosophe, anthropologue : « Le coup d’Etat a traumatisé les Maliens »

6

Le 22 mars prochain marque le deuxième anniversaire du coup d’Etat perpétré contre le président Amadou Toumani Touré. Pour ce faire le Dr Naffet Keita a bien voulu répondre à nos questions. M. Keita est Philosophe et anthropologue de formation ayant soutenu une thèse sur la rébellion touareg des années 90. Il enseigne à l’université des lettres et des sciences humaine. Interview

La Nouvelle République : Le 22 mars prochain, ce serait le 2ème anniversaire du coup de force que le Mali a connu.  Qu’est ce que vous retenez de cela ?

Naffet Keïta : Je ne raisonne pas en termes d’anniversaire parce que cet événement constitue un des points noirs de notre histoire contemporaine. Je ne  nie pas que cet événement douloureux ait lieu. Ce que je retiens de ce coup de force du 22 mars 2012, c’est plus le chienlit dans lequel se trouvait la classe politique et concomitamment au corps social délabré par la corruption, la concussion, le détournement des deniers publics, etc. Tous ces événements ont consacré la coupure entre la classe politique et la population dans un contexte où celle-ci, dans sa grande majorité, se trouvait dans une situation de perte de repères. La démocratie et la décentralisation qui l’incarne ne font plus rêver et ne donnent plus sens en termes de construction d’un avenir partagé.

Or, curieusement, celui qui a permis à ce que les maliens aient eu renoué avec la démocratie multipartite, c’est celui-là même qui était au pouvoir ; ATT, qui a fait rêver en 91 et jusqu’en début 2012, sa gestion a désenchanté plus d’un malien : tous ces rêves se sont dissipés ou consumés. Entretemps, l’organisation ratée des premières élections par un régime démocratique en 1997 et l’emprisonnement des premiers responsables de l’opposition sont passées par là avec son corollaire le discrédit de l’opposant chez les populations. C’est davantage, la technique de gouvernance qui est remise en cause.

La Nouvelle République : Est-ce que vous pensez que ce coup de force a pu bouleverser la société ?

Naffet Keïta : Le coup d’Etat advient dans un pays où plus de 150 partis politiques prétendent organiser le commun vouloir de vivre ensemble, cela montre aisément une vacuité de volontés ou de construction de projets communs. C’est dire que la société malienne vivait en crise. Cette crise n’a pas été suffisamment documentée, diagnostiquée, étudiée pour que les maliens s’approprient de leur contexte et des problèmes qui les assaillent. En clair, la société malienne était bloquée avant même le coup d’Etat.

Une société bloquée par le fait que ceux qui détenaient le savoir n’avaient plus droit à la parole publique; ils n’étaient pas écoutés. La seule chose qui intéressait les maliens (en général) n’était plus le construire ensemble, le bâtir ensemble, mais la réussite individuelle : Nous sommes en face d’émergence d’une sorte de société des individus qui, difficilement, sans projet fédérateur pour concevoir l’agir ensemble, le construire ensemble et en même temps dessiner une vision. La non lisibilité de ces faisceaux de facteurs embrumés par l’événementiel se sont, malheureusement, enchainés pour donner l’image du sauve qui peut. Les structures organisationnelles de base n’étaient plus armés psychologiquement, moralement, intellectuellement pour essayer de comprendre ce qui nous arrivait.

C’est dans ce contexte que des moins gradés de l’armée ont pu accomplir un coup d’Etat. Cet événement a consacré la crise d’autant plus que les meneurs sont inconnus du bastion des « gens bien nés et qui sont sensés accéder au pouvoir », cela a augmenté le traumatisme des maliens et surtout quand ils observent en continu les ballets incessants des cadres politiques, administratifs et des opérateurs économiques dans la ville Garnison de Kati.

Donc, à ce niveau, autant le corps social était pourri, autant aussi ceux qui constituaient pour les maliens le socle et le fondement de la société, à savoir les forces armées et de sécurité étaient également entamées.

La Nouvelle République : Les responsabilités semblent partagées ?

Naffet Keïta : Il ne me semble pas que cela soit le cas. Tous ceux qui ont eu, à un moment, à occuper une parcelle du pouvoir doivent de rendre compte. C’est davantage une responsabilité citoyenne qui est en jeu. Car ceux qui ont eu à assumer le coup d’Etat ont eu sous leurs bottes toute la classe politique et une bonne partie de l’appareil d’Etat et de la société civile. A ce niveau, l’hypothèse plausible est que les maliens ne croyaient plus aux vertus de l’alternance à savoir l’expression du suffrage des électeurs mais davantage aux coudées franches ou les bénédictions de ceux qui détiennent des parcelles de pouvoirs ou des armes. Or, quand on essaye de voir dans tous les pays émergents, c’est beaucoup plus l’agir collectif, l’agir ensemble qui confère la légitimité aux détenteurs des pouvoirs. Malheureusement, au début de l’An 2012, la préoccupation des Maliens étaient de voir ATT partir et sans souci explicite de qui allait le remplacer. A mon avis, c’était cela le drame, l’atonie du corps social et son aversion vis-à-vis de la chose politique qui inquiétait

La Nouvelle République : Est-ce qu’on aurait pu éviter ce coup d’Etat ?

Naffet Keïta : A ce niveau, tous les ingrédients étaient là : le ver était dans le fruit. Sur un plan intérieur, largement trimballer par les politiques qui lui laisse goûter la solitude du pouvoir, désemparé par le chaos libyen consécutif au lynchage de Kadhafi, n’arrivant pas à comprendre les coups assenés par le religieux islamique (HCIM) au détour de la votation du projet de Loi de la personne et de la famille – cette organisation apparaissait comme l’un des seuls facteurs ou organisation de stabilisation sociale – et les projets de réformes institutionnels que les maliens moyens ne comprenaient point d’autant plus que nombre de maliens avaient envie que ATT s’en aille au plus vite parce qu’il avait atteint ses limites, etc. Sur un plan sous régional, ATT et le Mali étaient taxés de maillon faible dans la lutte contre le djihadisme avant que le trafic international de tout genre ne s’y mêle et enfin, le désamour avec la « communauté internationale » parce que « jugé » impliqué à travers ses proches comme « parrain » des trafiquants, des djihadistes et d’être de mèche avec le retour des « migrants armés » de la Libye. Les débâcles de Tessalit et de Ménaka ont été de trop. C’est dans cet interstice qu’advient le coup d’Etat qui prit l’allure d’une révolution sociale avant que les figures de proue ne se dévoilent.

A mon avis, il y a lieu de réfléchir sérieusement sur la création d’un corps d’Etat dans ce pays. Car les périodes de transition et particulièrement de changement ou d’alternance au niveau du pouvoir sont les plus délicates (1997, 2002 et 2012). Enfin, dans ce pays, il y a lieu de dissocier l’individualité et la personnalité de ceux qui ont en charge les affaires publiques. En ayant en charge les destinées contractuelles du pays, certaines attaques ne doivent point être centrées contre l’aune des premiers responsables du pays ; rappelons-nous des critiques acerbes contre le président de la République, le Premier ministre et le président de l’Assemblée Nationale au détour de la votation du code de la personne et de la tutelle. La République était désormais dans le rue et on a assisté médusé à l’implosion de l’apparence d’Etat tellement on était pressé à occuper le siège chaud d’ATT.

Dire qu’on pouvait l’arrêter, là n’est pas la question, mais comment faire désormais pour que nous puissions réfléchir sur le quotidien de notre Etat dans un contexte de modernité, la contemporanéité de l’Etat du Mali à savoir sa construction de tous les jours et en s’interrogeant sur la sincérité des acteurs politiques qui gèrent le pays.

La Nouvelle République : N’a-t-on pas atteint l’irréparable, quand des individus ont osé porter la main sur le président de la République ?

Naffet Keïta : Je suis peiné par ce fait. Imaginez, quand dans une famille, les enfants se fâchent contre leur père et se décident, non pas à le boycotter, mais à lui régler le compte, au propre et au figuré. Est-ce qu’on dire après un tel acte et qu’elle serait l’image que cette famille va véhiculée ?

Dans un pays ou milieu où les gens ont de la pudeur, personne ne s’alliera aux membres de cette famille advitaem. Malheureusement, sous nos cieux, tout le monde pense avoir son mot à dire dans la gestion de l’Etat.

C’est vrai, chacun peut avoir son mot ; or, le temps d’expression du verbe citoyen a plusieurs sites et se décline diversement :le temps du vote, l’écrit dans les journaux, participation aux débats radiophoniques, création d’espaces de reddition des comptes, interpellation des élus, inscription dans un cadre partisan et militant, etc.). C’est là qu’on a un mot à dire. C’est de cette manière qu’on participe à la gestion quotidienne, ce sont ces espaces qui ne sont pas tenus par les maliens ! Les maliens pensent, à quelque niveau que ce soit, qu’ils peuvent agir sur la gestion quotidienne de l’Etat. C’est ce qui fait que ceux qui ont en charge de gérer l’Etat deviennent les chantres où tout le monde se l’approprie. Cette proximité fait que l’Etat perd tout son sens.

La Nouvelle République : Qu’est ce qu’il faut pour que le Mali soit désormais à l’abri d’une telle aventure ?

Naffet Keïta : Le Mali ne sera à l’abri de telle aventure que, si tous les maliens se remettent en question. Si tous les maliens reconnaissent leurs limites et qu’ils se mettent à l’école des autres pour apprendre, pour réfléchir et pour savoir gérer juste et raisonnablement. Il ne s’agit pas seulement du président de la République, des Ministres, les députés, les élus locaux, les chefs traditionnels, mais tous les maliens. Les différentes crises sécuritaires, politiques, institutionnelles que nous venons de connaître, nous ont montré nos limites. Est-ce que nous sommes prêts à reconnaître que nous sommes limités. Est-ce que nous sommes prêts à nous remettre en question ? Tant qu’on ne serait pas à mesure de le faire, on va retomber dans les mêmes travers.

La Nouvelle République : Avez- vous, un appel ?

Naffet Keïta : Chacun d’entre nous, dans son petit coin a une idée de ce que doit être son pays, cherche à ce que ce pays puisse retrouver sa fierté. Pour que cela soi, il faut que chacun d’entre nous essaye de démontrer en quoi nous excellons et de partager cela avec les autres maliens dans la joie du rêve en instance de réalisation.

Propos recueillis par

Akhimy Maïga et

Jean Baptiste Diarra

(Stagiaire)

 

Commentaires via Facebook :

6 COMMENTAIRES

  1. Merci prof.
    Rien de plus normal et productif que des universitaires donnent leurs points de vue sur la situation du pays.

    Mais je pense que c’est la situation qui a engendré le coup d’état qui était plus traumatisante que le coup d’état lui-même. Au contraire le coup d’état avait suscité l’espoir de rupture avec la démocratie censitaire ou de type monarchique où c’est le président sortant qui décide de celui qui le remplace et non le peuple, cela depuis Apha. Le traumatisme lié au coup d’état a été plutôt engendré par la pression internationale sur le rétablissement de l’ordre constitutionnel.

    A part cet aspect, je suis d’accord avec le reste de votre analyse notamment les revers du consensus pour notre démocratie et ses racines dans la répression de l’opposition des années 1997.

    Merci

  2. Ba nyego. Vous ne savez pas qu’il est un pur produit de l’Ecole normale supérieure (Maîtrise en philosophie) et DEA dans la même discipline à Cheikh anta diop de Dakar. En quoi il vous a escroqué petit nervis

    • Macken, un pur produit de quoi ? ??? Je suis assez raccord avec l’autre plus bas. De toute façon un intellectuel ne se définit pas par des titres universitaires mais par la pénétration et l’impact de ses propos. Ce qu’il dit n’est pas faux, cela a été simplement dit et redit sur des formes moins tournées depuis longtemps par des gens dans les couches populaires qui eux, ne sont pas des imposteurs. Quand un intellectuel, surtout un anthropologue, vole le discours du peuple, c’est qu’il a d’autres ambitions…D’autres choses qu’il dit ressemble a du mensonge pur et simple. Un comportement typique d’un mauvais politicien en devenir ce qui révèle ces ambitions. Mais c’est la une démarche qui témoigne qu’il n’aura pas l’étoffe de quelqu’un de pur et d’honnête. Dommage pour le Mali mais il y aura d’autres jeunes.

  3. merci docteur Keita quand on agresse le président de la république ceux m’a marquée et marquera le reste de ma vie les responsables sont connu de tous les maliens sont traumatisés

  4. Mon dieu quel escroc ce Nafet Keita !! Voilà qu’il porte en plus maintenant le titre de philosophe. Prochainement ce verbeux petit personnage sera archiduc de la politique malienne et prophète. Que font les vrais intellectuels du Mali ?

Comments are closed.